ASTRO BLUES
“Si j’avais utilisé un personnage habillé normalement ou nu, on n’aurait pas forcément saisi l’étrangeté de la situation.” Perdu dans un infini de bleus impressionnistes, l’astronaute solitaire du peintre Andreas Claussen est le protagoniste d’une dystopie à peu près plausible: la généralisation de crues à échelle planétaire, condamnant à terme toute existence terrestre inapte à survivre sous les flots. “C’est vraiment facile d’être pessimiste face à notre monde”, lâche l’artiste allemand, dont le déclic pour sa série Flood s’est opéré lors de vacances familiales sur la très privilégiée île de Sylt. “Si vous visitez Sylt avant l’été, vous remarquerez que le sable est systématiquement pompé hors de la mer et ramené sur la plage, poursuit Claussen. Sans ces efforts immenses, la plage disparaîtrait d’ici quelques années, et l’île serait alors en grand danger.” Motif hérité des oeuvres de science-fiction qu’affectionne le peintre (“Seul sur Mars d’andy Weir est une grande inspiration, j’ai l’impression de l’avoir directement copié”), la figure de l’astronaute propulsé en milieu hostile se déploie ici au gré de vignettes elliptiques et monotones, tout juste sauvées de la désolation par la présence comique de bouées de sauvetage en décalage avec la situation à affronter. Flamand rose, canard jaune, licorne et même poupée gonflable deviennent ainsi les uniques compagnons d’errance de cette entité anonyme, laquelle se fend occasionnellement d’un doigt d’honneur accusateur à l’adresse du spectateur, notamment lors d’un selfie où flotte une cannette en arrière-plan. “Je ne sais pas si l’astronaute est revenu de mission sur une Terre inondée ou si c’est un(e) survivant(e) qui a trouvé une combinaison ACES”, avoue l’artiste, chez qui la notion de “déluge” revêt ici un double sens: “Il n’y pas que l’élévation du niveau de la mer. Le monde est aussi inondé de fake news, de stress, de peur, de doute, d’incertitude.” Avant d’ajouter, candide: “Mon travail essaie d’inonder le monde d’une humeur optimiste.” Toujours ça de pris.