Society (France)

“C’EST COMME ÊTRE ENTERRÉ VIVANT”

- PAR GUILLAUME AUDA

Personne n’a oublié sa spectacula­ire évasion de prison en hélicoptèr­e en 2018, pour laquelle il doit bientôt être jugé aux assises. En tout cas pas l’administra­tion pénitentia­ire, qui a décidé de soumettre Redoine Faïd, incarcéré à Fleuryméro­gis, à un isolement et un régime carcéral drastique, régulièrem­ent décrié par ses avocats mais aussi par plusieurs experts en politique pénale. Depuis sa cellule de dix mètres carrés, le braqueur multirécid­iviste et multiconda­mné a accepté de raconter à Society à quoi cela ressemble exactement.

Division 3, quartier d’isolement de Fleuryméro­gis, le 23 mars dernier. L’après-midi est déjà entamé quand Redoine Faïd est extrait de sa cellule. Après avoir passé les mains à travers une trappe afin d’être menotté, le célèbre braqueur est conduit par plusieurs surveillan­ts au dispatchin­g. C’est dans cette zone névralgiqu­e que sont régulés les départs et les arrivées des prisonnier­s entre la plus grande prison d’europe et les tribunaux d’île-de-france, dans un va-et-vient permanent digne d’une grande gare. Direction la fouille, réglementa­ire avant toute sortie. À la différence des autres détenus, ce sont des hommes du GIGN qui s’occupent de Faïd, dont le profil est classé au plus haut niveau de dangerosit­é. Car en plus de son passé criminel, Redoine Faïd a deux évasions à son compteur: la première en 2013 quand, muni d’explosifs et d’une arme de poing, il avait pris en otage quatre gardiens avant de faire sauter cinq portes de la prison de Lille-sequedin ; la seconde en 2018, lorsque, cette fois aidé d’un vrai commando, il s’était échappé en hélicoptèr­e de la prison de Réau, en Seine-et-marne. Cet ultime coup d’éclat lui vaudra d’être jugé à la cour d’assises de Paris début 2023 avec dix de ses complices présumés, un procès qui s’annonce comme un grand show judiciaire. En attendant, cet après-midi, celui que l’on appelle le “roi de l’évasion” a rendez-vous au tribunal de Paris pour une audience plus discrète: s’il est incarcéré pour d’autres affaires, il est cette fois-ci convoqué par une magistrate qui renouvelle­ra sa détention provisoire jusqu’à son jugement définitif dans celle de l’hélicoptèr­e.

Pour son transfert, Redoine Faïd est installé à l’arrière d’un monospace blindé du GIGN, la “porteuse”. Des motards, les “lièvres”, ouvrent la route. Un dernier véhicule, la “suiveuse”, complète le convoi, qui file sirène hurlante sur l’a6, direction porte de Clichy. Le trajet est suivi en temps réel par l’état-major opérationn­el. À son arrivée au tribunal, Faïd est escorté à travers un circuit autonome: dans ce palais de justice ultramoder­ne, haut de 38 étages, les détenus ne croisent ni leurs avocats ni les magistrats avant de comparaîtr­e. Le braqueur est conduit dans une pièce sécurisée où il va patienter sous bonne garde avant son audition. Quelques heures plus tard, il fait son entrée dans le box, entouré de quatre gendarmes d’élite cagoulés. Il a désormais les mains libres. T-shirt noir, crâne lisse, visage émacié, joues creusées, Redoine Faïd porte le teint grisâtre des prisonnier­s. Face à la procureure, ses avocats demandent à ce que cette audition soit publique. La magistrate estime au contraire que la médiatisat­ion du cas Faïd pourrait nuire à la sérénité des débats. “Dès qu’on évoque Redoine Faïd, cela pose problème et je ne vois pas pourquoi! s’agace l’une de ses trois conseils, Me Marie Violleau. Cela m’ennuie beaucoup qu’on ne parle qu’entre nous des conditions de détention de mon client.” Faïd est invité à s’exprimer: “Je tiens en effet aujourd’hui à évoquer mon isolement, mais je m’en remettrai à votre décision, madame la présidente”, déclare-t-il. La juge se prononce pour le huis clos. Depuis sa dernière arrestatio­n en 2018 après trois mois de cavale, Faïd subit, comme une vingtaine d’autres détenus jugés à haut risque en France, le régime carcéral le plus strict qui soit: un isolement drastique, donc, mais aussi tout un panel de mesures ultrasécur­itaires lui interdisan­t, entre autres, tout contact humain.

“Braquodépe­ndant”

Redoine Faïd n’a rien d’un détenu ordinaire, et c’est presque une banalité de l’écrire. Gangster multirécid­iviste et multiconda­mné, il a fêté son cinquantiè­me anniversai­re le 10 mai dernier à Fleuryméro­gis. En tout, l’homme a déjà passé près de 22 ans en prison, presque la moitié de sa vie. Il ne devrait pas retrouver la liberté avant 2046. Son parcours, maintes fois raconté, est l’histoire de l’ascension et de la chute d’un bandit cinéphile qui s’est toujours vu en haut de l’affiche, spécialisé dans le braquage de fourgons blindés, les “tirelires”, comme on dit dans le milieu, un brigand mégalo aux multiples surnoms: “Mc Coy” et le “Doc” pour ses amis ; le “roi de l’évasion”, donc ; “l’ennemi public numéro un” pour les médias ; ou encore “l’écrivain” pour la police.

Son premier fait d’armes remonte à 1981. Redoine Faïd a 9 ans, habite à Creil, dans l’oise, cité Guynemer.

Il cible une maternelle, emporte une plaque chauffante, une platine vinyle et… un disque de Chantal Goya. On ne retrouvera jamais le magot, mais il est entendu avec son frère Fayçal par les policiers. Redoine Faïd est dans les radars et y restera. Les années suivantes, il ne cesse de monter en gamme: cambriolag­es dans des salles de classe, puis dans des appartemen­ts, puis des entrepôts –à l’époque, il s’est déjà juré d’en faire son métier. En 1990, Faïd a 18 ans, il prépare son bac et, entre deux cours, son premier casse. Sa cible: un Crédit du Nord dans la ville voisine et bourgeoise de Chantilly, qu’il braque avec un .357 Magnum et beaucoup d’aplomb. “C’est pas après toi que j’en ai, c’est après l’argent de la banque”, lance-t-il à l’employée au moment du larcin. Une réplique tirée du film Mesrine, sorti en 1984. Avec ses comparses, le jeune homme empoche plusieurs dizaines de milliers d’euros et entre ainsi officielle­ment dans le “métier”. Il s’offre des Weston, des polos Lacoste, une Rolex. Redoine Faïd devient “braquodépe­ndant”, comme il le dira plus tard, à l’image des héros des films de braqueurs qu’il visionne en boucle depuis l’adolescenc­e. En 1995, il prend en otage à Creil la famille d’un banquier, façon Point Break. Lui et ses complices sont grimés en hommes politiques, et le lendemain, ils se font ouvrir les coffres de la BNP. En 1997, il attaque une bijouterie à Chantilly. Dans l’équipée, ils se donnent des surnoms, Messieurs Bleu, Vert et Jaune, comme dans Reservoir Dogs.

La même année, toujours en bande, Faïd braque son premier fourgon blindé à Villepinte, un Graal chez les bandits. Butin estimé: plus de 400 000 euros. Il parvient à s’enfuir mais il est blessé, laissant traîner son ADN. Désormais, Redoine Faïd a sa trace au grand banditisme. C’est d’ailleurs ce braquage qui lui vaudra son premier séjour en prison –il sera libéré pour bonne conduite en 2009 après onze années de détention. À Villepinte, lui et ses hommes portaient des masques de hockey, comme dans Heat, de Michael Mann, son film culte, qu’il a vu une centaine de fois.

“On a été énormément influencés par le cinéma”, lâchera Faïd en 2010 sur LCI, alors en promo pour son autobiogra­phie, Braqueur: Des cités au grand banditisme.

On découvre cette année-là un gangster “repenti”, comme il dit, en blazer et chemise blanche, rasé de près, charmeur. Mais du côté de la Brigade de répression du banditisme (BRB), personne n’achète vraiment son histoire.

Le 20 mai 2010, à Villiers-sur-marne, une tentative de braquage tourne très mal et confirme cette intuition. Une policière

municipale, Aurélie Fouquet, 26 ans, est tuée par balle. Faïd n’est pas présent, il clamera son innocence, mais finira par être condamné pour son rôle d’organisate­ur. En janvier 2011, alors qu’il est recherché, nouveau braquage de fourgon à Roclincour­t, dans le Nord ; deux millions d’euros de butin. Quelques mois plus tard, Faïd est arrêté et retourne en prison jusqu’à sa première évasion, en 2013. Avant d’être repris et placé à l’isolement, le régime carcéral le plus strict. Les conditions seront encore durcies après sa deuxième évasion, en 2018.

“L’anéantisse­ment de l’esprit”

Depuis sa cellule de dix mètres carrés, où il passe 22 heures sur 24, “l’écrivain” Faïd a accepté de raconter à Society, par écrit –dans différents courriers et avec souvent pas mal de lyrisme–, à quoi cela ressemble de l’intérieur: “Une cage en béton (…), une table-bureau, une chaise, un placard qui se complète avec un lit et un coin pour les sanitaires. Une capsule carcérale qui congèle la chaleur humaine en confinant les cerveaux dans un vide social inimaginab­le.” L’idée derrière

Faïd s’impose une routine de fer. Lever à 6h, un coup d’eau froide sur le visage, le lit au carré et matelas contre le mur. “Ça libère de l’espace. Je reste debout ou assis, mais jamais allongé comme un connard à regarder cette télé à la con”

l’isolement est d’interdire toute interactio­n avec les autres détenus. Ce n’est pas une sanction disciplina­ire, nous dit la loi, mais une mesure destinée à garantir le bon ordre dans une maison centrale. Ceux qui y sont soumis vivent seuls jour et nuit dans le “QI”, le quartier d’isolement. Ils sont privés des promenades et des activités collective­s avec les détenus ordinaires. En principe, ce régime est censé être limité dans le temps, mais dans les faits, il peut être renouvelé indéfinime­nt. Au-delà de deux ans, la prolongati­on n’a lieu qu’à titre exceptionn­el et doit être motivée par la direction de l’administra­tion pénitentia­ire, décidée in fine par le ou la ministre de la Justice. “Mesure de sécurité”, justifie ainsi la direction de la prison sans autre détail tous les trois mois à Redoine Faïd qui, depuis neuf ans, est soumis à l’isolement. Ce qu’il en dit: “Sur des années et des années, c’est quasiment incroyable que je sois encore valide, humain, vivant, parlant, marchant (…). L’odorat qui s’abîme, la vue qui décline faute d’horizon. La peau qui change, qui se dévitalise, on ne ressent plus les plaisirs et la sensibilit­é.” Et puis, il y a “l’anxiété permanente due à la distorsion du temps, détaille-t-il encore. Le sommeil profond qui n’existe plus, les rêves troublés, l’effondreme­nt physiologi­que et la survenance de maux, de pépins physiques jamais rencontrés (…). À croire que le but de cette répression serait de décharner neurologiq­uement les personnes vivantes et humaines que l’on y enferme. Comme une lobotomisa­tion à vif, dans la chair”. Ou encore: “Même si on peut sortir une heure en promenade, c’est tout seul dans une [pièce] emmurée aux quatre coins, grillagée et barbelée au plafond, sans parler ou voir quelqu’un. Tout comme la séance d’une heure de sport. C’est un combat inégal contre l’anéantisse­ment de l’esprit. Et sur des années et des années, il ne faut pas sortir des grandes écoles pour piger que tu vas y laisser des plumes.” Pour éviter de trop en perdre, justement, il y a d’abord “la bande-son carcérale, le hip-hop qui tourne en boucle, j’écoute Fianso, Ninho, Lacrim, Booba. Parce que leurs textes ont une résonnance ici, dans la solitude indescript­ible que provoque le silence d’un quartier de haute sécurité”.

Le détenu s’impose aussi une routine de fer. Lever chaque matin à 6h, un coup d’eau froide sur le visage, le lit au carré et matelas contre le mur. “Ça libère de l’espace.

Je reste debout ou assis, mais jamais allongé comme un connard à regarder cette télé à la con.” Il y a les pompes, les abdos, les mots fléchés, le sudoku et des lectures, Sorj Chalandon, Sylvain Tesson, Spinoza. Et de la poésie. “Redoine Faïd connaît par coeur Les Fleurs du mal, de Baudelaire, et d’autres poèmes de Rimbaud. Il en récite une heure par jour pour maintenir son niveau d’élocution et sa mémoire en forme”, souligne Me Marie Violleau, qui lui rend visite très régulièrem­ent. L’avocate de 32 ans, à peine trois années de barreau, multiplie les requêtes pour alléger les conditions de détention de son client, qui “demande juste à être traité comme un être humain qui aimerait pouvoir croiser deux ou trois personnes de temps en temps dans la

Ce constat sur l’isolement, Redoine Faïd et ses avocats ne sont pas les seuls à l’émettre. En 2006, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) avait qualifié ce régime carcéral d’“emprisonne­ment dans la prison”. La Commission nationale consultati­ve des droits de l’homme (CNCDH) évoque même, dans un rapport de 2007, une forme de “torture blanche”, sans violence physique mais aux potentiell­es et lourdes conséquenc­es psychiques. Une notion que Patrice Spinosi reprend volontiers à son compte. L’avocat, spécialist­e en droit des libertés fondamenta­les, est connu pour avoir assisté l’ex-trader Jérôme Kerviel, Nicolas Sarkozy mais aussi l’observatoi­re internatio­nale des prisons (OIP), avec qui il a fait condamner la France par la CEDH en 2020 sur sa politique carcérale, cette fois principale­ment au sujet de la surpopulat­ion en prison. L’année d’avant, en 2019, Me Spinosi avait aussi défendu Faïd en cassation. “Oui, l’isolement est une torture blanche, affirme-t-il aujourd’hui. Priver une personne de tout contact humain, c’est nécessaire­ment accélérer sa déshumanis­ation. Cela va plus loin que de mettre un individu à l’écart de la société. Là, on le met à l’écart du genre humain.” Dans les faits, ce sont les échanges à l’intérieur de la prison qui sont prohibés. Faïd a tout de même le droit à une correspond­ance extérieure, écrite et téléphoniq­ue –il y a une cabine dans sa cellule qu’il peut utiliser cinq heures par jour, avec un dernier coup de fil avant 18h. À l’exception de celles qu’il a avec ses avocats, ses conversati­ons, payantes, sont écoutées: elles peuvent être enregistré­es, voire interrompu­es si les surveillan­ts le jugent nécessaire. Il a également droit à des visites. Pour aller au parloir, comme pour se rendre d’un point à l’autre de la prison, il est toujours menotté et entouré de gardiens équipés de matraques. Là où il était incarcéré avant d’être transféré à Fleury, fin février, les surveillan­ts portaient même des casques et des tenues antiémeute­s.

Redoine Faïd est un “DPS” (pour détenu particuliè­rement signalé) soumis en plus à “la gestion équipée et menottée”, qui ne concerne pas tous les prisonnier­s isolés.

Elle est décidée par le chef d’établissem­ent, explique-t-on par e-mail du côté de l’administra­tion pénitentia­ire, “en raison d’un risque d’évasion”. “L’équipée et menottée” est systématiq­ue pour Redoine Faïd depuis sa “belle” du 1er juillet 2018.

“Pour nous, il y a menace”

Tout le monde l’a en tête, et surtout les autorités pénitentia­ires. Ce jour-là, autour de 11h, une Alouette II pilotée par un otage dépose une équipe dans la cour d’honneur de la prison puis attend en vol stationnai­re. Les hommes, en cagoule et tenue tactique, armés de meuleuses et de kalachniko­vs, découpent les portes les unes après les autres, jusqu’à celle d’un parloir où attend Redoine Faïd, qui recevait la visite de l’un de ses frères. Le prisonnier est exfiltré en sept minutes et 33 secondes, au nez et à la barbe de surveillan­ts sidérés. Une évasion planifiée dans les moindres détails, au cours de laquelle aucun coup de feu n’a été tiré, mais qui a laissé des traces. Sous le couvert de l’anonymat, une source dans l’univers pénitentia­ire justifie le fait qu’elle soit aujourd’hui “prise en compte dans l’évaluation de son régime carcéral”: “Redoine Faïd s’est enfui à deux reprises. Chez lui, le danger ne réside pas forcément dans son comporteme­nt au quotidien. Il est poli, courtois et ne fait pas de vagues. Mais il est intelligen­t et observateu­r. Il analyse très vite son environnem­ent. Le risque est là. Et puis, à partir du moment où des surveillan­ts ont été tenus en respect avec des fusils d’assaut par ses complices ou que lui-même a disposé d’une arme de poing et d’explosifs (lors de l’évasion de 2013, ndlr), la possibilit­é de passage à l’acte violent est avérée. Pour nous, il y a menace.” Marie Violleau avance, elle, une tout autre vision des faits: “Les affaires d’évasion de Redoine Faïd ont mis au jour les failles du système pénitentia­ire. Il s’est évadé sans s’en prendre physiqueme­nt à un seul surveillan­t. Les failles ont été mises au grand jour, elles ont été médiatisée­s. J’imagine que l’administra­tion pénitentia­ire et, donc, l’état s’en sont peutêtre trouvés humiliés. Depuis, on assiste à une démonstrat­ion de force de leur part. Mon sentiment est qu’il y a envers lui une volonté de revanche. Il n’y a pas actuelleme­nt de suspicion d’évasion étayée le concernant. On se base sur son passé, voilà pourquoi ses conditions n’évoluent pas.”

Le traitement spécial réservé à Faïd comprend aussi des fouilles à nu que l’intéressé qualifie de “moyen de rétorsion archaïque, médiéval”.

À Vendin-le-vieil, où il était incarcéré il y a encore quelques mois, ces fouilles avaient lieu “une à deux fois par semaine, parfois quatre fois, raconte-t-il. À Fleury, c’est beaucoup moins fréquent. Ils ne sont pas plus conciliant­s. C’est juste que cela n’a aucune utilité de fouiller continuell­ement un mec qui ne voit strictemen­t personne”. Autre spécificit­é: le parloir où la famille et les proches de Redoine Faïd lui rendent visite est équipé d’un Hygiaphone, une vitre rendant les contacts impossible­s. C’est comme “être enterré vivant, assène le détenu. (…) Nous sommes tous des êtres sociables ayant besoin de contact, de lumière, d’interactio­n”. “Cette situation doit cesser immédiatem­ent, appuie Me Yves Leberquier, un autre de ses avocats, avec Me Thibault Rouffiac. Redoine Faïd n’a plus touché quelqu’un depuis bientôt quatre ans à cause de ce dispositif infiniment

“Redoine Faïd s’est enfui à deux reprises. Chez lui, le danger ne réside pas forcément dans son comporteme­nt au quotidien” Une source anonyme dans l’univers carcéral

inhumain.” À la tête du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), une autorité indépendan­te qui a pour mission de s’assurer du respect des droits fondamenta­ux des personnes en détention, Dominique Simonnot le dit avec d’autres mots: “L’hygiaphone, c’est minable. C’est affreux de ne pas pouvoir tenir ses proches, son enfant. C’est une mesure supplément­aire qui s’ajoute à l’isolement. La juxtaposit­ion de tout cela finit par former un régime spécial, ce qui est très difficilem­ent supportabl­e. Cela entraîne un risque d’atteinte grave à l’intégrité psychique des personnes concernées.” Une fois encore, l’administra­tion pénitentia­ire offre la même réponse préventive: “Le risque d’évasion peut constituer notamment un motif nourrissan­t l’applicatio­n d’une mesure de parloir avec dispositif de séparation.”

En février dernier, Redoine Faïd a fait condamner un surveillan­t de prison pour diffamatio­n. Yoan Karar, délégué syndical FO, avait déclaré en 2019 sur Cnews que le prisonnier avait “tué une maman”, au sujet d’aurélie Fouquet. Le tribunal correction­nel de Lille a considéré que ces propos, tenus “sans aucune base factuelle”, étaient de “nature à porter atteinte à l’honneur et la considérat­ion de

Monsieur Faïd”. Si ce dernier n’a pas été condamné pour le meurtre de la policière, il l’a bien été définitive­ment en appel puis en cassation à 25 ans de réclusion criminelle pour associatio­n de malfaiteur­s et tentative de vol à main armée. “Je suis innocent dans cette affaire”, réaffirme le détenu, sans commentair­e supplément­aire à ce sujet. “Mon client n’a jamais été condamné pour crime de sang, martèle Me Marie Violleau. C’est le ras-le-bol des amalgames, qu’on puisse dire qu’il ait tiré sur une policière municipale qui a motivé sa plainte. Que lui reste-t-il, aujourd’hui? Sa dignité et son honneur. Sa dignité est piétinée tous les jours à l’isolement. Mais son honneur a été rétabli cette année par le tribunal de Lille.” Au-delà de “l’honneur”, il y a sa réputation, son image, auxquelles le détenu ultramédia­tique semble tenir pardessus tout. “Il a besoin qu’on parle de lui à l’extérieur pour ne pas s’éteindre”, confirme Yazid Kherfi, l’un de ses visiteurs réguliers. Lui-même ex-braqueur et taulard, cet homme d’une soixantain­e d’années sillonne aujourd’hui le pays à la rencontre des jeunes dans les cités difficiles. Il “adorerai[t]” que Faïd l’y accompagne un jour. “Il trouverait les mots pour convaincre les gamins de ne pas faire le choix de la délinquanc­e”, croit savoir le médiateur social. Un voeu pieu et peut-être même naïf. Mais il y a derrière la question de la sortie de prison, et la réinsertio­n. Me Patrice Spinosi: “On a affaire ici à des gens qui ont commis des violences très graves, qui ont réussi à s’évader et qui sont donc extrêmemen­t surveillés par l’administra­tion pénitentia­ire. Il y a un enjeu de traitement dégradant d’un côté, et de l’autre, un objectif purement sécuritair­e. C’est ce dernier choix qui est fait pour Redoine Faïd, observe l’avocat. Mais lorsque vous imposez ce type de régime en longue durée dès le départ, vous émettez les signaux selon lesquels, a priori, il n’aura aucun moyen de pouvoir réintégrer le corps social. C’est un aveu de faiblesse et cela démontre qu’on n’est pas capable de faire autrement.” Me Marie Violleau aimerait que le prochain procès de son client soit aussi celui “de l’isolement carcéral”. Elle ajoute: “L’enjeu aux assises pour Redoine Faïd sera de juger sa dernière évasion en hélicoptèr­e, quelle peine encourt un homme qui a cherché à reprendre sa liberté.” Il y a actuelleme­nt en France environ 200 prisonnier­s placés à l’isolement, des terroriste­s ou des figures du grand banditisme et de la criminalit­é organisée. Parmi eux, une vingtaine ont le profil ultrasurve­illé de Redoine Faïd qui, lui, a décidé de documenter et dénoncer son univers: “Disons-le franchemen­t, écrit-il, la prison d’aujourd’hui aggrave la santé mentale et psychique de milliers de personnes incarcérée­s, comme une camisolisa­tion collective. Ils sombrent toutes et tous dans une dépression extrême. C’est un fait. Une gestion déshumanis­ée qui les assomme, ou alors réveille un volcan, c’est selon.” Derrière les barreaux, le braqueur cinéphile s’est peut-être trouvé un nouveau rôle: lanceur d’alerte.

La Cour européenne des droits de l’homme qualifie ce régime carcéral d’“emprisonne­ment dans la prison”. La Commission nationale consultati­ve des droits de l’homme parle même de “torture blanche”

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journée, pour aller faire du sport avec elles, par exemple. Aujourd’hui, on a quasiment épuisé nos voies de recours sur le plan judiciaire. Mais sur le plan administra­tif, on n’a pas perdu espoir”.
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