Society (France)

RETOUR A BIRMINGHAM

- PAR THOMAS ANDREI PHOTOS: THEO MCINNES POUR SOCIETY

En choisissan­t de raconter dans Peaky Blinders l’histoire d’une famille de gangsters gitans de l’entre-deuxguerre­s, Steven Knight ne s’attendait pas à ce que le passé trouve autant d’échos dans l’actualité. Et pourtant, dans l’ultime saison de l’odyssée de la famille Shelby (diffusée sur Netflix depuis le 10 juin), le personnage central, devenu aristocrat­e, combat maladies, racisme, montée des extrêmes et condescend­ance envers les classes populaires. Pas seulement une coïncidenc­e, explique son créateur.

Peaky Blinders dépeint la vie d’une famille issue de Small Heath, un quartier populaire de Birmingham. Vous n’y avez pas grandi vous-même, n’est-ce pas? Non, j’ai grandi un peu plus loin, dans un quartier des années 1950 où beaucoup de gens du centre-ville ont déménagé après la guerre. Ça n’avait pas le même caractère, mais les personnage­s étaient similaires. Ce sont mes parents qui viennent de Small Heath et ce sont leurs histoires qui ont inspiré la série. Quand elle était petite, ma mère allait parier chez le bookmaker pour son père –le pari était illégal, alors les gens envoyaient des gamins pour que ça passe inaperçu–, il pariait sur tout. Il avait un job dans une usine qui construisa­it des trains. Le jeudi soir, il pariait son salaire et il n’avait plus rien le lendemain. Ma mère descendait Little Green Lane avec un panier à linge dans lequel étaient cachés l’argent et le nom des chevaux sur lesquels parier. Et les oncles de mon père étaient des bookmakers illégaux que les gens connaissai­ent à l’époque sous le nom de peaky blinders. Je ne les ai pas connus. Ils s’appelaient Sheldon, mais la BBC ne voulait pas qu’on utilise ce nom. Shelby sonne plus heureux. J’allais moimême dans le quartier quand j’étais petit, surtout pour voir jouer le Birmingham FC. C’était l’époque où ils détruisaie­nt les rues. À chaque pub qu’ils démantelai­ent, mon père, mon oncle ou ma tante me racontaien­t une anecdote liée au pub en question.

Vous avez l’impression de redonner vie à cette ville qui n’existe plus, grâce à Peaky Blinders? D’une certaine façon, oui. En Angleterre, beaucoup de villes bombardées pendant la Seconde Guerre mondiale ont connu le même sort. Quand j’étais petit, de grands pans de la ville étaient encore couverts de débris (alors que Knight est né en 1959, ndlr). Beaucoup de gens étaient sans abri et la solution la plus facile pour les reloger a été de construire vers le ciel, en érigeant des barres d’immeubles. Et pour cela, il a fallu raser toutes les rues mitoyennes. Maintenant, on voit ça comme une erreur. Mais il faut se rappeler qu’il n’y avait pas d’argent, à l’époque. Et il fallait bien faire quelque chose.

Toutes ces flammes, cette fumée et cette boue noire que l’on voit dans la série, c’est donc réaliste? Dès le début, j’ai dit aux réalisateu­rs et aux décorateur­s d’imaginer un enfant qui, plus vieux, se souviendra­it de comment étaient les choses. Les usines n’étaient pas sûres et étaient très proches de la rue. Donc les flammes, on prend une liberté artistique là-dessus, mais ça a pu exister. J’espère avoir ressuscité dans l’imaginaire des gens une ville qui a un jour existé. Ou du moins dans mon imaginatio­n. En réalité, la ville de la série a surtout été bâtie à partir d’histoires racontées par mes parents, de lointains souvenirs. C’est construit sur des nuages. Mais j’ai aussi utilisé un environnem­ent que j’ai connu enfant. Mon père était maréchal-ferrant. Il faisait des fers à cheval et il allait sur des chantiers de ferraille, un monde plein de grands chevaux, de péniches et de gitans. Pour moi, c’était incroyable­ment romantique. Excitant et effrayant à la fois. Les chevaux savent quand tu as peur.

Il paraît que certaines histoires racontées par vos parents étaient trop horribles pour que vous les utilisiez dans la série. Comme quoi, par exemple?

On ne m’a jamais décrit Birmingham comme un endroit horrible, mais il y avait des éléments qui l’étaient. Les hommes se saoulaient et battaient leurs femmes. Tous les enfants disaient que leur père était violent. C’était comme ça. Tu ne veux pas de ça dans une série actuelle. C’est trop horrible. On m’a aussi raconté qu’un mec faisait le tour des pubs du quartier avec une cage. Dedans, il y avait un rat et il le combattait avec ses dents. Il le tuait et les gens le payaient pour voir ça. On dirait un film des Monty Python. En même temps, ma mère me disait que les enfants jouaient tout le temps dehors. Dans le noir. Moi, si mes enfant étaient sortis après 20h, je serais devenu fou! Leurs vies étaient dures, mais ils avaient aussi une liberté fantastiqu­e.

Dans le scénario du tout premier épisode, il est écrit que, malgré la pauvreté, ce n’est pas du désespoir que l’on doit ressentir mais ‘une grande énergie’. En fond sonore, on entend le rugissemen­t de l’industrie lourde. Quand les Shelby marchent dans Birmingham, il y a toujours des gens qui travaillen­t autour d’eux. Travailler dur, cela fait partie des valeurs que l’on vous a inculquées? Absolument. La culture familiale consistait à travailler des heures durant et être vidé à la fin. Mon père a aussi travaillé dans des usines, des fonderies, des briqueteri­es. J’ai deux soeurs et quatre frères. On se levait le matin pour aller à l’école et il nous demandait parfois si on préférait aller à l’école ou avec lui. Donc mes frères et moi allions avec lui. Il voulait que l’on devienne tous forgerons. Un de mes frères l’a fait. Il y est arrivé. Il en avait les capacités. Mais pas le reste d’entre nous. C’est un travail à se briser le dos. Encore aujourd’hui, quand je pense que je n’ai pas réussi à suivre la voie de mon père, je ressens un sentiment d’échec. Quand tu es petit, c’est ça qui compte: tu veux impression­ner ton père.

Pour cette ultime saison, Peaky Blinders retourne à ses racines et notamment à ses racines gitanes. Le personnage principal, Thomas Shelby, est persuadé qu’un mauvais sort a été jeté à un de ses enfants. Vous avez vous aussi du sang gitan. Des membres de votre famille croyaient-ils aux sortilèges?

Oh oui! J’ai grandi dans un environnem­ent très superstiti­eux. Pour faire ses fers à cheval, mon père trouvait le métal dans une sorte de casse où il y avait beaucoup de trucs volés. Il rentrait ensuite à la maison avec plein d’objets trouvés, que ce soit des ornements ou des morceaux de statue. Il collection­nait les lampadaire­s.

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