Les contes de la crypto
Après plusieurs années d’euphorie, de promesses d’argent facile et de discours futuristes sur le “Web3” et la “révolution blockchain”, le marché des cryptomonnaies enchaîne, depuis quelques mois, les mauvaises nouvelles, entre dégringolade du cours du bitcoin et faillites en cascade. Depuis, crypto-adeptes et crypto-sceptiques s’affrontent: simple tempête passagère ou fin d’un grand mirage collectif?
Dans la salle principale de La Palmeraie, un ersatz de ciel étoilé s’étend sur un mur d’une vingtaine de mètres de long, avec un immense rideau noir troué de LED blanches. Des palmiers en carton-pâte rebondissent ici et là, essayant un peu mollement d’évoquer les Caraïbes. En ce début de mois de juillet, cette salle de conférence du sud-ouest parisien accueille la troisième édition du Paris Blockchain Summit, un événement dédié aux professionnels des blockchains, cryptomonnaies, NFT ou de la finance décentralisée. La langue officielle du jour: l’anglais. Le mot officieux, affiché partout, répété tout le temps: “trust”. Confiance. Le “Sponsor Diamant” de l’événement s’appelle Veritise, c’est un “outil de vérification et d’identification sur la blockchain”, et son leitmotiv n’est autre que “bring back trust”. Deux crans en dessous niveau prestige, le “Sponsor Cristal” répond au nom d’utrust (un système de paiement en ligne). À l’étage, sur la scène principale, la première keynote de la journée s’ouvre sur cette phrase: “La blockchain ne sert pas à faire de l’argent, elle sert à faire avancer la civilisation. Car nous avons toujours besoin de nouvelles manières de nous faire confiance.” Confiance, confiance, confiance. Et peu importe si c’est Idriss Aberkane, un essayiste grillé un peu partout après les révélations concernant son CV mensonger et son militantisme anti-vaccin, qui délivre ce discours. Peu importe, encore, si les organisateurs de l’événement ont piqué le nom à un concurrent, le Paris Blockchain Week Summit, organisé trois mois plus tôt.
Sur place, chacun semble ignorer ces paradoxes, si bien que la French Tech, le label sponsorisé par le gouvernement, a payé son stand, tandis que la viceprésidente du Parlement européen, la social-démocrate grecque Eva Kaili, était annoncée au programme (elle a finalement envoyé un message vocal préenregistré). On peut y voir le signe que, malgré une réputation sulfureuse, l’idée que les cryptos et la blockchain peuvent faire “avancer la civilisation” s’institutionnalise peu à peu.
Attirés par les points de croissance potentiels et l’émergence d’entreprises dites “licornes”, les politiques font d’ailleurs preuve d’une mansuétude accrue, ces derniers mois, vis-à-vis de l’écosystème. En avril, Emmanuel Macron expliquait au média crypto The Big Whale désirer que “nos principaux établissements culturels développent une politique en matière de NFT” et voyait dans le Web3 une “exigence et une chance à ne pas manquer. Celle que la France et l’europe soient leaders des futures générations du Web”. Le président de la start-up nation se faisait ainsi l’écho de l’une des promesses des entrepreneurs du secteur: après le Web statique des pionniers, le Web 2.0 des plateformes, ceux-ci défendent l’idée que les cryptomonnaies propulseront l’internet de demain, baptisé donc Web3. L’expression, assez floue et particulièrement populaire depuis l’an dernier, désigne un Web décentralisé, soi-disant libéré des pratiques prédatrices des GAFAM –le sigle qui désigne les mastodontes Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.
Pourtant, les cryptos vivent une période de crise intense, faite de chutes de cours et de faillites en cascade. En mai, L’UST, développé sur la blockchain Terra et l’un des principaux stablecoins (des cryptomonnaies généralement indexées sur une devise comme le dollar ou l’euro et donc censées être plus stables que les autres), s’est effondré.
Conséquence: le bitcoin est passé de 40 000 à 30 000 dollars. En juin, Celsius, une pseudo-banque crypto qui promettait des retours sur investissement jusqu’à 20%, a gelé les avoirs de ses clients. Nouvelle dégringolade du bitcoin, cette fois-ci à 20 000 dollars. Dans la foulée, Three Arrows Capital, un prestigieux investisseur du secteur, a mis la clé sous la porte. Celui-ci devait 350 millions de dollars à Voyager Digital, un courtier spécialisé, qui a donc dû déclarer faillite début juillet, laissant 100 000 clients en carafe. Autrement dit: c’est comme si, en huit semaines, l’or, l’euro, la Société Générale et l’un des plus gros fonds privés s’étaient tous effondrés, avec aucune institution chargée de venir à leur rescousse. Depuis, le cours du bitcoin refuse de remonter significativement. Certains spécialistes tablent sur une baisse aux alentours de 15 000 dollars pour les mois à venir.
Ainsi, si les speakers et les entreprises présents au Paris Blockchain Summit agissent collectivement comme le serpent hypnotiseur Kaa du Livre de la jungle, ce n’est pas entièrement par hasard. Leur avenir dépend en effet de la confiance des acteurs du milieu, des autorités et du grand public. Alors on passe la seconde, malgré l’empilement de mauvaises nouvelles. Sur la scène, la chief technical officer de Veritise explique ainsi que “les crises, c’est le moment parfait pour investir, car les gens sont ouverts à la disruption. Je crois qu’en réalité, le meilleur moment pour changer le monde, c’est maintenant”.
Dans les couloirs aussi, la machine à rationalisation tourne à plein et recycle les éléments de langage déployés depuis plusieurs semaines: “Les marchés se corrigent après la flambée des cours en 2021”, “au début d’internet, il y a aussi eu une énorme bulle spéculative” ou encore “le Web3, c’est l’internet de demain, qu’on le veuille ou non”.
Cette crise, que les aficionados appellent “crypto winter”, est-elle un bug du système ou était-elle prévisible? En d’autres mots, les cryptomonnaies étaient-elles destinées depuis le début à devenir un miroir aux alouettes? “Concrètement, les cryptos, c’est comme si vous donniez à n’importe qui une planche à billets, image Stephen Diehl, ingénieur informatique passé par l’industrie bancaire. Ils nous vendent cette idée du futur à grands coups de rhétorique
“La blockchain ne sert pas à faire de l’argent, elle sert à faire avancer la civilisation. Car nous avons toujours besoin de nouvelles manières de nous faire confiance” Idriss Aberkane, essayiste antivax et pro-crypto
populiste, en promettant aux gens que cela va les débarrasser des entités que tout le monde déteste, comme les banques et les plateformes sociales, mais ce faisant, ils proposent un système infiniment plus toxique.”
“Cypherpunks” et libertariens
Avant le Paris Blockchain Summit, avant Terra, Celsius, et avant même le bitcoin, il y avait un petit groupe d’activistes de la cybersécurité nommés “cypherpunks”, réunis dans une même liste de diffusion au début des années 1990. Parmi eux: Julian Assange, l’entrepreneur et investisseur Marc Andreessen, ou encore Bram Cohen, le créateur de Bittorrent. Tendance anar pour les uns, libertarienne pour les autres. Leurs adversaires sont les gouvernements en particulier, la politique en général. Dès l’origine, les cypherpunks pressentent l’émergence d’un Internet global potentiellement utilisable comme instrument de surveillance de masse. Alors, ils développeront des outils cryptographiques pour assurer l’anonymat des communications, la protection des données des utilisateurs et éviter la censure. Selon l’ingénieur informatique brésilien Jorge Stolfi, “ils ont vite compris que pour avoir un cyberespace réellement libre, ils auraient besoin d’un système de paiement indépendant de l’état”.
De nombreuses monnaies digitales verront ainsi le jour, mais ne dureront pas très longtemps, faute de systèmes suffisamment sécurisés ou de participants volontaires. En octobre 2008, un développeur encore anonyme à ce jour, opérant sous le pseudo Satoshi Nakamoto, annonce avoir trouvé la solution dans la technologie blockchain, ou “chaîne de blocs”. Une blockchain ressemble à un fichier Excel qui sert d’historique de transactions (quelle adresse possède quoi, quelle adresse doit de l’argent à quelle autre adresse, etc.). C’est une base de données stockée dans chaque ordinateur du réseau. Le système interroge toutes les dix minutes les machines pour s’assurer qu’elles détiennent bien les mêmes informations. En théorie, plus besoin de faire confiance au serveur centralisé d’une banque ni à des volontaires: la puissance de calcul est partagée. Ce fonctionnement décentralisé assure qu’aucun gouvernement, banque centrale ni entreprise ne puisse contrôler le réseau. En achetant du matériel adapté et en
consommant de l’électricité pour valider les futurs blocs, les participants ont une chance de recevoir un token ( jeton) en rémunération, couvrant théoriquement leurs coûts. Nakamoto a baptisé ce token “bitcoin”. On peut ainsi voir le bitcoin comme l’opposé de Wikipédia, qui réunit des milliers de bénévoles améliorant la base de données pour une seule raison: la croyance en la cause. “L’idée de Nakamoto, c’était: ‘Essayons de construire un réseau d’égoïstes cupides qui ne se soucient que de l’argent’, interprète Stolfi. Et ça a marché! Cela a forcé les gens à jouer selon les règles, car c’était dans leur intérêt.” Ainsi, le bitcoin trouve ses premiers adeptes parmi les réfractaires de tous bords, aux premiers rangs desquels les libertariens et les cypherpunks. “Toute l’idéologie du bitcoin était basée sur un rejet des institutions. Rappelons qu’il a été créé juste après la crise de 2008, un moment où les gens ne voyaient que de la corruption, de l’entre-soi et des désastres causés par le système financier”, embraye Stephen Diehl. Les marchés noirs ont par la suite servi de rampes de lancement à la monnaie numérique.
C’est en 2016 qu’intervient une deuxième “révolution” dans ce petit milieu, avec le développement des premières applications sur Ethereum, un réseau qui permet à n’importe qui de créer un service sur la blockchain. Son créateur, le Russocanadien Vitalik Buterin, expliquait en 2016 que “la seule fonctionnalité du bitcoin est l’échange de devises, alors qu’ethereum permet de créer tous types
d’applications”, et parlait du premier “ordinateur mondial” sur lequel peuvent s’exécuter des applications sans serveurs centralisés. Et donc, en échappant là encore à toute autorité centrale, gouvernement ou entreprise. En outre, Ethereum a introduit deux fonctionnalités cruciales. D’abord, les smart contracts, qui permettent de sécuriser les transactions. Ensuite, les créateurs des nouvelles applications avaient désormais la possibilité, eux aussi, d’émettre des tokens, qui s’apparentent à des actifs numériques ou des actions. Plus une application est utilisée, populaire ou prometteuse, plus la valeur de son token augmente. “Quand vous créez un token, c’est comme si vous entriez en bourse, mais sans avoir à passer par les autorités des marchés ni même
à créer une entreprise”, explique David Gerard, journaliste britannique et auteur du livre Attack of the 50 Foot Blockchain. De quoi attirer de nouveaux acteurs et investisseurs, et donc doper le marché émergent des cryptos. Qui a encore connu une accélération à partir de 2020, à la faveur du Covid: dans un monde dépourvu de compétitions sportives et de casinos, avec une économie mondiale à l’arrêt, il ne restait plus grand-chose sur quoi spéculer et espérer gagner de l’argent. À part les cryptomonnaies. Ainsi, entre mars 2020 et mars 2021, le cours du bitcoin est passé de 8 000 à 50 000 euros. Celui de l’ether, la cryptomonnaie d’ethereum, de 200 à 1 400 euros. Aujourd’hui, il existerait 19 000 cryptomonnaies, contre 180 monnaies dans le “vrai” monde.
Glauber aux mains de diamant
Jackson Palmer, moins cypherpunk que nerd féru de blagues internet, a créé l’une des cryptomonnaies les plus célèbres, le dogecoin. “En 2011, je travaillais déjà dans la Tech, donc j’ai rapidement entendu parler du bitcoin, dit-il aujourd’hui. C’était une tannée absolue pour participer au réseau.” En 2013, cet ingénieur en informatique australien, aujourd’hui âgé d’une trentaine d’années, s’intéresse aux “altcoins”, le nom alors donné aux cryptomonnaies alternatives au bitcoin, en plein boom à l’époque. “Je trouvais ce petit milieu trop sérieux, et il se trouve que j’étais souvent sur Tumblr, où l’on partageait beaucoup de conneries. Pour la blague, j’ai annoncé que j’allais créer une monnaie basée sur le mème Doge, avec un chien shiba inu pour logo. Le nom que j’ai trouvé: dogecoin.
C’était une vanne, hein, je n’avais pas prévu de la lancer...” Mais un autre ingénieur, Billy Markus, lui envoie alors un message pour lui proposer de monter le dogecoin ensemble. Quelques heures plus tard, la crypto était en ligne.
Pendant près de sept ans, la blague de Jackson Palmer ne vaudra pas grandchose, moins de 0,2 centime l’unité. Elle attendra 2020 pour réellement s’emballer, sur du vent. D’abord grâce à un challenge Tiktok qui fait monter le cours de près de 50%, puis à un tweet d’elon Musk: “Un mot: doge.” Nouvelle montée de 30% en 24 heures. Début janvier 2021, des forums de spéculateurs sur Reddit reprennent le flambeau, tandis qu’elon Musk affirme, encore sur Twitter, que le dogecoin est “la crypto du peuple”. En avril, le cours s’élève à 36 centimes, soit 86 fois sa valeur de décembre, puis il atteindra les 70 centimes en mai, avant un crash fin juin. “Rien n’avait changé, le projet était totalement à l’abandon depuis longtemps… C’était juste une folie spéculative menée par quelques opportunistes facétieux”, explique son créateur.
Parmi ces opportunistes facétieux du dogecoin, on retrouve Glauber Contessoto, 34 ans. Look slacker des années 1990 avec longues bouclettes et débit de parole très, très posé. “Presque toute ma vie, j’ai été en galère de fric, raconte ce fils d’immigrés brésiliens aux États-unis. Jusqu’à mes 30 ans, en fait. En 2018, j’ai trouvé un boulot à la communication d’une start-up à Los Angeles, je gagnais enfin un peu d’argent. C’était le moment où les analystes disaient que l’action de Tesla allait s’écrouler, et effectivement, son cours baissait. C’est là que je me suis dit ‘mais non, Tesla c’est l’avenir’, alors j’en ai acheté pour 5 000 dollars. YOLO: c’étaient toutes mes économies. Chaque mois, je rajoutais tout ce que je pouvais économiser sur mon salaire dans du Tesla, du Tesla, du Tesla...” En 2020-21, le cours de l’action de l’entreprise d’elon Musk explose et Glauber double sa mise. Il tombe ensuite sur les tweets du milliardaire au sujet du dogecoin et décide de le suivre: il liquide 200 000 dollars et les réinvestit dans cette cryptomonnaie le 5 février 2021. “Je suis fan de marketing, et j’ai trouvé ça génial: une crypto qui est en même temps un mème! L’ethereum était cher, le bitcoin encore plus, tandis que le dogecoin valait quatre centimes. Pour moi, c’était sûr et certain que les gens iraient vers ça.”
“Tu ne vends ja-ja-jamais. Si tout le monde vend quand ça monte, le cours s’effondre et tout le monde perd!” Glauber Contessoto, connu comme le “Dogecoin Millionnaire”
Convaincu qu’il va toucher le pactole, il achète le nom de domaine www.thedogecoinmillionnaire.com, crée des pages sur tous les réseaux sociaux et une adresse mail. Son idée? “Comme ça, quand je deviendrai millionnaire, tout sera prêt pour un plan média!”
En avril, exactement 69 jours plus tard, son investissement atteint le million. Glauber contacte alors plusieurs journaux américains, qui mordent tous à l’hameçon, publient des articles à son sujet et le désignent, exactement comme prévu, “The Dogecoin Millionnaire”. Les interviews de Glauber ajoutent à la folie dogecoin. D’un côté, il devient une petite célébrité dans le milieu, et de l’autre, la folie spéculative s’intensifie encore. Quelques semaines plus tard, ses dogecoins valent trois millions de dollars.
Selon le jargon de la culture crypto, Glauber est un diamond hand, car malgré son coup de chance incroyable, il refuse obstinément d’échanger ses cryptos, inutilisables dans la “vie réelle”, contre des dollars. “Diamond hands, ça veut dire: tu ne vends ja-ja-jamais. C’est l’opposé des paper hands, qui vendent dès qu’il y a un mouvement de panique. Et si tout le monde vend quand ça monte, le cours s’effondre et tout le monde perd! Ce que j’aime dans la crypto, c’est l’aspect communautaire, nos petites blagues d’initiés. Il y a un petit côté famille, on traverse les bons et les mauvais moments ensemble.” Quand on le pousse un peu dans ses retranchements, on réalise que dans ce système tout entier bâti sur la cupidité, Glauber refuse surtout de vendre pour trois raisons.
La première? Les impôts sur la plus-value des actifs digitaux (à hauteur de 55% aux États-unis). La deuxième: il pense que le dogecoin va remonter. Et surtout, la troisième, qu’il assume pleinement: “Le Dogecoin Millionnaire, c’est comme une marque. On me connaît parce que je suis le mec qui ne vend pas. Et ça me permet de signer des partenariats avec des entreprises. Rien que l’an dernier, j’ai gagné 400 000 dollars grâce à ça.” Il vient d’achever le tournage d’un documentaire sur son parcours, qui devrait atterrir d’ici le mois de septembre “sur Netflix ou HBO Max”, promet-il.
“Have fun staying poor”
Ce petit côté “famille” dont parle Glauber se traduit par un jargon très spécifique, qui renseigne parfaitement sur les attitudes et angoisses collectives des fans de cryptos. Outre les “mains de diamant” ou de “papier”, il y a l’acronyme WAGMI (We are all gonna make it), utilisé lors des moments difficiles, pour se rassurer entre eux. Ceux qui perdent la confiance sont appelés les NGMI (Not going to make it). Dans la communauté, nombreux sont absolument persuadés qu’une crise économique majeure est imminente et inéluctable, et que les cryptos représentent l’unique valeur refuge. Alors, il faut BTD (Buy the dip, pour “acheter à la baisse”), puis renvoyer les sceptiques dans leurs cordes en disant “HFSP” (Have fun staying poor). D’ailleurs, ceux-ci, lorsqu’ils expriment leurs réticences en public, sont accusés de répandre du FUD (Fear, uncertainty and doubt).
Ainsi, les pro-crypto de 2022 n’ont plus grand-chose à voir avec l’utopie cypherpunk des débuts. Au Paris Blockchain Summit, des grappes de jeunes hommes arpentent les couloirs, en plein exercice de réseautage. Le remuant Velleyen Sawmy, patron de l’entreprise Enephtys, discute avec les patrons d’une boîte belge qui vend des tireuses à bière connectées et reliées à une blockchain. Dans le “space”, ainsi que Velleyen désigne le milieu crypto, “on s’en fout de ta couleur, de ton âge. Regarde, moi, aujourd’hui, je suis prof à l’essec! Si demain j’essaie d’y entrer en tant qu’étudiant, je peux te dire que jamais ils m’acceptent”. Ado, cet enfant d’immigrés indiens et grand fan de drum’n’bass animait des soirées en tant que MC. Il voulait être artiste. Et un jour, par hasard, il a assisté à une conférence sur la blockchain. “Je ne comprenais rien, mais je ressentais l’énergie, alors j’ai proposé à une boîte là-bas de faire leur communication gratos en échange de connaissances.” Ensuite, il a commencé à écrire pour des médias spécialisés, puis a monté Enephtys l’an dernier. “Si tu ne fais qu’un seul truc dans le space, c’est que t’es nul. Faut se diversifier à fond!”
Il vit chichement, dit-il, et habite encore chez ses parents dans les Hauts-deseine, mais à 22 ans à peine, Velleyen a signé un partenariat avec Lacoste pour développer 12 000 NFT à l’effigie de la marque quasi centenaire. Comme Glauber, Velleyen n’a aucun tabou sur l’argent. Son entreprise aurait gagné 200 000 euros pour “deux semaines de rush”, et Lacoste aurait empoché cinq fois plus. Toute sa vie repose sur un pilier: se mettre à l’abri financièrement. “J’en ai même oublié ma couleur, frérot! J’ai failli voter Le Pen au second tour, parce qu’elle proposait d’exonérer d’impôts les jeunes. Mais au bureau de vote, on m’a dit que j’étais pas inscrit, alors j’ai fait demi-tour...”
Antoine, 27 ans, tient @_Cryptique, un compte Twitter dédié aux cryptos suivi par 27 000 personnes. “L’investisseur crypto que tu aurais dû écouter il y a cinq ans”, promet-il dans sa bio. Lui aussi se montre particulièrement direct. “Tout ça, ça part d’une énorme crainte face à l’avenir. Mon patrimoine, je le vois comme un glaçon qui fond en permanence. Pendant mes études, je me disais que je n’aurais pas de retraite, que j’allais subir de plein fouet les crises climatique ou démographique. C’est un monde qui fait peur. Alors j’ai eu le sentiment qu’il fallait investir, c’était le seul moyen d’être du bon côté de la barrière, même si ça veut dire faire pareil que ceux qui causent les maux de la société.” Avant d’arriver dans cet univers, Antoine était de gauche, “voire d’extrême gauche”, mais aujourd’hui, il ne vote plus. Il ne décrit pas une enfance de misère, plutôt un rapport tendu à l’argent et l’impression d’avoir été bombardé, toute sa vie, “par cette société qui vend du rêve partout, qui montre le succès dans les publicités, la télé, avec les stars”. Il a investi “les 200 euros dont [il] pouvai[t] [s]e passer” en 2017, alors qu’il était étudiant. Aujourd’hui, son portefeuille crypto vaut environ 90 000 euros (il a remis 5 000 euros de sa poche entre-temps). Cela lui a permis d’investir dans l’immobilier, mais même aujourd’hui, il refuse de tout retirer, pour
En 2021, aux Étatsunis, dans un grand effort collectif de légitimation du secteur, l’industrie de la crypto a dépensé davantage en lobbying et en dons aux politiques que celles de l’armement et des médicaments
éviter d’avoir à déclarer aux impôts ses plus-values. La législation devrait finir par évoluer, espère-t-il. Aux États-unis, près d’un tiers des 18-29 ans affirment avoir déjà investi dans les cryptos. En France, une étude menée par IPSOS en février dernier avance que 46% des détenteurs d’actifs digitaux ont entre 18 et 35 ans, alors que cette tranche d’âge ne représente que 25% de la population adulte. Un Français de 18 à 35 ans sur huit en posséderait. “Sur le plan des rémunérations, 37% des investisseurs déclarent disposer d’un revenu inférieur à 18 000 euros par an, contre 25% pour la société française dans son ensemble”, précise l’étude. Ce qui dresse le portraitrobot d’un investisseur moyen plutôt jeune, aux revenus modestes, attiré par les success-stories, les discours antisystème, le rêve de tirer le gros lot et de ne plus avoir à galérer.
Molly White, l’une des crypto-sceptiques les plus visibles, explique que cet engouement chez les jeunes devrait poser de nombreuses questions à la société. Par exemple: comment créer un système financier plus équitable et inclusif? Comment réduire le pouvoir détenu par un petit groupe de personnes sur Internet? “Les solutions proposées par les crypto-entrepreneurs semblent extrêmement attirantes dans un monde où ces questions demeurent sans réponse, où les problèmes fondamentaux ne sont pas résolus, explique-t-elle. Ces solutions, en réalité, ne feront qu’aggraver les problèmes.” D’autant que selon une étude réalisée par des chercheurs du MIT et de la London School of Economics sur le réseau bitcoin, il s’agit de l’une des économies les plus inégalitaires au monde: en octobre 2021, 0,01% des détenteurs de portefeuilles contrôlaient 27% des jetons. En outre, une soixantaine d’entreprises de minage de crypto (qui assurent la validité des transactions) contrôlaient plus de 50% du réseau. Un constat qui bat en brèche l’idée d’une monnaie décentralisée, en dehors de tout contrôle. Les adeptes de la crypto aiment se percevoir comme des rebelles ferraillant contre les pouvoirs en place, “sauf qu’au lieu de créer une société plus ouverte, plus libre et avec des individus plus autonomes, ils n’ont fait que donner le pouvoir à de nouvelles élites”, explique Stephen Diehl.
Game of fraudes
Les nouveaux entrants à la recherche d’un bénéfice ne savent pas toujours qu’ils mettent en fait les pieds dans un casino. “Comme il n’y a pas d’activité productive derrière, tout l’argent que vous gagnez, c’est forcément quelqu’un d’autre qui l’a dépensé”, explique Nicolas Dufrêne, haut fonctionnaire et directeur de l’institut Rousseau, auteur du livre Une monnaie écologique, qui figure parmi les rares Français à tenter de porter sur les cryptos une analyse sceptique. Ce qui lui vaut son lot d’insultes et de harcèlement en ligne. Comme le système ne peut tenir que s’il y a de nouveaux entrants sur le marché, les critiques le comparent tous à une pyramide de Ponzi géante. Et ils ne sont pas les seuls. Coindesk, un média farouchement pro-crypto, a publié un article sur Olympus, une pseudo-monnaie de réserve créée l’an dernier, qui disait: “Oui, c’est une pyramide de Ponzi. Mais on s’en fiche.” Mike Novogratz, directeur d’un fonds d’investissement, a de son côté expliqué que le bitcoin était “comme une tente dans laquelle nous essayons d’attirer des gens, et quand elle grossit... wouah!” Attirer de plus en plus de gens, les persuader de mettre eux aussi au pot, dans l’espoir de voir la valeur du marché monter, est donc logiquement devenu la priorité du secteur. En atteste le blitz publicitaire du secteur lors du Super Bowl en février, avec Lebron James, Larry David et Matt Damon dans des clips tournant tous autour du même thème: voici une opportunité à ne louper sous aucun prétexte. “Il y a un lobby de gens très actifs qui ont un intérêt pécuniaire
Le portrait-robot de l’investisseur moyen est celui d’un individu plutôt jeune, aux revenus modestes, attiré par les successstories, les discours antisystème, le rêve de tirer le gros lot et de ne plus avoir à galérer
direct à promouvoir telle ou telle crypto, poursuit Nicolas Dufrêne. Ce qui a pour effet d’entraîner derrière eux, avec un discours marketing bien rodé, des gens qui n’y connaissaient rien et sont prêts à croire qu’ils vont s’enrichir rapidement. Et ils le font notamment grâce à un discours antisystème que, pour ma part, je trouve d’une hypocrisie hallucinante.” En public, les thuriféraires de la crypto expliquent qu’il s’agit bien d’une révolution du Web. Lorsqu’on passe en privé, en revanche, la plupart finissent par admettre à demi-mot la structure pyramidale de l’ensemble. “Tant qu’il y a de l’argent à se faire, on se dit que ça va continuer à tourner, mais c’est vrai qu’il y a de ça...” explique par exemple un influenceur, qui souhaite rester anonyme. C’est vers ce genre d’influenceurs, mais aussi des médias spécialisés généralement peu enclins à critiquer le milieu, que les investisseurs du dimanche se tournent pour savoir quels jetons acheter. Le journaliste David Gerard explique ce qui se passe souvent ensuite. “Des fonds d’investissement en capital-risque mettent de l’argent dans une start-up qui va soidisant tout changer, basée sur la blockchain, en échange de tokens. Après, ils sortent un communiqué expliquant qu’ils lancent une ICO (Initial Coin Offering, ndlr) pour ouvrir le financement de leur projet au grand public. La presse crypto relaie, et la machine à hype se lance. Ainsi, dès que les tokens sont mis en vente, les capitalrisqueurs les écoulent pour empocher des millions de dollars d’un coup. Les gogos se retrouvent avec des tokens qui ne valent systématiquement plus grand-chose au bout de quelques mois, tandis que les plus riches s’enrichissent davantage.” Une façon de lever des fonds qui incite davantage les chefs d’entreprise à exagérer leurs pitchs, à promettre monts et merveilles, qu’à construire une entreprise pérenne sur le long terme. Gerard: “En somme, pour faire de l’argent dans le Web3, les développeurs n’ont plus besoin de vous convaincre que leurs logiciels sont géniaux, ils n’ont qu’à vous convaincre qu’ils vont vous rendre riche, car vous faites soi-disant partie des premiers investisseurs.” Des centaines de sites et d’applications ayant bénéficié de leur quart d’heure de gloire végètent ainsi quelque part sur Internet, faute d’utilisateurs. D’autres se sont effondrées parce que les sites étaient assemblés à la va-vite, peu fiables. C’est ainsi qu’en même pas dix jours, début juillet, on a pu voir une succession hallucinante de plateformes NFT, d’interfaces blockchain ou même de fonds d’investissement s’écrouler les uns après les autres, à cause de piratages en série (Quixotic, Ankr, Uniswap pour en citer quelquesuns) ou de patrons peu scrupuleux –les trois fondateurs d’un important fonds singapourien, Three Arrows Capital, placé en liquidation judiciaire, ont ainsi pris la fuite et demeuraient introuvables mijuillet. Quant au tether, le plus important stablecoin du monde, censé détenir 66 milliards de dollars de réserve, ses patrons n’ont jamais autorisé un auditeur indépendant à inspecter ses comptes. Aujourd’hui, de nombreux acteurs craignent son effondrement, qui pourrait entraîner dans son sillage une bonne partie de l’écosystème, car le tether représente aujourd’hui entre 50 et 60% du volume de trading du bitcoin.
Début juin, 1 500 ingénieurs ont écrit au Congrès américain pour exhorter les politiques à “résister aux pressions des financiers, des lobbyistes et des promoteurs d’une industrie, pour créer des régulations à même de sécuriser ces instruments financiers risqués, défaillants et qui n’ont pas fait leurs preuves”. Le contexte? En 2021, aux États-unis, dans un grand effort collectif de légitimation du secteur, l’industrie de la crypto a dépensé davantage en lobbying et en dons aux politiques que celles de l’armement et des médicaments. Pour les ingénieurs crypto-sceptiques, il est donc nécessaire aujourd’hui de “protéger l’intérêt général” et de “s’assurer que les technologies soient déployées de manière à servir les besoins des citoyens ordinaires”. Parmi eux, le professeur d’harvard Bruce Schneier, le créateur du langage Javascript, James Gosling, ou Kelsey Hightower, ingénieur en chef chez Google Cloud. En France, Nicolas Dufrêne a impulsé une dynamique similaire, en réunissant 170 économistes, informaticiens, experts et scientifiques autour d’une tribune, publiée sur le site de l’institut Rousseau, visant à “alerter sur les risques croissants, en matière économique, financière, écologique et sociale, liés au développement anarchique des cryptoactifs”.
Au niveau européen, s’il y a de timides avancées avec le projet de règlement MICA, qui touche surtout les ICO et les stablecoins et devrait entrer en vigueur d’ici 2024, le secteur demeure encore très peu régulé, tandis que les politiques partent du principe qu’il faut laisser la technologie faire ses preuves. Edward Balleisen, historien spécialisé dans les fraudes financières, explique qu’“historiquement, on constate une recrudescence d’arnaques dans les périodes de grands bonds dans l’innovation, quand il y a beaucoup d’optimisme autour d’un nouveau produit, service ou modèle économique”. Selon lui, ces périodes d’excitation de masse, couplées à une incertitude quant au réel potentiel de l’innovation en question, “entraînent mécaniquement des comportements à risque”.
Il cite le développement des chemins de fer ou de l’automobile aux États-unis, “qui a longtemps été le repaire numéro un des faussaires et des arnaqueurs”, dit-il, mais aussi la bulle Internet des années 1990. La question à se poser, explique Balleisen, est la suivante:
“Les blockchains sont-elles vraiment une technologie révolutionnaire? Ça, je n’en sais rien, car je ne suis pas ingénieur...” Justement, le Brésilien Jorge Stolfi passe une bonne part de son temps libre à parcourir les livres blancs postés par les créateurs de blockchain. Traduction: il est l’un des rares ingénieurs en informatique reconnus à avoir mis les mains dans le cambouis. “Quand vous créez un système informatique, la première chose que vous devez faire, c’est dresser une liste des tâches qu’il doit accomplir. Plus il y a de tâches, moins le système sera efficace. Or, les entreprises qui créent des systèmes de blockchain font tout ce que font leurs concurrents non blockchain, mais en y ajoutant l’obligation de la décentralisation. Cela ajoute plusieurs couches de complexité…”
Il prend l’exemple du bitcoin, dont la maintenance annuelle coûte davantage d’énergie que la consommation totale d’un pays comme l’argentine. “Ce coût en électricité est dû au fait que des millions d’ordinateurs, partout dans le monde, font exactement le même travail de vérification informatique, alors qu’un seul serveur très bien sécurisé pourrait suffire. Et pourquoi? Parce que les fans de bitcoin sont des libertariens qui ne pensent qu’à l’argent et ne font confiance à personne.” Cette fétichisation des systèmes décentralisés, plus coûteux et moins efficaces, a eu des répercussions sur tout l’écosystème startup, explique David Gerard: “Avec l’envolée du cours du bitcoin et les investisseurs de la Silicon Valley qui dépensaient des millions sur des projets de crypto, les entrepreneurs ont compris qu’en ajoutant les mots-clés ‘blockchain’ ou ‘Web3’ à leur projet de startup, ils avaient davantage de chances de trouver des financements.”
Depuis le crash du bitcoin et les faillites en cascade de ces derniers mois, les directeurs du fonds d’investissement en capital-risque Andreessen Horowitz, qui a doté sa branche crypto de plusieurs milliards de dollars, ont fait la tournée des podcasts crypto-sceptiques pour tenter de vendre le gospel du Web3 aux plus réfractaires. Et ça ne s’est pas passé comme prévu. Le podcasteur Stephen Dubner a par exemple interrogé l’une des associés de la firme, Arianna Simpson: “Dans vos rêves les plus utopiques, quelles seraient les meilleures créations de projets blockchain?” Réponse de Simpson: “Disons que j’ai un excès de bande passante sur mon réseau Wi-fi. J’aimerais être capable de partager cette bande passante avec mon voisin et être payée pour le faire. Donc, en me payant avec un token, mon voisin peut se brancher sur mon réseau, et je reçois une compensation. C’est gagnant-gagnant!” Dubner, un peu décontenancé, relance: “On est d’accord que sans token, une blockchain n’est qu’une base de données classique. Et avec un token, vous pouvez... partager votre réseau Wifi avec votre voisin? Vraiment? C’est ça, le futur blockchain incroyable qu’on attend tous?”
Une semaine plus tard, Marc Andreessen –cypherpunk devenu le financier numéro un du secteur– se rend au micro d’un autre podcasteur, Tyler Cowen. Ce dernier lui demande comment, “concrètement”, le Web3 pourrait révolutionner l’industrie des médias. “De nouvelles possibilités vont s’ouvrir pour les médias, c’est possible que dans le futur, on ait des jeux vidéo et des médias qui se financeront différemment”, explique, dans un flou total, Andreessen. Cowen répond: “La différence avec maintenant, c’est que je pourrai vendre des NFT plutôt que des produits dérivés, comme des t-shirts dédicacés? Ça ne me semble pas énorme, ce seront de petits avantages, il n’y a rien de révolutionnaire...” David Gerard confesse avoir regardé plusieurs dizaines de fois ces clips sur Twitter. “C’est extrêmement parlant. Que les plus gros investisseurs du milieu crypto
En privé, la plupart des pro-crypto finissent par admettre à demi-mot la structure pyramidale
de l’ensemble. “Tant qu’il y a de l’argent à se faire, on se dit que ça va continuer à tourner, mais c’est vrai qu’il y a de ça...” dit un influenceur
soient incapables de vous dire à quoi leur grande révolution technologique devrait ressembler, alors qu’ils en tirent déjà des millions de bénéfices, en soi, ça devrait suffire à vous faire comprendre qu’il y a anguille sous roche.”
Dystopie 3.0
Comme le laissent entendre Arianna Simpson et Marc Andreessen, le Web3 ressemble surtout à un Internet où chacun pourra monétiser chaque parcelle de son activité, générant des tokens dont le cours évoluerait sans cesse. Un supermarché où nous serions tous forcés de nous comporter comme des traders. C’est même, en dernière analyse, le seul apport potentiel des technologies blockchain, comme l’explique Stephen Diehl: “Dès que vous voulez participer, ça coûte de l’argent. Les gens ont du mal à comprendre pourquoi, mais c’est simple: dès que vous interagissez avec un site dont le serveur repose sur une blockchain, cela rajoute des données à la blockchain, et pour que les données s’ajoutent, il faut payer les mineurs, car rappelons que ceux-ci n’ont aucune autre raison de maintenir le système en place.
La conséquence, c’est un nouvel Internet où tout sera monétisable, et pour moi, ce projet de société a quelque chose de dystopique.” C’est déjà le cas avec Everipedia, qui a tenté de copier Wikipédia, mais en payant les éditeurs en tokens. L’expérience a tourné au vinaigre, avec des articles bâclés par des internautes présents seulement pour engranger des tokens, des pages copiées sur Wikipédia, et du spam pro-crypto. Molly White, qui participe justement à Wikipédia depuis des années, explique que “dès que vous ajoutez une incitation financière dans un projet de bien commun, le comportement des gens change du tout au tout, et cela entre souvent en conflit avec la mission du projet”.
Il y a aussi Sorare, une entreprise française défendue par l’écosystème tech français, qui applique cette même logique aux jeux de cartes à collectionner. Au lieu de se les échanger entre amis et de les coller dans un album, on peut désormais spéculer sur des NFT à l’effigie de Karim Benzema, Neymar ou Mohamed Salah. Antoine Griezmann et Gérard Piqué font partie de ses investisseurs, tandis que Kylian Mbappé et Zinedine Zidane ont récemment rejoint les “ambassadeurs” de l’entreprise. Fin 2021, Bruno Le Maire prenait la parole sur Linkedin après une levée de fonds de 680 millions de dollars: “Croyez-moi, il se passe quelque chose de très grand en ce moment dans notre pays. Une génération de jeunes entrepreneurs exceptionnels est en train d’emmener la France au sommet. Quelle fierté!” De son côté, Emmanuel Macron, dans un curieux mélange de rhétorique alliant “solutionnisme” numérique et souverainisme continental, a récemment plaidé pour l’élaboration d’un “metaverse européen” basé sur la blockchain. “Nous souhaitons développer la crypto et l’industrie plus globalement en Europe”, expliquait de son côté Eva Kaili, la viceprésidente du Parlement européen, dans son message adressé au Paris Blockchain Summit. “Les gens vont-ils vouloir de cet Internet qui n’a pas la moindre utilité sociale, qui ne résout pas le moindre problème? demande David Gerard. Quand je suis optimiste, je pense que non. Quand je suis pessimiste, si nous sombrons dans une crise économique, peut-être que nous n’aurons pas d’autre choix que d’aller tenter notre chance dans le grand casino...”