Society (France)

LE SOAP AUX CHOUX

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Christine Coutin: Avant Plus belle la vie, j’ai travaillé sur un autre feuilleton,

Cap des Pins, diffusé de septembre 1998 à mars 2000 sur France 2. Quand on l’a lancé, ça faisait 20 ans qu’il n’y avait pas eu un programme de ce type en France. Ça a été une belle aventure, mais il y a eu un changement de direction et la chaîne a décidé d’arrêter. Je me suis dit que je n’irais plus jamais dans le feuilleton, pour plein de raisons: le rythme, le mépris du milieu, mais aussi la santé, puisque après Cap des Pins, j’ai eu un cancer. Sauf qu’un jour, mon mari voit une annonce dans Télé 7 jours: France 3 souhaite refaire un feuilleton. Les gens du métier commencent alors à m’appeler. Je refuse à chaque fois. Puis j’ai une prise de conscience et je me dis: ‘Bon, si je peux un peu apporter mon savoir-faire et aider à relancer le genre, ça fait bosser tellement de gens…’ Je finis donc par replonger et France 3 m’embauche. Un appel d’offres est lancé. On reçoit plus de 100 projets.

Michelle Podroznik: Avant de devenir productric­e, j’ai longtemps été scripte et, en 1994, je suis engagée par Michel Canello, le fondateur de Telfrance, où je deviens directrice de la création. Je bosse alors sur pas mal de projets: P.J., Tramontane, Méditerran­ée… C’est là que je rencontre Hubert Besson.

Bénédicte Achard: Quand France 3 lance son appel d’offres, Hubert nous appelle, car un peu plus tôt, avec Magaly Richard-serrano, une copine de fac, on a planché avec lui sur un projet pour M6.

Un projet un peu gauchiste, racontant l’histoire d’une bande de jeunes qui s’amuse à détourner des caméras de vidéo-surveillan­ce dont M6 n’a, finalement, pas voulu. Reste qu’hubert Besson a aimé l’arène imaginée et nous demande de bosser sur ce nouveau projet avec lui.

Hubert Besson: À l’époque, j’ai déjà une bonne expérience des tournages rapides parce que j’ai travaillé en production sur Sous le soleil. En plus de Magaly et Bénédicte, on intègre rapidement Georges Desmouceau­x, un scénariste plus aguerri, et on finalise l’arène, les intentions. Ce n’est pas super simple, car à la base, l’appel d’offres est assez flou.

Bénédicte Achard: Il y a deux mots qu’on n’a jamais oubliés: ‘transgénér­ationnel’ et ‘non segmentant’.

Georges Desmouceau­x: L’idée est de montrer la société française telle qu’elle est, dans toute sa diversité, avec un côté populaire.

Bénédicte Achard: Avec Magaly, on a fait des études d’histoire de l’art, avec pas mal de sociologie. On s’amuse bien à créer ce quartier, les catégories socioprofe­ssionnelle­s, la façon dont elles se mélangent, sauf qu’on est des bébés scénariste­s. Georges est essentiel, car il va nous aider à structurer les arches.

Vincent Meslet: On ne veut pas d’un soap chez les riches et on veut toucher les jeunes. À l’époque, beaucoup de gens disent que France 3 est une chaîne de vieux et se demandent pourquoi on va s’ennuyer avec les ados, mais dans le monde entier, le feuilleton quotidien a un public jeune. On ne veut pas céder sur ça.

Magaly Richard-serrano: Notre projet s’appelle Mistral gagnant. C’est un truc très farfelu, très chronique sociale, familiale, avec beaucoup d’humour. En gros, Les Chroniques de San Francisco, mais à la télé et à Marseille.

Bénédicte Achard: Le choix de Marseille, c’est aussi une question de production et de thunes, parce que ça arrange tout le monde de tourner dans le Sud où la lumière du jour dure plus longtemps. personnage­s –à part celui de Roland Marci– n’aient aucun accent. C’est une condition pour que le programme soit le plus universel possible.

Sébastien Charbit: L’idée, aussi, est de montrer de nouvelles gueules. D’avoir des comédiens pas connus.

Christine Coutin: Un casting sans star, ça permet une identifica­tion immédiate.

Hubert Besson: L’ambition est de répondre le plus intelligem­ment possible à la télé-réalité. Il faut réussir à fidéliser une audience sans miser sur un genre auquel ne veut surtout pas toucher le service public.

Sébastien Charbit: Au début des années 2000, la télé est coupée en deux. D’un côté, le très tradi avec, en fiction, le seul sujet de l’adultère dans le monde bourgeois. De l’autre, le très putassier, avec des émissions comme L’île de la tentation ou Loft Story.

Vincent Meslet: On a fait un séminaire avec des gens de France 3 et trois choses importante­s en sont sorties. Un: la télé-réalité, c’est des personnage­s qu’on a envie de revoir le lendemain. Deux: ils ressemblen­t terribleme­nt à la vie, à des personnes qu’on ne voit pas souvent à la télévision. Trois: ce sont des personnage­s métissés.

Sébastien Charbit: Chez France Télé, il y a une volonté affirmée de répondre à ça avec un programme qui véhicule le vivreensem­ble. Mais le vivre-ensemble, ce n’est pas forcément enfermer des gens pour s’emmerder, danser et passer du temps dans une piscine.

Christine Coutin: Quand j’arrive chez France 3, je connais la recette du feuilleton. Je sais ce qui peut marcher et ce qui ne peut pas marcher. Déjà, quand tu sors 20 minutes par jour, il faut qu’il y ait un certain nombre de personnage­s car si tu n’as qu’un héros, ça ne peut pas fonctionne­r. La clé, c’est d’en avoir plein, mais aussi des familles et des enjeux. On passe donc six mois à débroussai­ller la grosse centaine de projets. On réduit le paquet à dix, cinq, puis deux. Face à Mistral gagnant, l’autre projet s’appelle Rue du Panier. Il est mieux ficelé, les personnage­s sont plus riches, mais ça se passe dans un immeuble et je me dis que rapidement, on va étouffer.

Magaly Richard-serrano: Le nom Plus belle la vie arrive après avoir remporté l’appel d’offres.

Bénédicte Achard: Il n’y a pas photo, je préfère Mistral gagnant, mais la prod’ embauche une boîte de com’ et on n’a pas vraiment voix au chapitre. Nous, sur le moment, on trouve que Plus belle la vie, ça fait marque de magasin bio pour vieux.

Christine Coutin: Quoi qu’il en soit, le 30 août 2004, Plus belle la vie démarre. Sauf que les premiers épisodes ne marchent pas du tout. On fait quelque chose comme 6% de part de marché. Une catastroph­e.

Magaly Richard-serrano: Quand je vois le premier épisode, je me cache tellement je trouve ça mauvais. Je le vis très mal.

Michelle Podroznik: La chance qu’on a, c’est que tous les responsabl­es chez France Télé nous soutiennen­t. Ils croient en ce programme et lors d’une soirée sur un bateau, ils nous disent: ‘Ne vous inquiétez pas, on a un contrat de 130 épisodes. Vous avez six mois devant vous. Après, on verra.’

Hubert Besson: La première idée est d’être dans le quotidien des gens, mais simplement ça, donc on fait presque du Klapisch. C’est léger, social, mais ça ne prend pas.

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