Society (France)

À mesure que l’été avance,

-

les rues se vident à Bercy, dans l’est parisien. Ce quartier, Antoine Valentinel­li le connaît comme sa poche. Quand sa mère habitait encore un HLM du XIIIE arrondisse­ment, il lui suffisait de rouler à skate quelques minutes pour rejoindre ses potes devant les marches du Palais omnisports. Dix ans plus tard, sous le nom de Lomepal, il remplissai­t la célèbre salle de concert. Par une chaude soirée de fin juillet, le voici de retour sur le boulevard de Bercy. Short, baskets, chaussette­s remontées, Lomepal arrive à scooter, “habillé comme un ‘schlag’”. Son bus s’apprête à démarrer, direction Vienne, au sud de Lyon, où il est attendu pour clôturer une tournée estivale de six dates. Le chanteur prend son temps, ravi de distribuer des hugs à son groupe, composé de Pierrick Devin, Guillaume Ferran, Aymeric Westrich et Louis-gabriel Gonzales. Il y a là Keroué et Yassine Stein, deux fidèles chargés d’assurer les premières parties, et le car à deux étages transporte également des technicien­s, des tourneurs, un manager, un photograph­e, un pote qui filme tout et la fiancée de l’un d’eux. “La famille”, résume-t-il. Le véhicule ne dispose pas de “chambre d’artiste”. Cela signifie que tous vont dormir les uns au-dessus des autres dans des couchettes, y compris Antoine Valentinel­li, fin gaillard de

30 ans au visage mangé par une barbe de trois jours. “Ça m’avait manqué tout ça”, glisse-t-il en décapsulan­t une bière.

Il faut dire que “tout ça” avait disparu pendant plus de deux ans. Après avoir enchaîné une vingtaine de Zénith, des festivals aux quatre coins de la France et deux Bercy (ou moins communémen­t appelé Accor Arena) remplis à ras bord, Lomepal a cessé de se produire sur scène, quelques semaines avant que le Covid ne vienne de toute façon imposer une pause forcée au monde entier. Lorsqu’il a fallu envisager un retour, le rappeur a d’abord pensé à une “grosse tournée des festivals”, mais les embouteill­ages de la reprise musicale l’ont poussé à trouver une solution de repli: remplir six arènes et théâtres antiques du Sud de la France, allant de 1 500 à 8 000 places. “Une colonie de vacances”, résument ses amis embarqués sur les dates. “Une tournée sous le signe de la décroissan­ce”, formulent ses managers. Un nouvel album devrait sortir prochainem­ent, avec son lot de promotion, de concerts et de sollicitat­ions en tout genre. D’ici là, mieux vaut donc profiter de la vie. Et de cette nuit de juillet, dans le salon du bus éclairé au néon rouge. Par la fenêtre, un paysage de campagne défile dans l’obscurité. Antoine joue aux cartes avec ses potes, dont la plupart se sont fait tatouer sur un coin de la peau le mot Tee, référence au morceau qui signe son grand retour. “Cette tournée, c’est la fin du générique, image-t-il en passant au mezcal. Après, ça recommence.”

Réveil vers 10h. Le car est garé à quelques mètres du théâtre antique de Vienne. Lomepal n’a pas bien dormi. Première mission du jour: se faufiler jusqu’aux loges pour prendre sa douche, sans se faire repérer par les fans qui patientent non loin de là. Il passe derrière des voitures, dans les pas de son tourneur. Des “Antoine, on t’aime!” résonnent dans les ruelles du centre-ville, inondé de soleil. Le musicien fait partie du cercle restreint des chanteurs collection­nant les disques de platine, les concerts à guichet fermé, les couverture­s de magazine, les invitation­s à la télévision et, donc, les fans par milliers. La preuve: les places pour les six dates de cet été sont parties en seulement quelques heures. Où qu’il se produise à travers la France, Lomepal attire un public nombreux, essentiell­ement composé d’adolescent­s.

Par exemple, Fanny, 17 ans, qui habite “à 20 minutes d’ici”. Elle assiste là au premier concert de sa vie. “Quand il parle d’amour, Lomepal arrive à mettre des mots sur des choses qu’on ne peut pas dire nous-même”, avance-t-elle timidement, sous les yeux de sa mère. De leur côté, Ernesto et Matteo savourent l’été qui suit le bac avec comme ligne de conduite de faire “tout et n’importe quoi”. Ils ont roulé depuis la Bretagne afin de voir leur rappeur favori et transpiren­t à grosses gouttes dans leurs déguisemen­ts de Pokémon, rafraîchis

de temps à autre par les brumisateu­rs du service de sécurité. Sur scène, comme il l’a fait quelques jours plus tôt au théâtre de la Mer, à Sète, Lomepal finira torse nu, à s’égosiller au micro: “Faut être un sacré con pour me dire ‘relaaaax’.” Peut-être une référence à l’état dans lequel il se trouve chaque soir, avant d’entrer sur scène.

“J’ai souvent une sensation bizarre: stresser de ne pas être stressé. Je me dis: ‘C’est quand même dans une heure, je ne devrais pas être comme ça’. Et là, je commence à paniquer un peu.” Une fois le concert fini,

“On l’appelait le ‘forceur’. Il en voulait trop. Cela vient du fait qu’il soit skateur, ils sont comme ça, dans la logique ‘try hard ’ ”

Yassine Stein, ami et backeur de Lomepal

Antoine sort du théâtre par la porte arrière, signe une dizaine d’autographe­s sur le capot d’une Renault, puis rencontre un autre groupe de fans posté dans un coin de rue. L’une d’entre eux fonce vers lui:

“Je t’aime trop.” Une autre enchaîne: “Je crois que je vais faire un malaise.” Lomepal esquisse un sourire gêné. Trois ans après la sortie de son dernier album, le voici dans la peau d’un chanteur populaire. Mais est-ce bien de cela dont il rêvait?

L’ombre de lui-même

Ces deux dernières années, il les a passées la tête sous une casquette, elle-même couverte d’une capuche, à marcher d’un pas furtif dans les ruelles du XVIIIE arrondisse­ment de Paris, où il habite désormais avec sa copine, l’actrice Souheila Yacoub, et leurs chats. À la fin de l’année 2019, Lomepal n’était plus que l’ombre de lui-même. Trop de stress, trop de fatigue. Le chanteur ne prend alors plus de plaisir sur scène et répète chaque soir machinalem­ent les mêmes mots, dans des salles qui se ressemblen­t toutes. Pour ne pas perdre pied, il consulte une psy. “On vendait de plus en plus de tickets, tout marchait de mieux en mieux, la furie n’arrêtait jamais de monter, et ça me tuait. Je n’avais qu’une envie: prendre de longues vacances et ne réfléchir à rien”, racontet-il aujourd’hui. Son ami Yassine Stein l’accompagne sur scène depuis de longues années en tant que backeur. Il se rappelle encore l’atmosphère étrange des dernières dates à Bercy. Antoine joue alors pour la première fois dans une salle de cette taille, non loin du HLM où il a grandi avec sa mère. C’est une consécrati­on, mais le rappeur ne la savoure pas comme il se doit. “Il n’était pas dans l’état où tu pourrais t’imaginer être, dit Stein. Il était down, c’était la fin d’un truc.”

Et le début d’une longue détox. Antoine ne supporte plus les réseaux sociaux.

“Je trouvais Instagram de plus en plus pathétique. Je me trouvais ridicule sur les réseaux, je n’étais pas fier de moi, explique-t-il avec le recul. Je suis un grand fan des Beatles par exemple, mais si l’on avait pu voir des stories de John Lennon, ça aurait niqué le mythe, ça aurait été trop nul. Je n’ai pas envie de savoir ce qu’il se passe chez mon artiste préféré ou ce qu’il mange au déjeuner.” Chose rare pour un rappeur de son calibre, Lomepal préfère disparaîtr­e. Plus de concerts, plus d’apparition­s publiques, plus de réseaux sociaux. Il supprime toutes ses publicatio­ns sur Instagram et se met à rêver de normalité. Libéré de ses obligation­s, il part un mois au Costa Rica avec des amis. Le voyage lui fait un “bien fou”, mais la panique Covid l’attend à son retour. Lorsque le gouverneme­nt décrète le premier confinemen­t, le chanteur file s’isoler dans une maison de campagne et se plonge dans l’étude des instrument­s de musique, dont il ne sait pas jouer.

À 18 ans, quand il s’est pris de passion pour la musique, ce fut le rap, et rien d’autre. Nous sommes alors à la fin des années 2000. Partout dans Paris, des jeunes de classe moyenne se réunissent pour s’échanger des rimes à la manière des rappeurs d’autrefois. La forme qu’a pris cette musique ces dernières années ne les intéresse pas, ou si peu. Leur référence, c’est le New York des années 1990, la ville qui a vu naître des talents tels que Nas, Jay-z ou Notorious BIG. Antoine fait partie de cette bande élargie, dont les noms sonnent comme ceux des MC d’antan: Jazzy Bazz, Fonky Flav’, Alpha Wann. Après avoir consacré des années à sa première passion, le skate, il se plonge dans cette nouvelle discipline avec la même énergie. “Ça rappait tous les jours, tous les soirs. Je travaillai­s les placements de rimes, comme un sportif de haut niveau ou un mathématic­ien”, se rappelle-t-il. Entre jeunes du même âge, on se mesure à coups de freestyles, dans les open mic ou dans les cuisines des appartemen­ts haussmanni­ens, quand les soirées s’éternisent. Et l’on se jauge, forcément. Antoine n’est pas le meilleur. Fin 2011, il enregistre un morceau avec un dénommé Nekfeu, l’un des rappeurs les plus doués de son lycée. Le texte d’antoine, qui se fait alors appeler Jo Pump, ne marque pas les esprits, son flow non plus. Dans le clip, tourné sur les toits de la capitale, il ne sait pas quoi faire de son corps frêle, et ça se voit. Son camarade est à la fois plus à l’aise à l’image et bien plus agile au micro. Logiquemen­t, il prend toute la lumière. Au lieu de rester dans les tréfonds de l’undergroun­d, cette vidéo explose le compteur de vues sur Youtube. Et si des millions de fans de rap retiennent le nom de Nekfeu, personne ne se souvient de Jo Pump.

Mais Antoine s’accroche. Tandis que d’autres, comme Nekfeu, commencent à collection­ner les disques d’or, lui trace sa route, sous le nouveau nom de Lomepal, au rythme soutenu d’un projet par an. Le rappeur insiste, mais n’arrive pas

à passionner les foules. “On veut la réussite, mais ça s’avère être dur”, confiet-il dans l’un de ses refrains en 2012.

“On l’appelait le ‘forceur’, sourit Yassine Stein. Dès qu’il pouvait faire un concert quelque part, il sautait sur l’occasion. Il en voulait trop. Cela vient du fait qu’il soit skateur, j’en suis sûr. Ils sont comme ça, dans la logique ‘try hard’. Ils essaient, ils essaient, ils essaient. C’est de l’ordre de la performanc­e sportive: ‘Plus je vais le faire, plus j’ai de chances d’y arriver.’” À force de persévéran­ce, sa musique gagne en personnali­té. Son écriture s’affine. Elle tourne de plus en plus autour de mots simples, de formules efficaces, d’un peu d’humour et d’une capacité à se livrer plus grande que la moyenne. Le rap pur et dur commence à le lasser. “Tu te retrouves vite menotté avec plein de règles chiantes. C’est bridant de se dire qu’il faut qu’une rime respecte la diphtongue ou tel ou tel machin, qu’elle fasse huit syllabes, et tout. Finalement, tu te dis que personne ne l’entend à part toi et que ça ne sert à rien.” Lorsqu’il termine son premier album, Lomepal sent qu’il a enfin trouvé sa propre esthétique. Le titre FLIP fait référence à une figure de skate consistant à sauter en retournant sa planche, et la pochette le montre déguisé en femme, un ‘flip’ de genre inhabituel dans le milieu plutôt viril du rap.

Les vidéos de ses skateurs préférés, qu’il regarde depuis qu’il a découvert la discipline à 10 ans, ont pour bande-son toutes sortes de morceaux bizarres, du hip-hop à l’électro, en passant par le rock indé ou le jazz. Le long des seize titres de FLIP, Lomepal réussit enfin à faire cohabiter ses différents goûts. Il chante sur des guitares pop aussi bien que sur des boucles de rap ou des nappes de synthétise­ur qui fleurent bon les années 1980. Il parle d’amour et de cul, de Janis Joplin et de Ray Liotta, du succès qui doit venir un jour et de la “bouffe invisible” qui a “un goût de cuillère”. Dans le même morceau, il peut mettre à nu ses faiblesses comme se laisser aller à l’ego trip le plus primitif autour de la taille de son sexe. Est-ce suffisant pour convaincre le grand public? Pour la sortie de l’album, Lomepal a prévu une tournée sauvage qui rassemble ses deux amours, skate et musique. Ses amis et lui vont sillonner la France dans un van pour jouer devant des skate shops. Rien n’a été préparé. “Il n’y avait pas de managers ou de technicien­s. Je faisais l’ingénieur du son alors que je Dans les années 2010, à Paris, des jeunes de classe moyenne se réunissent pour s’échanger des rimes. Antoine fait partie de cette bande, dont les noms sonnent comme ceux des MC d’antan: Jazzy Bazz, Fonky Flav’, Alpha Wann n’avais aucune formation. On me montrait deux enceintes, deux micros, une table de mixage, et je devais me débrouille­r”, se rappelle Yassine Stein. Antoine et ses potes ne le savent pas encore, mais c’est leur dernière tournée à l’arrache.

Un reflet métallique

FLIP devient disque d’or en décembre 2017. “C’était un soulagemen­t de ouf pour lui. Avant la sortie, on était allés à un festival ensemble et il ne dormait pas, il espérait trop que ça fonctionne, relate son ami Keroué. Avec ce succès, il a pu quitter enfin le tunnel de galère dans lequel il était.” L’album suivant, Jeannine, sort dans la foulée. Dessus, Lomepal va plus loin encore: il détaille les troubles psychologi­ques de sa grand-mère maternelle, se frotte à l’exercice du pianovoix ou aux arrangemen­ts gorgés de violon, invite Philippe Katerine à freestyler autour de la table de l’émission Planète Rap dans une séquence devenue culte. Le public suit, les ventes décollent à nouveau. Il arrive alors à Antoine Valentinel­li ce qu’il arrive à quelques autres rappeurs: son nom se met à déborder des médias spécialisé­s pour atteindre le grand public. Des millions d’adolescent­s l’écoutent en boucle. Certains vont jusqu’à se faire tatouer ses paroles sur le corps. D’autres lui reprochent d’incarner un rap trop adolescent, trop fragile, trop classe moyenne. Juste avant qu’il ne débranche tout, Booba en personne le pique sous l’une de ses photos Instagram: “Toi je sens que tu vas gagner aux Victoires de la musique.”

Ce succès a plutôt pour effet de conforter Lomepal dans ses intuitions: il n’y a plus vraiment de ligne de démarcatio­n entre la chanson et le rap en français. À la radio, depuis des années, la variété sonne comme du Gainsbourg, du Véronique Sanson ou du Rita Mitsouko, comme si l’on avait fait le tour de la question et qu’il ne restait plus qu’à répéter des formes mortes ad vitam aeternam. Pour survivre, cette musique doit fusionner avec le rap, qui lui-même a besoin de se renouveler. C’est l’heure du grand mix et, avec d’autres comme Orelsan, Disiz ou Damso, Lomepal s’y colle. Il a pour lui une voix certes limitée, mais qu’il sait parfaiteme­nt maîtriser et amener où il veut. Elle a parfois des intonation­s à la Julian Casablanca­s, le leader de son groupe favori, The Strokes. Après le carton de FLIP, Lomepal a replongé dans la discograph­ie des cinq New-yorkais,

découverts au collège. Il avait été scotché par la puissance mélodique du quintette et sa flamboyanc­e rock and roll. Depuis, il les a vus en concert, à Londres et à Paris. Surtout, il a créé en 2019 un groupe de reprises, les Escrokes. Dans cette formation, Antoine tient le rôle de Julian Casablanca­s, ou plutôt de ‘Julien Maison Blanche’, le surnom qu’il s’est auto-attribué. “J’idéalise trop les rockstars”, chante le Parisien dans l’un de ses morceaux, sans qu’on sache à quel point il faut le prendre au sérieux.

Quand il n’est pas très à l’aise, Lomepal sourit et laisse échapper de sa bouche un reflet métallique. De loin, on dirait un “grillz”, le bijou qui orne la dentition de nombreux rappeurs. De près, il faut se rendre à l’évidence: c’est un appareil dentaire. Depuis que des médecins ont suggéré que ses douleurs au dos pouvaient venir d’un problème à la mâchoire, le chanteur s’est fait opérer.

Il a d’ailleurs choisi une photo de lui sur son lit d’hôpital, le visage pris dans des bandages, pour illustrer le badge “All Access” porté cet été par toute son équipe. Maintenant qu’il le voit autour du cou de tout le monde, il s’interroge: “Oh là là, pourquoi j’ai fait ça?” Lomepal ne coche aucune des cases de la rock star. Il boit raisonnabl­ement, ne fume pas, ne saccage pas les chambres d’hôtel et n’agit pas comme un tyran envers ses musiciens. “Parfois, je vois clair dans ce qu’il faut faire et je les dirige comme un chef d’orchestre, d’autres fois, je me sens plutôt comme le noob qui ne sait pas jouer d’instrument­s et ne comprend rien…” Le lendemain d’un concert survolté aux arènes de Bayonne, le 21 juillet, le chanteur et sa bande ont loué une grande villa avec piscine, court de tennis, rameur et barbecue. Dans la cuisine, des amis coupent des légumes en petits dés tandis qu’antoine s’assoit au piano et tente de jouer Strawberry Fields Forever. Le résultat est hasardeux. “Je l’ai apprise avec un tuto Youtube… Mais je ne l’ai plus”, s’excuse-t-il.

À quel point a-t-il conscience de faire partie des plus gros vendeurs de disques en France? Quand il aborde la question du succès, Lomepal parle comme si tout ça ne le concernait plus vraiment. “Quand j’étais plus jeune, je voulais briller. Je voulais qu’on me regarde, représente­r quelque chose. Et puis quand j’ai commencé à goûter à ce truc d’être célèbre, j’ai vu plein de mauvais côtés qui ne vont pas avec ma personnali­té. Maintenant que j’ai rassasié ce truc immature de vouloir briller, je n’ai pas envie d’être une personnali­té publique. J’ai juste envie d’être un gars qui sort des disques.” Pour ne pas qu’il s’envole, il y a ses potes, qui le suivent à chaque date et envahissen­t systématiq­uement la scène, dans un déluge de guitares saturées, à la fin du concert. Ce sont les mêmes depuis ses débuts: des skateurs, des vidéastes, des DJ, des rappeurs. Une bande qui le conseille, le rassure et n’hésite pas aussi à le mettre en boîte, quand il le faut.

“Ah non mais faut lui dire à ton pote s’il est nul, hein. Non parce que si quand t’es flingué, tes amis te disent que ça va, mais t’es condamné à être flingué à l’infini!” résume l’humoriste Roman Frayssinet dans le deuxième album de Lomepal. À tout cela, il faut ajouter la position d’indépendan­ce vis-à-vis de l’industrie que le chanteur tient depuis ses premiers projets. Lomepal reste aujourd’hui un artiste-entreprene­ur, soucieux de tout comprendre et de tout gérer, des décisions les plus cruciales au détail le plus anodin. “Les gens que j’ai pu côtoyer, qui étaient signés dans des grosses maisons de disques, avaient des vies très différente­s de la mienne. Ils avaient des voitures avec des chauffeurs qui les attendaien­t quand ils se déplaçaien­t, ce genre de choses. Mais tout était invisible, ils ne savaient pas ce qui était fait avec leur argent. Il y a une relation infantilis­ante, tu es traité comme un prince, mais qui ne sait pas comment ça fonctionne derrière. Alors qu’en indé, tous les jours, j’ai une triple casquette…”

Golf et collapsolo­gie

Avant la tournée, Antoine et ses musiciens se sont enfermés dans un studio de répétition, dans le centre de Paris. Dans un coin de la pièce, un tableau Velleda sur lequel sont inscrites au feutre les nouvelles chansons à jouer et rejouer. Jambes croisées, Lomepal chantonne les titres, assis sur une chaise. Ces compositio­ns-là sont plus rock, plus âpres, moins ‘tubesques’ que les précédente­s. Il est question de “faire feu” avec un flingue “juste pour voir ce que ça fait”, de retenir “le monstre à l’intérieur”, de ne plus “prendre d’appel” ou de ne lire “plus aucun message”. Dit autrement: il est question d’un homme sur le fil, qui chancelle et risque à tout moment de finir dans le décor. Quand il a commencé

Fin 2019, c’est le début d’une longue détox. “Je trouvais Instagram pathétique. Je me trouvais ridicule sur les réseaux. Je suis un grand fan des Beatles ; si l’on avait pu voir des stories de John Lennon, ça aurait niqué le mythe”

à travailler son nouvel album, Lomepal ne savait pas du tout ce qu’il allait bien pouvoir raconter, après deux disques très intimes. Il ne voulait surtout pas parler de sa vie. “J’ai l’impression que j’étais allé au bout de ce truc-là, je n’en avais plus du tout envie.” Dans Flash, un morceau sorti en 2019, il racontait par exemple le grave accident de la route dans lequel il s’était retrouvé un an auparavant à l’île Maurice, alors que lui et ses amis avaient décidé de prendre la voiture malgré l’alcool. Pour écrire ses textes, le rappeur va désormais chercher ailleurs, jusque dans la passion de son vieux pote Keroué pour le golf. L’hiver dernier, ils ont écumé les 18 trous de la région parisienne. Souvent, la météo était terrible. Il pleuvait, le sol se transforma­it en gadoue et les deux larrons, avec leurs dégaines négligées, étaient accueillis par le personnel avec de gros yeux pleins d’inquiétude. Toujours est-il qu’antoine a entendu des mots exotiques, qui ont atterri dans ses textes. “Dites à mon destin de mordre le tee, je vais lui refaire la gueule au fer 7”, scande-t-il sur Tee. Au détour d’un couplet, il évoque aussi la fin du monde. Sur Youtube, il a regardé des conférence­s du collapsolo­gue Pablo Servigne à propos de l’effondreme­nt prochain de notre civilisati­on. Le chanteur ne mange plus de viande depuis près d’un an, il assure ne consommer que très peu et ne plus se procurer de vêtements neufs. Cette année, il a cherché des solutions afin de ne pas vendre de merchandis­ing. Son équipe voulait récolter des t-shirts blancs dans des friperies avant de les floquer. Trop compliqué. Finalement, les vêtements vendus en marge de ses concerts sont produits en Inde, mais avec du coton bio. “Ça a l‘air d’être les moins dégoûtants… Mais ça reste l’enfer de fabriquer un t-shirt”, reconnaît Lomepal. En ce jour de répétition, avant de se lancer dans l’un de ses tubes, 1 000°C, Antoine s’adresse à ses musiciens. “On a eu un été dernier affolant, avec des inondation­s et des incendies partout dans le monde. C’est écrit en fluo que c’est pour maintenant, que ça part en couille dès aujourd’hui. Et rien ne change.” Faut-il pour autant en parler dans ses morceaux? Pas forcément, ditil. “Ce qui nous élève, c’est de se poser des questions, pas de donner des réponses. Faire se poser des questions aux gens, c’est stylé. Mais leur dire: ‘C’est ça qu’il faut penser et pas ça’, je ne peux pas.”

En attendant les derniers jours de l’humanité, autant boire des coups. À Vienne, l’horloge indique 1h30, le moment de remonter dans le tour bus approche tranquille­ment. La grosse bande qui entoure Lomepal se retrouve chez Nath’, la tenancière d’un bar logé dans une petite place du coeur de la ville. Dehors, une trentaine de personnes papotent sur la terrasse, dans l’air chaud de juillet. Nathalie a de grosses lunettes à montures et pas mal de gouaille. C’est sa dernière soirée avant des vacances bien méritées. Au comptoir, Antoine s’est déjà remis de la débauche d’énergie que représente une heure et demie sur scène. Il essaie de négocier quelques minutes de rab avant que tout le monde ne se retrouve à la rue. “J’ai réussi à gratter jusqu’à 2h12”, s’amuset-il en sortant. Tout le monde se serre dans les bras, la propriétai­re du bar ramasse les cadavres de bouteille au milieu des adieux. Bientôt, ce sera la fin de l’été, puis la reprise, puis d’autres concerts, d’autres rendez-vous, d’autres notificati­ons en cascade sur son smartphone. Depuis plusieurs semaines, le compte Instagram du rappeur publie à nouveau. Lomepal grimpe dans le bus, qui s’apprête à tanguer durant sept heures d’affilée. Destinatio­n: Paris. Par la fenêtre, un bout de France défile sous ses yeux. Il enfonce sa carcasse dans un fauteuil et glisse dans un petit rire: “C’est reparti.”

 ?? ??
 ?? ??
 ?? ??
 ?? ??
 ?? ??
 ?? ??
 ?? ??
 ?? ?? De plus en plus dingue, la business class...
De plus en plus dingue, la business class...

Newspapers in French

Newspapers from France