NOCES DE FUMÉE
Et si la meilleure manière de raconter la vie d’un pays se trouvait dans les archives photographiques de ses habitants? Avec son projet Beijing
Silvermine, l’éditeur et artiste Thomas Sauvin dresse une histoire de la Chine des années 1980-90 à travers une collection titanesque de vignettes argentiques “anonymes et abandonnées”. “J’ai habité en Chine pendant douze ans, entre 2003 et 2015”, explique ce digger de l’ordinaire qui, au détour de recherches “sur Internet, dans des marchés d’antiquités et en déchèterie”, constitue au fil du temps une archive dépassant aujourd’hui le million de photos. Un cliché en particulier retiendra son attention: celui d’un couple de Chinois en train de fumer un bang de cigarettes le jour de son mariage. “J’avais trouvé cette image très inattendue et iconique. À partir de là, je ne voyais plus que des cigarettes dès que je tombais sur une photo de mariage.” Signe de bonheur et de longévité (“Aussi bizarre que cela puisse paraître”), les cigarettes, offertes par cartouches aux jeunes mariés, seraient au centre de jeux et d’épreuves rituelles à mesure que l’ambiance s’échauffe sous l’influence de l’alcool de riz, “très présent”.
La mariée doit ainsi remercier les convives en plaçant une cigarette dans la bouche des hommes (“Il était alors assez mal vu pour les femmes de fumer”), ces derniers plaçant en retour un bonbon dans celle des femmes.
Si le fameux bang marital tiendrait en réalité davantage du symbole que d’un véritable moment de perdition, la cigarette reste une habitude bien ancrée dans la vie des Chinois. “Tout le monde fume tout le temps en Chine, c’est quelque chose d’incontournable”, conclut l’éditeur. Qui précise: “Je crois que c’est en 2007, un an avant les JO, qu’on a interdit la cigarette dans les hôpitaux. Ça en dit long sur la tolérance du pays face à cela.”