Society (France)

VOLS SURVEILLÉS

- PAR EMMANUELLE ANDREANI ET TOM BERTIN, AVEC CAROLINE CHAMBON

En l’espace de quelques mois, à la faveur du dérèglemen­t climatique et des appels du gouverneme­nt à la “sobriété”, ils sont devenus le grand marqueur du sujet qui monte: l’injustice et les inégalités climatique­s. Ciblés par un nombre croissant de sites et de comptes sur les réseaux sociaux “traquant” leurs moindres mouvements et calculant leur bilan carbone, les jets privés apparaisse­nt désormais comme un insupporta­ble symbole du “droit à polluer” que s’arrogent les plus riches. Et ça ne fait que commencer.

Jack Sweeney vient tout juste d’avoir 20 ans, mais au téléphone, sa voix traînante laisse entendre qu’il n’a pas tout à fait quitté l’adolescenc­e. Ces douze derniers mois, cet étudiant en informatiq­ue à l’université de Floride centrale a fait le tour de toutes les télés américaine­s, de CNN à NBC, parlé au New York Times et à L’AFP. Il a aussi reçu plusieurs offres d’embauche, échangé en direct avec Elon Musk et même avec les avocats d’un oligarque russe, qui se sont montrés, dans son souvenir, “un peu menaçants”. Lui raconte tout ça avec nonchalanc­e, comme on évoquerait quelque chose de parfaiteme­nt normal, bien qu’il ponctue parfois ses réponses d’un léger rire ou d’un “ouais, plutôt cool” –signe qu’il trouve tout de même ce qui lui arrive assez drôle. Son histoire, sorte de fable résumant à elle seule les deux ou trois dernières années dans le monde, commence au printemps 2020. Jack a alors 17 ans, il est en dernière année de lycée. C’est le confinemen­t, comme beaucoup d’autres ados, il s’ennuie, alors pour faire quelque chose, il se met à travailler sur un programme informatiq­ue d’un genre nouveau. Le principe: suivre de façon automatisé­e le jet privé appartenan­t au patron de Tesla et de Spacex, Elon Musk. Pourquoi? “J’aime les avions –ça date de longtemps, mon père travaille dans l’aviation–, j’avais des notions en code, et puis Elon Musk, je trouve que c’est un mec plutôt cool, ce qu’il fait dans l’espace, ses voitures électrique­s… Donc je me suis dit: ‘Peut‑être que ça serait cool de le suivre et de publier ça sur Twitter. Personne d’autre ne le fait.’ Et puis, il fallait bien commencer quelque part.”

En juin 2020, le compte @Elonjet est en ligne, tweetant chaque mouvement de l’avion, un Gulfstream G650 à 70 millions de dollars. D’abord dans une relative indifféren­ce, avant d’atteindre au bout de quelques mois plusieurs milliers d’abonnés –aujourd’hui, @Elonjet est suivi par près de 500 000 personnes. Entre‑temps, Jack Sweeney a créé une trentaine de comptes similaires, dont @celebjets (120 000 abonnés) en octobre 2021, qui permet donc de traquer les mouvements des célébrités, de Mark Wahlberg aux soeurs Kardashian en passant par Drake ou Taylor Swift, mais aussi @Zuccjet (Mark Zuckerberg) ou @Gatesjet (Bill Gates). Initialeme­nt plutôt suivis par des fans des personnali­tés en question, ainsi que par divers médias s’en servant comme sources pour des articles, ces comptes ont trouvé, depuis cet été, un nouveau public, non pas de groupies mais, au contraire, de haters en colère contre les riches gaspillant des tonnes de CO2 avec leurs jets privés. C’est ainsi qu’après un tweet le 13 juillet de @celebjets sur un voyage de 17 minutes au‑dessus de Los Angeles

pour éviter des bouchons, Kylie Jenner est devenue, sur les réseaux sociaux, une “criminelle climatique”, tandis que Taylor Swift devait, un mois plus tard, se justifier sur l’utilisatio­n intensive de son propre avion privé. Jack, qui ne se “considère pas comme un activiste”, a ainsi vu, un peu malgré lui, son audience augmenter au même rythme que les températur­es dans le monde, et que l’inquiétude climatique. Tout cela l’a notamment conduit à intégrer une nouvelle fonctionna­lité à son programme informatiq­ue: un calculateu­r d’émissions de CO2 par vol. “C’est bien qu’il y ait un débat sur le sujet des jets privés et du climat, dit‑il, mais je ne crois pas qu’on puisse vraiment les interdire… Ça serait un peu excessif. Après, c’est comme tout dans la vie, si les gens réagissent autant, c’est qu’il y a une bonne raison derrière.”

La raison est2toute simple. De par leur mode de vie, les plus riches émettent plus de CO que les autres: 17,8 tonnes par an pour les 10% les plus fortunés, contre 3,9 tonnes pour les 50% les plus pauvres, selon Oxfam. Et à l’heure où les effets du réchauffem­ent climatique se font ressentir de plus en plus durement, où des “efforts” sont demandés à l’ensemble de la population, cette “inégalité climatique” est de plus en plus ressentie comme une injustice. À ce titre, le jet privé n’est plus seulement un symbole de richesse, il devient un insupporta­ble symbole du droit à polluer que s’octroient, en quelque sorte, les plus fortunés. Samuel Sauvage, économiste au sein du cabinet Auxilia et auteur d’une tribune récente dans Le Monde, intitulée “Un vol privé en avion émet environ cinq fois plus de CO2 par passager qu’un vol commercial”, n’est pas très étonné par l’intérêt du grand public pour le sujet ces derniers mois. Selon lui, c’est le même sentiment d’injustice qui a conduit aux Gilets jaunes. “Ces polémiques sur les jets sont un mouvement assez important qu’il faut prendre au sérieux, estime‑t‑il. C’est impossible politiquem­ent de demander à la population de faire des efforts pour la planète si on n’ose pas s’attaquer aux plus riches.”

Ces derniers mois, en France, c’est sans surprise le plus riche d’entre eux qui a fait les frais de l’engouement pour le traçage en ligne des jets privés: Bernard Arnault. Prenant exemple sur Jack Sweeney, deux Français ont lancé en mai le compte Instagram @laviondebe­rnard (86 700 abonnés), qui retrace les mouvements de l’homme d’affaires, mais calcule aussi son bilan carbone. Pour le mois de mai: “176 tonnes de CO2 (soit) plus de 17 ans d’empreinte carbone d’un Français moyen”. Tout cela avec des objectifs ouvertemen­t plus militants que leur prédécesse­ur américain: “Nous voulons rendre visible l’injustice climatique par un exemple simple, expliquent‑ils par mail. Notre volonté est de rappeler que tout le monde doit atteindre deux tonnes de CO2 par an, y compris les milliardai­res, et que certains ont un plus grand chemin à faire.” Même principe pour le compte Twitter @i_fly_bernard (67 900 abonnés), qui suit le jet de Bernard Arnault, donc, mais aussi ceux appartenan­t aux sociétés de Martin Bouygues, François‑ Henri Pinault ou Vincent Bolloré, qui ont tour à tour vu tous leurs déplacemen­ts décortiqué­s. Exemple, le 19 septembre dernier, avec ce tweet sur le “triple vol efficace pour l’avion de François‑henri Pinault. – 08h37: Venise > Paris – 13h15: Paris > Venise – 17h20: Venise > Paris. Peut‑être un chargeur de téléphone oublié à l’hôtel ”, soit “18,3 tonnes de C02” pour la journée. Un tweet liké par près de 9 000 personnes et relayé plus de 2 800 fois.

Si aucune des personnali­tés ciblées n’a pris la parole à ce sujet –à part Taylor Swift, qui s’est défendue cet été en affirmant “prêter” régulièrem­ent son jet à d’autres personnes–, il est raisonnabl­e de penser que, parmi les plus fortunés, on goûte peu cette publicité. Après tout, voler en jet privé comportait jusqu’ici, parmi d’autres avantages, celui d’être le mode de transport le plus confidenti­el qui soit: or, en l’espace de quelques mois, il est devenu le plus exposé de tous. Est‑ce pour cette raison que Bernard Arnault a cessé d’emprunter son jet mi‑juin? Pendant des mois, ce Bombardier Global 7 500 quasi neuf, acheté en 2020 et considéré comme un des modèles les plus performant­s et haut de gamme du marché (prix catalogue: 73 millions de dollars, sans options), est resté cloué au sol. Avant d’être radié début septembre des registres de l’aviation civile. “Mais où est passé l’avion de Bernard?” s’interrogea­ient peu après ses “pisteurs” sur les réseaux, interpella­nt le patron de LVMH: “Alors Bernard, on se cache?” “Non, on a tout simplement vendu l’avion”, annonçait‑on début septembre à Society du côté de LVMH. Pour se déplacer, explique‑t‑on, Bernard Arnault passera désormais par des sociétés de location de jets privés, plus difficiles à pister –même si en juin dernier, le patron a été repéré à sa descente d’un Airbus A319 à Dijon par Le Bien public, suscitant à nouveau l’indignatio­n sur les réseaux. Depuis qu’il a vendu son avion, Arnault “emprunte de plus en plus le TGV, tient encore à préciser cette source chez LVMH, comme il le faisait déjà lorsqu’il allait à Lille et Roubaix (dont il est originaire, ndlr), ou récemment lors d’un aller-retour à Vendôme, dans le Loir-et-cher (où LVMH a des ateliers, ndlr), avec Bruno Le Maire.”

Quelques mois plus tôt, Elon Musk avait tenté de résoudre le problème différemme­nt: “Le 1er décembre 2021, il m’a envoyé un message privé, dans lequel il me demandait d’arrêter le compte, raconte Jack Sweeney. Il disait: ‘Ça devient un problème’, ‘Je n’aime pas l’idée de me faire tirer dessus par un déséquilib­ré’. Je lui ai répondu: ‘Vous savez, je ne vais pas arrêter ce compte pour rien, j’ai mis beaucoup de travail dedans’, et il a dit: ‘Qu’est-ce que vous pensez de 5 000 dollars?’ J’ai alors demandé plus, 50 000 dollars, ou une Tesla. Pendant un moment, il a réfléchi, la discussion a continué. Mais j’ai raconté cet échange à la presse en janvier 2022, l’info est sortie et il m’a bloqué.” Depuis, Jack n’a eu aucune nouvelle d’elon Musk. L’étudiant ajoute: “Je comprends que ce soit un problème en matière

“Notre volonté est de rappeler que tout le monde doit atteindre deux tonnes de CO2 par an, y compris les milliardai­res, et que certains ont un plus grand chemin à faire” Les animateurs du compte Instagram @laviondebe­rnard

de protection de la vie privée, mais ces infos sont publiques. Et de toute façon, si j’avais arrêté, je suis certain que quelqu’un d’autre aurait pris le relais.” Cette question de la vie privée est “un réel sujet de préoccupat­ion pour nous et pour nos clients”, embraie Roman Kok, de l’european Business Aviation Associatio­n (EBAA), qui défend les intérêts de l’aviation privée, à Bruxelles. Mais le porte‑parole de l’organisati­on estime que c’est un problème qu’il faut “accepter”: “On n’a aucun moyen d’arrêter le suivi des vols. On a essayé de réfléchir à des solutions, il y a eu des groupes de travail sur le sujet, mais c’est très dur.”

C’est, à vrai dire, impossible. Les données sur les trajets récupérées par ces comptes sont issues du système ADS‑B, dont sont équipés la plupart des avions dans le monde: c’est par ce dispositif qu’ils envoient, en vol, leurs informatio­ns en continu (positionne­ment, immatricul­ation, altitude, vitesse de croisière…) aux contrôleur­s aériens et aux autres avions de la zone aérienne équipés du système. Transmises par ondes radio, ces infos sont de facto publiques: pour les capter, il suffit de se brancher sur la fréquence d’une tour de contrôle ou d’installer un petit récepteur radio. Par ailleurs, depuis une vingtaine d’années, différents sites, tels que l’américain ADS‑B Exchange ou le suédois Flightrada­r24, les récupèrent et les mettent en ligne, permettant ainsi de traquer le moindre vol en temps réel. Ces sites ont vu, cette dernière année, leur audience exploser, entre les gens s’intéressan­t aux mouvements aériens au‑dessus de la Russie et l’ukraine depuis le début de la guerre, au voyage de la présidente de la Chambre des représenta­nts américaine, Nancy Pelosi, à Taïwan en août dernier (suivi par 2,2 millions de personnes sur Flightrada­r24) et à la mort d’elizabeth II (le 15 septembre, le vol transporta­nt son cercueil était traqué par plus de cinq millions de personnes, un record absolu). Pour élargir leur champ de couverture, les sites de flight tracking ont aussi pu compter, au fil des ans, sur une communauté grandissan­te de bénévoles, disposés à installer ces récepteurs dans leur jardin. Voire dans leur grenier, comme Romain, ingénieur informatiq­ue. Lui a placé le sien en 2013 chez ses parents, à Versailles, parce qu’il aime “suivre des avions, par curiosité”, et qu’il est “pour le partage, l’ouverture des données”. En tout, ils sont des dizaines de milliers dans le monde à l’avoir imité –le seul site Flightrada­r24 s’appuie sur un réseau de près de 35 000 récepteurs. Autrement dit: échapper à ce suivi en direct n’est, techniquem­ent, pas envisageab­le. “Le pilote peut tout à fait couper le transponde­ur qui émet le signal ADS-B, mais ça veut dire qu’on n’est plus suivi par le contrôle aérien et qu’on ne bénéficie plus de sa protection anticollis­ion, explique Xavier Tytelman, ancien navigateur aérien et consultant dans l’aviation.

Si vous faites ça, vous avez les avions de chasse qui vont décoller pour dire ‘Qu’est‑ce que vous faites?’ en moins de huit minutes.” Seule option, pour les propriétai­res de jets privés en quête de discrétion: contacter les sites en question pour leur demander de masquer leurs avions. Si Flightrada­r24, le site le plus consulté au monde, a déjà accepté de telles demandes, ADS‑B Exchange, lui, a pour principe de ne filtrer aucun vol, y compris militaire, bien qu’il reçoive chaque année des dizaines de sollicitat­ions en ce sens. C’est d’ailleurs pour cette raison que Jack Sweeney et les personnes derrière les comptes suivant les milliardai­res se basent plutôt sur ADS‑B Exchange et sa réputation de totale transparen­ce pour publier leurs informatio­ns.

Si la plupart des gens opérant ces comptes suivent manuelleme­nt les avions en se connectant au site, les comptes de Jack, eux, sont automatisé­s –son “bot”, sorte de programme‑robot connecté au site américain qui est en open source, se déclenche tout seul dès que l’altitude de tel ou tel appareil passe au‑dessus de zéro, calcule la route la plus probable en fonction de l’orientatio­n enregistré­e, etc.– ce qui fait que malgré sa trentaine de comptes, il n’a “quasiment rien à faire” et peut poursuivre ses études “comme n’importe quel étudiant normal”. Seul effort préalable à fournir: identifier et vérifier l’immatricul­ation du jet de chaque nouvelle personnali­té ciblée. “Pour les stars comme les Kardashian ou Drake, c’est plus facile, parce qu’ils postent des photos devant leur avion, à l’aéroport, ou alors il y a

“Il faut prendre au sérieux ces polémiques. Il est impossible politiquem­ent de demander à la population de faire des efforts pour la planète si on n’ose pas s’attaquer aux plus riches” Samuel Sauvage, économiste au sein du cabinet Auxilia

les paparazzi, on voit souvent le numéro d’identifica­tion sur les images ou il suffit de recouper l’info avec d’autres sources comme des articles, posts, etc., détaille Sweeney. Pour les patrons comme Musk ou Zuckerberg, c’est un peu plus dur, il faut fouiller dans les registres et les rapports de leurs compagnies, demander à la FAA (Federal Aviation Administra­tion, l’autorité de l’aviation américaine, ndlr) des documents. Mais là encore, ce sont des infos publiques, et on finit toujours par les obtenir.” Jack Sweeney reçoit régulièrem­ent des messages de ses abonnés lui demandant de suivre telle ou telle nouvelle personne. “J’accepte quasiment toutes les requêtes, mais il faut que l’info sur l’immatricul­ation de l’avion soit vérifiable”, affirme l’étudiant. Fin février, il a accepté, sur la base d’une liste qui lui a été transmise, d’ajouter à son palmarès une trentaine d’avions appartenan­t à des oligarques russes. En quelques heures, le compte @Ruoligarch­jets atteignait les 60 000 abonnés –aujourd’hui, ils sont 400 000. La liste en question comprend les avions de Roman Abramovitc­h (ancien propriétai­re du club de football de Chelsea), Alisher Usmanov ou Vladimir Potanine, des hommes d’affaires proches de Poutine, de Vagit Alekperov (ex‑président de Lukoil), mais aussi d’autres personnali­tés pourtant beaucoup moins proches du Kremlin (par exemple, Oleg Deripaska, fondateur du géant de l’aluminium Rusal, ouvertemen­t opposé à l’invasion de l’ukraine ou Leonard Blavatnik, l’homme le plus riche du Royaume‑uni, propriétai­re de Warner et non visé par les sanctions occidental­es). Des approximat­ions parfois pointées en commentair­es, et qui montrent les inévitable­s limites du flight tracking sur les réseaux sociaux comme outil de dénonciati­on. D’autant que, insiste le consultant Xavier Tytelman, “techniquem­ent, on ne peut pas savoir ce qu’il y a dans ces avions, qui il y a exactement, est-ce qu’ils sont seuls ou avec dix ou quinze personnes à l’intérieur? Et quelle proportion est acceptable?”.

C’est d’ailleurs cette limite qui pousse certains flight trackers à la prudence. L’ingénieur anonyme derrière le compte français @Cotamfleet, qui suit la flotte gouverneme­ntale depuis quatre ans, pose les choses d’emblée: “Je suis très différent de @Laviondebe­rnard.” Déjà parce qu’il n’est “pas un militant, mais un passionné d’aéronautiq­ue”. Et aussi, parce qu’il “suit des avions, pas des gens”: “Moi, je suis prudent dans la façon d’écrire des tweets, donc je dis ‘Il s’agit potentiell­ement d’untel parce que c’est tel avion et qu’il est attendu à tel endroit’. Il ne faut pas faire d’affirmatio­ns.” C’est ainsi que, le soir du 9 avril 2022, il tweetait à propos de deux “vols demain pour Perpignan pour le Falcon gouverneme­ntal F‑RAFP discret qui pourrait transporte­r le Premier ministre @JEANCASTEX”. Une informatio­n corroborée le 10 avril matin par les caméras de BFMTV, et qui provoquait dans la foulée une vive polémique, le chef du gouverneme­nt se voyant accusé par les uns de gaspiller l’argent public pour un aller‑retour de deux heures dans sa ville de Prades (5 000 euros pour une heure de trajet, selon un calcul de Mediapart) et par les autres de polluer (“4 460 kg de CO2 dans l’atmosphère, autant que ce qu’un Français émet en 6 mois”, pointait Loup Espaglière, fondateur de Vert,

un média écologiste en ligne). Les mois précédents, d’autres trajets du Premier ministre en Falcon, dévoilés par @Cotamfleet, avaient déjà suscité l’indignatio­n. “J’ai un Nice-paris qui a fait un million de vues, en mai 2021”, se souvient l’administra­teur du compte, qui préfère ne pas se prononcer publiqueme­nt sur l’aspect environnem­ental de la question: “J’ai une opinion, mais je la réserve à un cadre privé.”

Face à l’ampleur du débat créé par la multiplica­tion des comptes ces derniers mois, le gouverneme­nt a, en tout cas, été poussé à réagir. Fin août, le ministre des Transports, Clément Beaune, appelait dans une interview au Parisien à “agir et réguler les vols en jet privé. Cela devient le symbole d’un effort à deux vitesses”. Puis, sur France 2: “Les comporteme­nts vont devoir changer.” Avant de préciser: “Au niveau européen, on peut réfléchir à des systèmes, soit de taxation, soit de réglementa­tion.”

Sans aller jusqu’à l’interdicti­on pure et simple des vols en jet privé, prônée notamment par Julien Bayou (EELV), qui a lancé une pétition en ce sens, le ministre évoquait alors notamment la possibilit­é de mettre en place des quotas carbone plus contraigna­nts, sans écarter l’éventualit­é d’une nouvelle taxe sur ces vols. Des pistes qui sont loin de faire consensus au sein du gouverneme­nt. Depuis, dans la foulée de l’indignatio­n suscitée par l’aller‑retour Paris‑nantes du PSG et la petite phrase de l’entraîneur Christophe Galtier sur le “char à voile” début septembre, d’autres propositio­ns ont vu le jour, comme celle portée par des sénateurs écologiste­s visant à interdire les vols de moins de deux heures et demie sur des trajets faisables en train –une interdicti­on déjà censée frapper les vols commerciau­x depuis la loi sur le climat adoptée en juillet 2021, mais pas encore entrée en vigueur. La question de la régulation de ces vols pourrait en tout cas être abordée au niveau européen lors du prochain Conseil des ministres des Transports de L’UE, fin octobre, indique le cabinet de Clément Beaune. Une perspectiv­e qui “inquiète profondéme­nt le secteur de l’aviation d’affaires”, défend Roman Kok, de l’associatio­n EBAA, à Bruxelles, qui craint des “taxes supplément­aires, punitives, qui risquent de dévaster une industrie qui représente 400 000 emplois en Europe, contribue à hauteur de neuf milliards d’euros à l’économie européenne, et qui joue un rôle central pour la communauté”. Il oppose aussi que les vols privés servent pour des “raisons médicales et des rapatrieme­nts sanitaires” et qu’après tout, “on ne peut pas demander à des patrons et à des chefs d’état, qui travaillen­t dur pour faire tourner le monde et améliorer la société, de perdre du temps en prenant le train”. Surtout, il insiste sur le fait que les vols privés ne représente­nt que 2% des émissions du secteur aérien, lui‑même responsabl­e de 2% des émissions de CO2 dans le monde. Des chiffres repris en boucle depuis des mois par les opposants à toute forme de régulation, et non contestés par les ONG et militants anti‑jets privés, qui préfèrent cela dit calculer l’empreinte carbone par passager, cinq à quatorze fois plus élevée lors d’un vol privé qu’en avion de ligne et 50 fois plus que pour un voyage en train (selon un rapport de L’ONG Transport et environnem­ent).

Signe que la pression n’est pas prête de retomber sur la question, un individu interrompa­it vendredi 23 septembre dernier à Londres le match de tennis Tsitsip as‑ schwarz man vêtu d’un t‑shirt “End UK private jets” (“Mettez fin aux jets privés au Royaume‑uni”) avant de s’immoler par le feu le bras. Le même jour, une vingtaine de militants d’attac et d’extinction Rebellion occupaient le terminal réservé aux jets privés de l’aéroport du Bourget, près de Paris, première plateforme d’aviation d’affaires en Europe, avec 52 000 mouvements en 2021. Avant de s’enchaîner aux grilles, les activistes déployaien­t une banderole XXL sur laquelle on pouvait lire “Criminels climatique­s”. Enfin, le lendemain, à Antibes, un autre groupe de militants d’attac installait une banderole similaire sur le quai du port réservé aux yachts, resté bloqué pendant une heure. Car après les jets privés, ce sont désormais ces navires luxueux et ultrapollu­ants qui sont ciblés sur les réseaux: en juillet, @Yachtco2tr­acker a ainsi vu le jour sur Twitter. Son but: suivre “la production de CO2 de plusieurs yachts de luxe”, indique l’intitulé du compte, qui précise: “fortement inspiré de @i_fly_bernard et @Elonjet”. Depuis la Floride, Jack Sweeney réfléchit aussi désormais à se lancer dans le yacht tracking. “Pas mal de gens me le demandent, les données sont publiques aussi, mais un peu plus difficiles d’accès et un peu plus compliquée­s à décrypter, et il faut quand même que je suive mes cours… dit‑il, avant de lâcher dans un petit rire: Mais ouais, je vais peut-être le faire, c’est vrai que ça pourrait être plutôt cool.”

“Le 1er décembre 2021, Elon Musk m’a envoyé un message privé, dans lequel il me demandait d’arrêter le compte. Il disait: ‘Ça devient un problème’” Jack Sweeney, animateur du compte @Elonjet

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