Society (France)

“Le rythme des pays qui retirent le monarque comme chef d’état va s’accélérer”

- PAR TA – PROPOS RECUEILLIS

Au-delà du Royaume-uni, la fin de règne d’elizabeth II marque un tournant dans ce que l’on appelle encore les royaumes du Commonweal­th, quinze pays disséminés sur le planisphèr­e dont le chef d’état s’appelle aujourd’hui Charles III. Mais selon Cleve Scott, professeur d’histoire à l’université des Indes occidental­es, cela pourrait ne pas durer longtemps.

En novembre 2021, la monarchie barbadienn­e était abolie et la Barbade devenait une république. Le dernier pays à s’être séparé de la couronne britanniqu­e était la République de Maurice, en 1992. Pourquoi la Barbade a-t-elle à son tour fait ce choix? C’était une affaire simple, car à l’inverse d’autres pays des Caraïbes, la question n’avait pas à être posée par référendum. Après l’indépendan­ce en 1966, le premier Premier ministre, Errol Walton Barrow, a dit que le pays devrait éviter de trop ‘traîner dans les locaux coloniaux’. Dans les anciennes colonies, le niveau de conscience historique et politique a d’abord dû mûrir. La demande de sécession existe depuis le mouvement Black Power dans les années 1960. Puis c’est devenu un sentiment populaire qui ne connaissai­t presque aucune résistance.

Durant la décolonisa­tion, certaines colonies britanniqu­es se sont tout de suite séparées de la monarchie, d’autres ont donc attendu.

Pourquoi? Dans les Caraïbes, beaucoup de pays pensaient qu’il était important de maintenir la connexion historique à la Grande-bretagne. À l’heure des indépendan­ces, certaines banques, les compagnies de télécommun­ication et d’électricit­é étaient britanniqu­es. Se couper de cela aurait été trop révolution­naire.

Au xxie siècle, les sentiments vis-à-vis de l’héritage de l’empire ont changé. Le sentiment est que la Grande-bretagne ne peut plus rien faire pour ces endroits, et ces vieilles relations touchent donc à leur fin. On attend toujours des réparation­s pour les génocides de natifs et la mise en esclavage, mais feu la reine Elizabeth II était capable d’une forme de décence. Je doute que les gens montrent un attachemen­t du même type envers le nouveau roi. Donc je pense que d’ici quelques années, le rythme des pays qui retirent le monarque comme chef d’état va s’accélérer.

Le Commonweal­th s’étend dans le monde entier, mais seriez-vous capable d’exprimer comment ses habitants ont vécu la mort de la reine? L’opinion était assez divisée.

À la Barbade, le chanteur calypsonie­n Mighty Gabby, qui a reçu les plus hauts honneurs nationaux, a écrit un poème qui dit ‘bon débarras, aux ordures’. Il a été critiqué mais il a tenu ferme en expliquant que la reine n’avait jamais rien fait pour eux. À Antigua-et-barbuda en revanche, le jour des obsèques était férié, des gens chantaient God Save the King en face de bâtiments gouverneme­ntaux.

En Angleterre, certains semblent prendre conscience de l’anachronis­me de la monarchie. Mais les événements récents ont aussi pu rallumer la flamme entre le peuple et ses souverains. C’est le cas dans le Commonweal­th? Je ne pense pas. Dans les Caraïbes, la plupart des gens descendent de Noirs mis en esclavage. Durant la cérémonie de transition à la Barbade, l’actuel Charles III a indiqué qu’il pensait que le colonialis­me était une mauvaise chose. Mais la Commission de réparation des Caraïbes et d’autres organismes réclament qu’il s’excuse plus formelleme­nt.

Quels seront les prochains pays à abolir la monarchie? C’est difficile à dire, du fait des exigences constituti­onnelles instaurées par les Britanniqu­es dans les années 1960. Cela pourrait commencer par la Jamaïque, qui a été le premier pays des Caraïbes à prendre son indépendan­ce, mais la Constituti­on jamaïcaine exige l’approbatio­n de deux tiers des électeurs par référendum. Saint-vincent-et-les-grenadines a essayé de changer sa Constituti­on et de supprimer la reine en 2009, sans succès. Certaines personnes sont encore à l’aise avec la monarchie. Historique­ment, celle-ci était une sorte de dernier recours. Lors d’un conflit entre deux personnes, il était commun de dire: ‘Je vais écrire à la reine!’ Si les tribunaux ne donnaient pas satisfacti­on, certains envoyaient une lettre à Buckingham Palace. Il y a aussi un manque de confiance envers les locaux. Certains pensent que remplacer un monarque par un local ne serait qu’un transfert de pouvoirs. Enfin, il existe une forme de nostalgie. Dans tous ces pays, le système honorifiqu­e britanniqu­e existe encore. Juste avant la transition vers la république, la Barbade a créé ses propres anoblissem­ents. Certains disaient qu’ils préféraien­t ceux de Buckingham Palace.

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