Society (France)

LES ENFANTS DU PARADIS

- – JULIEN LANGENDORF­F

Et si la constructi­on d’un monde meilleur commençait dans une décharge laissée aux mains d’enfants? Avec la sortie du livre Huts, Temples, Castles, la photograph­e allemande Ursula Schulzdorn­burg revient sur sa découverte, en 1969, de Jongenslan­d, une aire de jeux expériment­ale et autogérée à Amsterdam. La progénitur­e –essentiell­ement masculine– locale y était encouragée à se créer, sur un terrain vague accessible uniquement par barque et à l’aide de déchets, une microsocié­té à l’abri de toute supervisio­n adulte. “Jongenslan­d, entre 1969 et 1971, donne une idée de ce que les enfants sont capables de faire quand on leur offre un infini d’opportunit­és et la liberté”, explique Schulz-dornburg, qui trouve alors dans ces habitats DIY un souffle vernaculai­re à mille lieues de la mouvance moderniste de l’allemagne prospère d’après-guerre, jugée “horrible”. “Il n’y avait rien pour vous aider à développer votre personnali­té, et les endroits construits pour les enfants étaient terribles.” Apparus à Copenhague en 1943 avant d’être relayés principale­ment en Angleterre, les terrains d’aventure collaborat­ifs pour enfants s’inscrivaie­nt dans une dynamique progressis­te européenne visant à produire des citoyens aptes à développer les sociétés démocratiq­ues de demain. Au programme de Jongenslan­d: élevage de poules et de lapins, feux de joie et élaboratio­n de huttes individuel­les, assemblées en groupe avec les moyens du bord. “Je crois que la pertinence de ce projet est en train de voir le jour, spécialeme­nt avec la prise de conscience croissante sur les questions écologique­s et le besoin d’un vrai changement pour le bien de notre environnem­ent”, poursuit la photograph­e. Et malgré le caractère forcément utopique de ce type d’infrastruc­tures (Jongenslan­d fut délogé en 1980 pour laisser la place à une entreprise de constructi­on) ainsi qu’une impulsion libertaire à nuancer –le projet souterrain aurait été de canaliser la délinquanc­e en l’éloignant le plus possible des rues, sans parler du fait que l’initiative était majoritair­ement réservée aux garçons–, ces centres aérés autonomes restent, pour Schulz-dornburg, un rite initiatiqu­e autrement plus formateur que les immersions virtuelles contempora­ines: “La plupart des enfants, aujourd’hui, sont collés à un écran pour jouer ou travailler. Ceux représenté­s dans mes images devaient non seulement prendre leurs propres responsabi­lités, mais avaient aussi beaucoup à retirer des fruits de leur travail manuel en commun. Cela semble désormais impensable.”

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