TÉLÉ POUBELLE
“J’aime enregistrer des moments poignants à l’aide d’un médium visuel”, confie le photographe américain Ryan Struck, dont la vue de vieux postes de télévision abandonnés sur le trottoir par leurs propriétaires a ainsi donné naissance à une élégie modeste, sobrement intitulée TV Series. C’est lors d’un trajet en voiture dans le New Jersey que celui-ci remarque pour la première fois l’une de ces entités domestiques sans foyer, présences mélancoliques laissées à leur sort dans un environnement inadapté. “Cela m’a semblé étrange et déplacé”, poursuit le photographe, qui évoque une force de “possession” le poussant à se garer pour s’approcher de l’objet condamné. “Cette première télévision a planté une graine, et plus j’ai commencé à les chercher, plus elles sont apparues.” Rassemblés sur une période de cinq ans et principalement immortalisés sur le bitume du New Jersey et de New York (“J’en ai cependant photographié dans tout le pays, et même trouvé un en Islande”), ces téléviseurs sur le départ, rendus caduques par l’arrivée des laptops, tablettes et autres écrans plasma, portent en eux une charge dramatique que viennent accentuer certains choix de cadrage de Struck –lequel précise n’avoir jamais déplacé ni arrangé la position de ses sujets. Symbole d’une époque révolue, celle d’une communion resserrée autour du même écran, cette série de vignettes désolées dégage un parfum de nostalgie (“Certaines de ces télévisions ont passé des décennies dans les foyers de leurs propriétaires, au centre des réunions et dynamiques familiales”) autant qu’elle servirait de moyen pour “réfléchir et examiner ses propres pensées, sentiments et idées liés au temps d’écran”.
Et si le photographe évoque le caractère inéluctable de la disparition des postes à tube cathodique (“Je savais que ce jour arriverait”), l’engouement récent pour le retrogaming leur offrirait une renaissance inespérée –certains modèles d’écran atteignant désormais jusqu’à 3 000 euros sur le marché de l’occasion. La revanche des nerds?