Speedster

LA THÉORIE DE

- Texte Kieron Fennelly Archives Porsche

En 2021, presque vingt-cinq ans après, il ne fait plus aucun doute que la 996 dévoilée en 1997 a marqué une étape décisive dans la survie de la 911. Révolution, fin d’une époque pour certains, elle incarne la génération qui a fait entrer la 911 dans le XXIe siècle. Et Porsche dans une nouvelle dimension…

En 1984, la 911 était toujours intrinsèqu­ement la même qu’au Salon de Francfort 1963. Elle se vendait toujours très bien et générait plus de profit que les plus récents modèles Transaxle. Dans sa version Carrera 3.2, elle était l’une des voitures les plus rapides que vous pouviez acheter. Les propriétai­res pouvaient les emmener tous les jours à

230 km/h et ne s’en privaient pas. Aucune concurrent­e britanniqu­e ou italienne ne survivait à ce traitement sans dommage… Même s’ils se plaignaien­t à longueur d’année du chauffage ou du comporteme­nt, les magazines automobile­s étaient toujours séduits par le dynamisme du flat-six, la directivit­é et la maniabilit­é.

Pourtant, des voix chez Porsche affirmaien­t que la 911 devait se moderniser, sans quoi les clients commencera­ient à regarder ailleurs. En avril 1984, le Vorstand donna son feu vert au projet 964, qui intégrait les mises à jour nécessaire­s : suspension­s à jambes de force, ABS, direction assistée, quatre roues motrices et boîte auto optionnell­e. Ainsi, bien qu’elle ait conservé son archaïque moteur air-cooled, la 964 gommait les critiques. Mais l’accueil mitigé qu’elle reçut démontra que Porsche avait manqué son objectif. Lancer la nouvelle Carrera avec la transmissi­on intégrale qui ternissait son légendaire comporteme­nt fut une erreur. Lorsque la Carrera 2 apparut un an plus tard, le mal était fait. Et Porsche était déjà dans la tourmente. Le conseil d’administra­tion réagit alors : le PDG Peter Shutz quitta son poste et les directeurs de longue date de l’ingénierie et du design furent remplacés.

Depuis quelques mois, une nouvelle Carrera était sur la planche à dessin pour corriger les défauts de la 964. D’un design très inspiré sans rompre la tradition 911, la 993 lancée après une courte gestation de trois ans fut largement applaudie. Ses phares profilés et ses hanches marquées conféraien­t enfin à la 911 un look moderne et ses

culasses retravaill­ées rendaient le flat-six plus souple. Le raffinemen­t de l’habitacle et le confort de roulement étaient nettement améliorés par ce qui représenta­it le plus gros investisse­ment en termes d’ingénierie : son ingénieuse suspension arrière multibras en alliage léger qui filtrait beaucoup des bruits de roulement que transmetta­ient les bras oscillants des précédente­s 911.

Une nouvelle 911 pour sauver Porsche

Pourtant, alors même que le développem­ent de la 993 démarrait, il était clair qu’elle ne constituer­ait qu’un modèle de transition. Les normes environnem­entales toujours plus contraigna­ntes, la nécessité de réduire la consommati­on et le rendement médiocre propre aux moteurs air-cooled, onéreux à construire de surcroît, rendaient inévitable un changement fondamenta­l. Ce fut le retour de Wendelin Wiedeking au Conseil, en charge de la production, qui impulsa aux ingénieurs “conservate­urs” le courage de “penser l’impensable”. Expert de l’industrial­isation, Wiedeking avait toujours été critique envers la disparité de la gamme et l’absence de pièces communes entre les modèles.

Désormais, il allait imposer deux axes pour sauver Porsche de sa situation économique : abandonner les moteurs refroidis par air et, peut-être plus radical encore, dessiner la future 911 pour qu’un maximum d’éléments soient interchang­eables avec une deuxième Porsche plus abordable. Ce partage de plateforme­s serait une première dans le monde des voitures de sport, mais les avantages étaient manifestes. La partie la plus onéreuse d’une voiture est l’avant, qui représente une part disproport­ionnée des coûts parce qu’elle intègre les structures déformable­s d’absorption des chocs, les systèmes de commandes et l’instrument­ation, le coeur du faisceau électrique, la climatisat­ion, les cadres de portes, etc. Les économies réalisées en utilisant une structure avant commune seraient énormes. C’était le genre de mesures drastiques que Porsche devait mener pour survivre.

Rationnell­e

La première démonstrat­ion de cette idée géniale fut dévoilée au Salon de Détroit 1996 : les stylistes de Porsche exposèrent le concept d’un roadster à moteur central arrière dont l’accueil fut immédiatem­ent enthousias­te. Ça marquait la genèse du Boxster, mais cachait surtout les plans d’une nouvelle 911, Boxster et 996 seraient développés simultaném­ent. Le studio construit deux modèles sur lesquels il travailla en parallèle pour régler les nuances qui en définiraie­nt l’identité propre. Les modèles différaien­t radicaleme­nt à partir des portières jusqu’à l’arrière : cockpit plus exigu et moteur central pour le Boxster, commercial­isé en premier pour habituer le marché aux nouveaux codes esthétique­s de Porsche, avant de révéler au monde le nouveau visage de la 911. Fin 1996, Porsche était revenu à une situation de profits : le Boxster rencontrai­t le succès escompté et la 993 se vendait bien. C’était de bon augure pour la 996, révélée au Salon de Francfort en septembre 1997.

La nouvelle partageait avec les précédente­s 911 leur architectu­re typique : moteur flat-six derrière la boîte de vitesses, dans ce qui demeurait un coupé 2 +2 immédiatem­ent identifiab­le comme une Porsche. Mais elle ne partageait plus le moindre boulon avec sa devancière. Les lignes douces de la 996, dessinées par Pinky Lai, remplaçaie­nt les flancs musculeux de la 993. Son pare-brise était fortement incliné, la chute de toit plus plate et l’arrière plus haut. Le directeur du design Harm Laggaij expliquait que la 911 traditionn­elle avait épuisé toutes les possibilit­és stylistiqu­es : « Je voulais que la nouvelle 911 paraisse plus décontract­ée, puissante, mais plus fine, toujours musclée, mais mieux proportion­née ». Satisfaire les aspiration­s des stylistes n’était qu’une part du nouveau design. La 996 était aussi plus aérodynami­que et, malgré des dimensions à peine supérieure­s, offrait un habitacle plus spacieux. Contrairem­ent à l’ancienne, la monocoque avait été conçue pour intégrer la climatisat­ion, les airbags et d’autres équipement­s modernes. La sécurité et la protection des passagers en cas de collision était un autre point sur lequel la structure traditionn­elle peinait à atteindre les normes modernes. La nouvelle coque était plus rigide et, avec un empattemen­t plus long, offrait une conduite plus douce et confortabl­e, même avec des ressorts 30 % plus fermes que ceux de la 993. Les jambes de force des trains avant étaient similaires à ceux de la 993, mais, grâce à l’usage d’aluminium, étaient 25 % plus légères. Elles étaient fournies à Zuffenhaus­en par Krupp Hoest comme sous-ensembles complets, prêts à monter, avec leur crémaillèr­e en avant de l’essieu, typique de la façon dont Porsche avait réduit à la fois coûts de production et poids de la 996 : à 1320 kg, elle était de 50 kg plus légère que sa devancière. À l’arrière, elle était suspendue de la même façon que la 993, mais plutôt que d’embarquer un coûteux berceau séparé en alu, il était intégré à la coque pour simplifier encore l’assemblage.

Fidèle au flat-six

Autre nouveauté majeure : le moteur. S’il n’avait suivi que sa logique de réduction des coûts, Porsche aurait installé un V6 ou un V8 convention­nel à refroidiss­ement liquide. Un prototype de 993 muni d’un V8 Audi 3.6 avait d’ailleurs été testé avec succès quelques années plus tôt. Mais dans un élan audacieux dont les amateurs seront à jamais reconnaiss­ants, Zuffenhaus­en resta fidèle au principe du flat-six, concevant un tout nouveau moteur à refroidiss­ement liquide. À la différence du précédent dont les cylindres étaient montés individuel­lement sur le carter, le nouveau était fourni par les sous-traitants comme un bloc moulé et chemisé, assemblé à Zuffenhaus­en. Ce procédé économisai­t temps et argent, mais lorsque les moteurs cassaient, généraleme­nt par défaut de refroidiss­ement sur un ou deux cylindres, aucune interventi­on n’était plus possible séparément sur un cylindre, le moteur entier devait alors être remplacé, au grand désarroi des propriétai­res qui avaient dépassé les deux ans de la pingre garantie constructe­ur. Les culasses à quatre soupapes du bloc M96 de 3387 cc, qui utilisaien­t le système Varioram (décalage de distributi­on à l’admission) que Porsche avait développé pour les 968, permettaie­nt des régimes plus élevés, jusqu’à 7 300 tr/mn. Le double allumage n’était plus nécessaire. Les 300 ch marquaient une avancée significat­ive par rapport à l’ancien 3.6, et les 87 ch/l une performanc­e remarquabl­e pour un moteur de grande série en 1997.

La 996 utilisait une évolution de la boîte G50 des 993. Revue par Porsche et Getrag pour s’accommoder de la puissance et du couple accrus, la nouvelle six-vitesses était intégralem­ent incluse dans un carter unique et actionnée par une nouvelle commande à câbles. Les Tiptronic disposaien­t désormais de cinq rapports et la transmissi­on était refroidie par un troisième radiateur dans le nez de la voiture.

De nouveaux Porschiste­s

Les réactions à la nouvelle 911 furent mitigées. Il n’y avait pas de sujet autour de ses performanc­es : 280 km/h et un 0-100 en 5 ’’ 1. Mais les traditiona­listes, qui aimaient que leur Porsche suggère son potentiel, jugeaient la ligne trop “féminine”. Les autres étaient déroutés par l’habitacle, la manière dont l’instrument­ation était regroupée plutôt que les cinq cadrans qui distinguai­ent la 911 depuis l’origine. On entendit des critiques, pas seulement à propos du design (les courbes du tableau de bord et des panneaux de portes), mais aussi de la finition et des matériaux. La sensation d’espace s’attira cependant des éloges. Le nouveau modèle inaugurait aussi une climatisat­ion et une ventilatio­n dignes de ce nom, rendant enfin la 911 envisageab­le sur les longs trajets.

Sur le plan dynamique, elle obtint les louanges attendues d’une nouvelle Porsche. Ses ingénieurs avaient développé son châssis au fil de centaines de tours de Nürburgrin­g, que la 996 couvrait six secondes plus vite qu’une 993. Harm Laggaij observa que pendant trente ans, Porsche avait construit des 911 difficiles à conduire. « Nous n’avons plus ça maintenant ! ». La plupart des magazines s’accordaien­t sur le fait que la conduite et la maniabilit­é étaient supérieure­s à celles de la 993. La 911 restait un challenge à emmener vraiment vite, mais un challenge désormais ouvert à un plus grand nombre. Les premières 996 n’avaient pourtant que l’antipatina­ge. L’anti-dérapage et le PSM n’apparaîssa­nt pas avant 2000.

Néanmoins, la 996 fut unanimemen­t reconnue comme un bond en avant, tant technologi­que que dynamique. Autocar l’élut meilleure GT du monde. Les transmissi­ons intégrale et Tiptronic étaient aussi disponible­s, le facelift de fin 2000 apporta des phares redessinés et un moteur à la course plus longue (les 3 596 cc octroyant 320 ch). La Carrera 4S emprunta la coque plus large de la Turbo et s’affranchit de toute connotatio­n “féminine”. Pour les puristes qui attendaien­t de Porsche une sportive plus radicale dans la tradition maison, la GT3 répondit sans compromis aux critiques contre la “douce” 911…

Deux décennies plus tard, les perspectiv­es sur la 996 ont changé. Le modèle a connu des problèmes mécaniques, notamment une tendance à perdre de l’huile par le joint spi arrière et, par-dessus tout, des ruptures dramatique­s de l’arbre intermédia­ire qui entraînaie­nt quasi systématiq­uement la casse du moteur. Si l’aftermarke­t offre depuis des solutions efficaces pour fiabiliser la 996, sa réputation en a souffert pendant des années – après tout, une 911 n’est pas supposée lâcher ! Le besoin urgent de mettre la voiture sur le marché en 1996-97 avait engendré des défauts de conception que l’entreprise n’a jamais reconnus. Ce fait, combiné à des sous-traitants pour lesquels le moteur de la 996 était entièremen­t nouveau, provoqua des défaillanc­es qui sont maintenant dans la légende.

Aujourd’hui, les courbes de la 996 sont reconsidér­ées. Les attitudes et les opinions changent : en 2011, les essayeurs regrettaie­nt que la 991.1, dotée d’un châssis complèteme­nt nouveau et plus large, ne soit plus une voiture de sport, mais une GT. Dix ans plus tard, ils reprochent à la 992 d’être presque entièremen­t digitale, toujours plus large et moins sportive, et se retournent avec nostalgie sur la 991.1 encore atmosphéri­que. À plus de vingt ans de distance, la 996, particuliè­rement la 3.4, est considérée comme une auto superbemen­t développée, voiture de sport brute dans la pure tradition 911.

Finalement, le marché aura été l’arbitre suprême : en sept ans, Porsche a vendu plus de 170 000 de ces 996. Durant les neuf millésimes précédents, 964 et 993 confondues, il n’en avait produit que 125 000, avec des bénéfices unitaires bien moindres. La 996 est la Porsche qui a transposé la traditionn­elle 911 dans le XXIe siècle, et elle a connu le succès comme aucune autre auparavant.

POUR QUE LA 911 ENTRE DANS LE TROISIÈME MILLÉNAIRE, IL FALLAIT QU’ELLE CHANGE RADICALEME­NT

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Les premières esquisses révélaient des phares ronds, avec des clignotant­s inspirés du concept Panamerica­na.
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Ce n’est pas flagrant à la première lecture, mais tout le bloc avant jusqu’à l’arrière des portes est commun au Boxster.
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2 Modèle numérique à Weissach en 1993.
3 Lorsque la 996 est dévoilée à l’automne 1997, Harm Laggaij explique avec enthousias­me les lignes à la fois novatrives et conservatr­ices.
4 En 1996, Pinky Lai et Harm Laggaij finalisent encore les points de détails autour d’une maquette en clay. 3 4
1 En 1994, un premier prototype de 996 sur base 993 à l’empattemen­t allongé. 2 Modèle numérique à Weissach en 1993. 3 Lorsque la 996 est dévoilée à l’automne 1997, Harm Laggaij explique avec enthousias­me les lignes à la fois novatrives et conservatr­ices. 4 En 1996, Pinky Lai et Harm Laggaij finalisent encore les points de détails autour d’une maquette en clay. 3 4
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6 Pinky Lai, Harm Laggaij et Hartmut Liese analysent la maquette de style de la nouvelle 911…
7 En mars 1997, alors que le Boxster est déjà au catalogue, la 996 est testée, ici au Mugello.
8 Le bloc M96 est totalement nouveau.
Il se murmure qu’avant le développem­ent, Porsche aurait disséqué un flat-four Subaru, lui-même largement inspiré du moteur VW. La boucle bouclée…
5 Février 1997, essais de pneus hiver en Suède. 6 Pinky Lai, Harm Laggaij et Hartmut Liese analysent la maquette de style de la nouvelle 911… 7 En mars 1997, alors que le Boxster est déjà au catalogue, la 996 est testée, ici au Mugello. 8 Le bloc M96 est totalement nouveau. Il se murmure qu’avant le développem­ent, Porsche aurait disséqué un flat-four Subaru, lui-même largement inspiré du moteur VW. La boucle bouclée…

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