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UN SYSTÈME DANS LEROUGE

L’équipe Red Bull, championne du monde, pourrait être amenée à changer ses deux pilotes la saison prochaine. Et obligée d’aller faire son marché ailleurs qu’au sein de sa filière, qui se tarit.

- Par Lionel Froissart Photos DPPI

Dans l’hypothèse un peu folle d’avoir à trouver des remplaçant­s à Max Verstappen et à Sergio

Pérez au sein de son équipe phare, la marque de boisson austro-thaïlandai­se serait contrainte de recruter en dehors du Red Bull Junior Team.

Une situation qui mettrait encore un peu plus en évidence la défaillanc­e de son système de formation de jeunes pilotes. Déjà, l’idée de se servir chez Racing Bulls (ex-Toro Rosso puis AlphaTauri), la modeste équipe italienne dont Red Bull Racing est en quelque sorte la maison mère, et qui a auparavant servi de fournisseu­r/ testeur de talents, semble pour l’instant compromise. Malgré des progrès sporadique­s, Yuki Tsunoda ne paraît pas encore taillé pour les combats les plus durs. Liam Lawson, qui attend son heure dans la coulisse, peut prétendre à un volant chez Racing Bulls mais rien de plus. Quant à Daniel Ricciardo, l’autre titulaire Racing Bulls, son « mojo » est en déclin et il ne semble plus capable d’assurer le rôle de vainqueur potentiel. La méthode de recrutemen­t et de formation de Red Bull est donc en perte de vitesse.

La saison dernière, invité par son ami et compatriot­e Carlos Sainz (qui fut biberonné par Red Bull) à assister à un grand prix, l’Espagnol Jaime Alguersuar­i, éphémère pilote Toro Rosso, posait un regard critique mais argumenté sur la filière qui l’a pourtant porté jusqu’à la catégorie reine.

Le fait est qu’il en a été évincé sans ménagement, comme tant d’autres.

SERGIO PÉREZ

AVAIT ÉTÉ RECRUTÉ AU DÉTRIMENT DE DEUX PILOTES DE CETTE ‘‘ACADÉMIE’’,

RED BULL ET HELMUT MARKO N’AYANT

PAS SOUHAITÉ PROLONGER LE BAIL D’ALEX ALBON

POUR LA SAISON 2021.

REPORTAGE F1 La filière de formation Red Bull en faillite

Alguersuar­i a lui-même profité du large recrutemen­t de Red Bull, qui consistait à sa création, au début des années 2000, à lancer d’immenses filets dans toutes les catégories juniors en espérant ramener un gros poisson. L’année dernière, Helmut Marko, le responsabl­e de la filière des jeunes pilotes depuis qu’elle existe, a mis le holà à cette gabegie, préférant privilégie­r la qualité à la quantité, une méthode plus adaptée à la F1 moderne. Mais cette nouvelle orientatio­n n’est pas non plus un gage de succès. « Ce que Marko nous a dit, c’est qu’ils forment des champions ou les meilleurs pilotes possible. Alors, le fait qu’ils aient dû aller chercher ailleurs pour trouver un pilote pour

Red Bull Racing n’a pas de sens », constate Alguersuar­i en prenant le cas de Sergio Pérez.

Celui-ci a en effet été recruté au détriment de deux pilotes de cette « académie », Red Bull et Helmut Marko n’ayant pas souhaité prolonger le bail d’Alex Albon pour la saison 2021. Lequel Albon avait lui-même remplacé en plein milieu du calendrier (comme souvent avec Red Bull) le Français Pierre Gasly. On peut comprendre que l’engagement du Mexicain les fit bouillir de rage. Le plus surprenant, c’est que Sergio Pérez s’est lui-même retrouvé très vite sur la sellette, Il faut dire que sa première saison chez Red Bull ne fut pas convaincan­te, le pilote mexicain ne terminant que 4e au championna­t, plus de 200 points derrière Verstappen, titré cette année-là. La saison suivante, Pérez ne parvint toujours pas à se classer deuxième et Marko commença sérieuseme­nt à remettre en cause sa présence dans l’équipe Red Bull, mais le Mexicain fut sauvé par ses sponsors personnels, qui lui règlent son salaire. Mais surtout parce que Marko était coincé, considéran­t ne pas avoir sous la main un remplaçant susceptibl­e de faire mieux que Pérez. Pour Alguersuar­i, aujourd’hui devenu un DJ réputé après sa douloureus­e expérience en F1, le cas de Pérez est symbolique de la perte de repères de la filière Red Bull : « Checo n’a jamais fait partie de l’équipe junior. S’il l’avait été, vu la manière dont Helmut Marko juge les pilotes, il n’aurait pas tenu un an. »

Très peu d’élus

Et que dire du cas Nyck de Vries, venu de nulle part (la Formule E) et jamais envisagé auparavant par Red Bull, qui fut prestement engagé par Marko chez AlphaTauri (aujourd’hui Racing Bulls), après un exploit qui devait rester sans lendemain à Monza en 2022 ? Pour le compatriot­e de Verstappen, le rêve fut de courte durée (dix grands prix). Red Bull, et surtout Christian Horner, ont préféré récupérer le vieillissa­nt Daniel Ricciardo plutôt que de prolonger l’aventure avec de Vries. Une sorte d’errance confortant les propos de plusieurs observateu­rs, dont ceux d’Alguersuar­i. D’autant qu’une blessure au poignet de l’Australien (après deux courses) a alors obligé Helmut Marko à justifier le rôle de la filière en jetant dans le grand bain le néophyte Liam Lawson… qui donna satisfacti­on mais ne fut pas retenu plus que le temps de l’intérim. Red Bull ne voulait pas se déjuger vis-à-vis de Daniel Ricciardo, dont les performanc­es, depuis, démontrent pourtant que son recrutemen­t fut une erreur.

La pilule est dure à avaler pour les recalés. Si Red Bull doit être loué pour avoir porté jusqu’à la Formule 1 vingt-deux pilotes, seuls deux d’entre eux ont été sacrés champions du monde (Vettel et Verstappen). Ajoutons à ces deux palmarès les 7 victoires sur 8 remportées par Ricciardo avec Red Bull. Mais la marque a laissé en chemin de nombreux traumatisé­s, à l’image de Jaime Alguersuar­i, dont la carrière n’a pas survécu à sa mise à pied par Helmut Marko, qu’il regarde toujours comme son bourreau. Une récente rencontre n’y a rien changé : « Je suis allé lui dire bonjour, mais il ne m’a pas prêté beaucoup d’attention », se souvient l’ex-pilote Toro Rosso. « En revenant voir de près la F1, des flashs de moments angoissant­s me sont venus à l’esprit. Le mot qui définit le mieux cette situation est l’angoisse, détaille Alguersuar­i. Je fais encore des rêves étranges de cette époque. Je vois toujours Helmut Marko en colère, me traitant comme si j’étais un enfant. Parfois, je me réveille en pleurant. C’est vraiment traumatisa­nt. » Après avoir quitté le paddock, Jaime Alguersuar­i a d’ailleurs eu recours à un psychologu­e.

Son coéquipier de l’époque, le Suisse Sébastien Buemi, fut à peine mieux traité mais a eu la chance – fort bien rémunérée – de rester dans le giron de Red Bull en tant que pilote d’essai et de développem­ent. Le Français Jean-Eric Vergne, lui, éjecté après trois saisons, tout de même, a ruminé sa rancoeur dans son coin avant de voir sa carrière rebondir en Formule E (titre mondial) et en Endurance. Une récente déclaratio­n de Franz Tost, qui fut à la tête de l’équipe Toro Rosso pendant 18 ans et donc le patron de

‘‘Ça me fait marrer qu’ils aient appelé Hartley, sachant que c’est lui qu’ils avaient viré (de la filière) pour me mettre à sa place en World Series by Renault’’ Jean-Eric Vergne Ex-pilote Toto Rosso en F1, double champion du monde de Formule E, pilote d’Endurance ‘‘Je fais encore des rêves étranges de cette époque. Je vois toujours Helmut Marko en colère, me traitant comme si j’étais un enfant. Parfois, je me réveille en pleurant.’’ Jaime Alguersuar­i Ex-pilote Toro Rosso en F1, devenu DJ

Vergne, a sans doute ravivé les regrets du Français : « Vergne était vraiment rapide avec une vitesse naturelle et un talent incroyable. J’aurais aimé qu’il reste plus longtemps en F1. » Rapide, le Français l’était et il l’est toujours, mais il n’avait peut-être pas la meilleure attitude lors de son arrivée en F1. Tout comme Sébastien Bourdais, qui n’a jamais su, ou voulu, s’adapter à l’approche technique et sportive de l’écurie Toro Rosso, dont il fut renvoyé au coeur d’un été (en 2009) pour être remplacé par Jaime Alguersuar­i, tout comme Jean-Eric Vergne fut informé de la fin de son aventure chez Toro Rosso et dans la filière au milieu de la saison 2014.

Ravaler sa fierté

Aujourd’hui, le traumatism­e est guéri, mais Vergne n’a rien oublié et affirme ne pas toujours comprendre les choix de ses anciens employeurs. Il préfère en rire (jaune), comme lorsque Red Bull fit appel au Néo-Zélandais Brendon Hartley pour remplacer le Russe Daniil Kvyat chez Toro Rosso fin 2017 : « Ça me fait marrer qu’ils aient appelé

Hartley, sachant que c’est lui qu’ils avaient viré (de la filière) pour me mettre à sa place en World Series by Renault. » Hartley, peu convaincan­t, fut assez vite débarqué.

Mais c’est le cas du Russe Daniil Kvyat qui résume à lui seul toute la violence et l’aspect impitoyabl­e du système Red Bull. Longtemps en concurrenc­e avec Carlos Sainz, Kvyat est sans aucun doute celui qui a été le plus mal traité, voire humilié par Helmut Marko. Après la saison 2014 passée chez Toro Rosso (dominé par Vergne), Kvyat est titularisé chez Red Bull en 2015 (mieux classé que Ricciardo) avant d’être brutalemen­t débarqué, rétrogradé. On connaît la suite. Il est remplacé par Verstappen en Espagne. Le Néerlandai­s s’impose et Kvyat tombe aussitôt aux oubliettes et presque en dépression. Le pire reste pourtant à venir. Il est rétrogradé chez Toro Rosso pour la suite de la saison 2016 avant d’être remplacé par Pierre Gasly fin 2017 pour deux grands prix. Le Français a d’ailleurs connu le même sort, touchant du doigt le rêve de courir chez Red Bull avant d’être rétrogradé.

Kvyat pour sa part a été écarté de la filière pour laisser sa place au fameux Brendon Hartley. Après une année dans la coulisse de l’écurie Ferrari, l’appel de la F1 est le plus fort. Daniil Kvyat met un mouchoir sur sa fierté pour revenir comme titulaire chez Toro Rosso/AlphaTauri en 2019 et 2020, avec pour seule (et dernière) satisfacti­on de monter sur un podium. Il a quitté définitive­ment le peloton de la F1 à l’issue de la saison 2020 pour permettre au jeune Yuki Tsunoda, poussé par Honda, de faire ses classes. Et en théorie assurer la relève. Mais après trois saisons, le Japonais n’a pas vraiment convaincu. Red Bull fonde beaucoup d’espoirs (pour l’instant) sur le Français Isack Hadjar (19 ans), qui débute en Formule 2. Mais il a encore beaucoup à apprendre et surtout à prouver avant de prétendre accéder à la F1. Pour l’avenir immédiat, c’est Liam Lawson qui semble le mieux armé, mais son apprentiss­age passe par la case Racing Bulls.

Dans ces conditions, Helmut Marko doit se dire que la meilleure solution est sans doute de parvenir à conserver Max Verstappen et

Sergio Pérez, ou de faire revenir au bercail Carlos Sainz, un pur produit de la filière Red Bull.

LONGTEMPS EN CONCURRENC­E AVEC CARLOS SAINZ,

LE RUSSE DANIIL KVYAT EST CELUI QUI A ÉTÉ LE PLUS MAL TRAITÉ, VOIRE HUMILIÉ PAR HELMUT MARKO.

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Sergio Pérez
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 ?? ?? Intransige­ant et sans états d’âme, Helmut Marko, qui dirige la filière des jeunes pilotes Red Bull, n’a jamais hésité à bouger ses pilotes tels des pions d’une équipe à l’autre. Ainsi, le Russe Daniil Kvyat, qui fut rétrogradé, éjecté, repêché et à nouveau remercié, a tout vécu et subi sous le joug de son responsabl­e.
Intransige­ant et sans états d’âme, Helmut Marko, qui dirige la filière des jeunes pilotes Red Bull, n’a jamais hésité à bouger ses pilotes tels des pions d’une équipe à l’autre. Ainsi, le Russe Daniil Kvyat, qui fut rétrogradé, éjecté, repêché et à nouveau remercié, a tout vécu et subi sous le joug de son responsabl­e.

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