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Antoine Brodin : vestiges d’un rêve

- TEXTES : WILLY ABOULICAM PHOTOS : AURÉLIEN LAMBERT

Le créateur verrier Antoine Brodin, lauréat du Prix L’oeuvre 2017 de la Fondation d’atelier d’art de France, a élaboré durant 9 mois cette oeuvre monumental­e. Migration est une barque-squelette en verre ciselé de plus de 4 mètres de long. Il évoque la génèse de cette étrange squelette de barque merveilleu­se.

« L’idée première était une barque d’une grande pureté, d’un rubis tout en lumière et en transparen­ce sur un lit de sable blanc de Fontainebl­eau, l’une des silices les plus pures pour faire du verre. Le verre, de par sa transparen­ce, son histoire possède dans la mémoire collective une haute valeur ajoutée, comme s’il était inaltérabl­e et sacré et qu’il ne supportait aucune tâche ou entrave à son éclat.

Cette tentation de la pureté, cette exigence de la perfection m’ont mis sous tension dès le début et m’ont fatigué, jusqu’à la lombalgie chronique. Dans la dernière ligne droite, mon compresseu­r a d’ailleurs lâché, évacuant la pression à ma place !

À mesure donc que j’avançais sur ce projet, s’est imposée l’idée de garder les pièces les plus brutes possible. J’y ai trouvé une cohérence en phase avec la réalité du quotidien fait de moment de grâces et de moment triviaux.

Et puis cela donne à l’oeuvre une dimension supplément­aire, une densité de la matière qui joue vraiment sur la confusion. Nous passons de la pierre au métal,

« C’est l’érosion qui racontera l’histoire »

de la céramique au verre. Le tout dans une danse végétale.

J’ai donc lâché prise avec la soif de perfection et de transparen­ce, abandonnan­t le combat sans fin contre la poussière qui se dépose en permanence à l’intérieur des pièces et assumant les casses et les accidents qui accentuent l’archéologi­e de cette sculpture.

Nous avons soufflé avec mon équipe plus de cent côtes pour en avoir 42 correctes, j’aurais pu continuer une année de plus pour obtenir exactement le même rouge sur chacune, avec la forme parfaite imaginée…une quête sans fin qui n’a pas de sens.

Ce choix ne s’est pas fait sans heurts : lorsqu’une côte s’est brisée au sablage, j’ai maudit le ciel durant 2 jours avant que l’idée de l’intégrer dans la sculpture ne fasse son chemin. Les propos d’un professeur de dessin me revinrent alors en mémoire : « Il faut toujours un élément perturbate­ur dans une oeuvre car si c’est trop parfait le cerveau n’adhère pas ».

J’ai monté le canoë en veillant à ce que l’ensemble des

membrures assemblées ressemble à une coque de bateau à l’intérieur, tout en gardant un oeil sur la ligne extérieure afin de créer le volume, dessiner la ligne d’eau.

Pour la scénograph­ie, j’ai choisi la pouzzolane noire (une roche volcanique) pour enfouir la structure, renforçant le côté néolithiqu­e, une pièce venant d’un autre âge, une époque où tout semblait mystérieux.

Avec un écrivain et un sculpteur nous avons affiné la nécessité d’une pouzzolane plus irrégulièr­e et d’une lumière plus suggestive. J’ai également échangé avec un metteur en scène de théâtre en imaginant un deuxième travail de sculpture par la lumière.»

L’artiste-chercheur Tommie Soro écrit : « Les crânes d’oiseaux sculptés avec élégance évoquent un ensemble de significat­ions culturelle­s subtiles ; une idée d’espoir incarnée dans notre identifica­tion avec le vol est placée dans un récit de destructio­n et de ruine par le symbolisme inquiétant des restes squelettiq­ues. La présence de modèles textiles, de systèmes

« Si nous devenons vraiment les maîtres de notre environnem­ent physique, si nous devons prendre la place de Dieu, alors quelle sorte de dieux serons-nous ? »

humains d’organisati­on et de constructi­on, encadrant le cycle de l’espoir et de la destructio­n dans le contexte de l’agence et de la créativité, vient superposer et compliquer ce récit.

Si nous devenons vraiment les maîtres de notre environnem­ent physique, si nous devons prendre la place de Dieu, alors quelle sorte de dieux serons-nous ? Quel genre d’univers allons-nous créer ? Pour Brodin, les réponses se trouvent dans les tensions entre le passé, le présent et l’avenir, le cycle en spirale qui tisse les prédisposi­tions et les conditions naturelles, les traditions établies et nos capacités technologi­ques en évolution pour devenir des “créateurs de mondes”.»

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Photo François Golfier Le Roi des Oiseaux, détail.
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Photos : Aurélien Lambert Migration
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Photo François Golfier Corolles
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Photo Aurélien Lambert Murmuratio­n (encre sur papier/ 110 x 75 cm) «Nuage d’étourneaux en forme d’énigme scientifiq­ue, véritable ode poétique au mouvement pur et à la symbiose ».
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