Stylist

Toujours le même thème S

- Aude Walker rédactrice en chef

tockholm, fin février. On a si froid qu’au lieu de visiter Djurgården, dès la première heure sur place, on se réfugie dans un hammam. On y passe la journée en peignoir, à boire du thé et manger des Sarah Bernhardt, ces petits cônes délirants au chocolat et à la meringue. Au bout d’un moment, on nous fout dehors. Dehors, on arrête net d’être heureux. On a froid, on se met à se haïr. On a les mâchoires si scellées par le gel qu’on se quitte sans fureur; en silence. Je repars seule et pitoyable, mes chaussures si peu adaptées disparaiss­ant dans la neige à chaque pas, me répétant que «la solitude est un mal nécessaire». J’étais deux, je ne suis qu’une. Pour faire passer le barda, je me carapate sous un marché couvert et commande une bière ou deux. Ma voisine de comptoir m’entend geindre au téléphone. Elle parle un français parfait ourlé d’un accent suédois: «Si vous avez envie de parler, j’adore parler français et je sais écouter.» Brune, le cheveu si brillant qu’il semble parsemé d’un caprice de diamantair­e, le corps tonique et le rire récurrent; la fille est de celles avec qui tu as tout de suite envie de partager blagues limites, danses bancales et fous rires sonores. Plus on descend des bières, plus on se raconte, moins je trouve que la solitude est une bonne idée. Les lumières du marché finissent par chuter, les serveurs par nous inviter à disparaîtr­e. Dans la rue, le véhicule de ma nouvelle comparse nous attend, alangui contre un mur propre. Un vélo tandem. Elle me raconte, sans quitter son rire, qu’elle a perdu Antoine, son frère jumeau, il y a quelques mois, qu’ils étaient inséparabl­es au point de se déplacer dans la ville sur un tandem. Depuis, elle ne peut s’en empêcher, elle se promène seule sur ce tandem. Et elle a bien du mal à avancer. Elle serait ravie que j’accepte de l’accompagne­r pour une balade nocturne. Je grimpe dessus, évitant de me demander comment une action pareille va pouvoir se dérouler avec moi et toute cette neige dans l’histoire. Au début, c’est la galère noire pour obtenir un semblant d’équilibre: «Suis-moi, ne te crispe pas, fais-moi confiance, trouve le rythme.» Un résumé de toute histoire à deux; duos amoureux, amicaux ou profession­nels. À l’image de celui formé par les designers Viktor et Rolf, nos invités pour ce numéro spécial, et qui nous démontre sans effort qu’à deux, quand on a trouvé le rythme, c’est tellement mieux.

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