Stylist

“tout le monde s’est ménagé un espace où le mauvais goût a repris ses droits”

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iscrètemen­t, tu les scrutes, ces gens autour de toi, ces gens de Paris, qui sont revenus à la normale. Ou du moins, c’est ce qu’ils prétendent, bien que tous gardent en eux, sur eux, une trace de ces semaines passées, loin de la vie des villes. Tandis que tu te réadaptes doucement, tu t’amuses à repérer ces vestiges que chacun conserve et défend secrètemen­t. L’un porte encore ses Riviera usées à la corde, si élimées à vrai dire qu’on devine des ongles de pied un peu trop long. Rébellion par la négligence. Une autre a trouvé un coquillage dans lequel elle a percé un trou pour mieux l’attacher autour de son cou ; un collier de petite fille dont elle aura honte dès le mois d’octobre. Le troisième s’est affublé d’un tatouage éphémère que l’on devine à la lisière de son T-shirt de bureau. Tu meurs d’envie de remonter sa manche pour découvrir le mignon message imprimé sur sa peau encore hâlée. À la photocopie­use, une jeune fille chic sifflote un de ces morceaux de l’été, un tube sur la recherche du bonheur, qui la ferait hurler de dégoût le reste de l’année. En fin de journée, tu rejoins une amie qui commande en terrasse un Sex on the beach, comme s’il était banal de siroter de la vodka et de la liqueur de pêche avant la nuit tombée. Elle a prononcé le nom de ce cocktail avec la désinvoltu­re de celle qui a répété cette formule tout l’été. Tu lui avoues que toi-même, tu as enlevé à regret le fil d’amitié multicolor­e

Dque l’on t’avait noué au poignet sur la plage. Tu l’as ôté en faisant la grimace avec un brin de superstiti­on. Est-ce que tu risques vraiment de briser les liens qui t’unissent à cette personne que tu aimes tant ? Elle sourit avec indulgence, parce que c’est la moue du moment, celle du mois de septembre, où chacun cultive une vague nostalgie. Évidemment que c’est con, stupide à souhait. Mais on est tous dans le même état, alors ça va – même les tournures grammatica­les de cette chronique sont infiniment paresseuse­s. Tu aimes bien l’idée que tout le monde s’est ménagé un espace où le mauvais goût a repris ses droits. Comme une forme de lâcher-prise nécessaire, un moment où chacun se moque de ses propres diktats, fermant les yeux sur les dérives de son voisin. Mais ce qui t’amuse le plus, c’est d’imaginer que tous ces gens sérieux n’ont pas eu le coeur, en se levant ce matin, de renoncer à leur relique. On les dirait chargées de croyances mystérieus­es, pleines des promesses que chacun s’est faites pour les mois à venir. Faites que je sois moins angoissée, faites que je n’ouvre jamais l’enveloppe des impôts, faites que je reste ivre, légère, inconséque­nte, libérée de toute notion de travail. Chacun s’est fait une religion qui sera mise à l’épreuve du vent, fouettée par la bise jusqu’à l’abjuration. Et pour rester cohérente avec le sujet, tu laisseras à Brigitte Bardot le soin de conclure ce billet comme elle sait si bien le faire : « Que c’est triste quand on pense à la saison du soleil et des chansons. »

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