Stylist

Plonger pour ses amis

- Aude Walker rédactrice en chef

“George se met à déconner et crache son détendeur”

Le club de plongée est planqué derrière les hangars à bateaux. Chaque été, il devient le lieu de maraude des jeunes filles du coin. Dans le Sud, la figure du surfeur vit un gros revival. Et le moniteur de plongée peut vaguement ressembler à un surfeur, moins efficace, mais un surfeur quand même. Cette saison accueille George, un moniteur irlandais, dont la corpulence, le teint pâte à sel, le grand sourire de nourrisson content détonnent un peu avec le style de ses camarades. Il a une maîtrise aléatoire du français mais s’adapte nickel au débit quotidien de rosé de Greg, le leader du crew. Blond bleaché, torse et pieds nus en permanence, avant-bras illuminés d’un duvet étincelant, bermuda kaki : fantastiqu­e en été, sûrement dégueulass­e en hiver. George et Greg deviennent meilleurs copains. Greg enseigne l’alcool et le nudisme à George. George lui fait écouter du rock anglais et rigole à toutes ses blagues. Plus l’été avance, plus les plongées matinales sont violentes. Réveil à 7 h, ouverture de la boutique, nettoyage du pont du bateau au jet, remplissag­e des bouteilles, préparatio­n du matériel, accueil des clients, blagues. Les sorties du matin sont consacrées aux niveaux 3 et 4, généraleme­nt en quête de plongées profondes sur des épaves. Une en particulie­r : celle du Donator, un cargo de 78 mètres de long, seul rescapé de la Compagnie algérienne de navigation pour l’afrique du Nord au sortir de la seconde guerre mondiale. Ayant explosé sur une mine en novembre 45. Profondeur : 51 mètres. L’épave est une référence. La plongée n’est pas sans danger. Aussi loin de la surface, il faut gérer sa consommati­on d’air et l’ivresse des profondeur­s. Greg est évidemment un fou de plongées profondes. George les a peu expériment­ées, ayant beaucoup pratiqué dans les lacs. Ce matin-là, peu de clients se sont réveillés. Il fait une chaleur de fou. Les garçons se remettent difficilem­ent d’une nuit à boire et parler de la seule histoire d’amour de Greg qui a été « tuée par ce putain d’internet ». Ils se jettent ensemble du bateau. À 30 mètres, ils entrevoien­t la silhouette du Donator qui, couvert de gorgones rouges et jaunes, ressemble à L'île aux fleurs. Ils se laissent avoir par la beauté et se retrouvent à 51 mètres, trop vite. George se met à déconner et crache son détendeur pour le donner aux mérous. Greg lui replace doucement et l’invite à remonter. Mais George lui échappe et commence à palmer comme un fou plus loin, plus profond, en proie à son ivresse. Greg le rattrape, ses tympans vont exploser. Il remonte George, à moitié inconscien­t. À genoux à côté de son gros corps effondré sur le pont du bateau, en attendant les secours, Greg lui demande ce qu’il lui est passé par la tête. Il répond : « Cette nuit, tu as dit qu’internet avait gâché ta vie. Je voulais couper le câble au fond (p.30). C’est tout. »

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