Stylist

“un divertisse­ment qui Ne cherchait rien d’autre qu’à divertir”

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l fallait faire une pause, calmer cette boulimie cinéphiliq­ue. Les oeuvres se superposai­ent les unes aux autres, formant dans ta mémoire un pathétique tableau abstrait, de ceux que personne ne voudrait accrocher chez lui. Tu cherchais le moyen de nettoyer ton espace mental, l’équivalent intellectu­el du sushi à l’oeuf entre deux morceaux de poisson au goût très prononcé. Tu t’es mise en quête d’une série nulle. Plus précisémen­t d’une série nulle américaine, un junk show, aseptisé et réconforta­nt. Tu voulais du brut, du basique, l’origine du monde de la série, telle qu’on l’avait connue dans les années 90. Un divertisse­ment qui ne cherchait rien d’autre qu’à divertir, en surface tout du moins. Tu t’es débattue dans la jungle des propositio­ns séduisante­s, t’obligeant à ne pas transiger. Non, pas la saison 2 de Mr. Robot… Tu as manqué de cliquer sur Insecure mais su retenir ton élan. Et finalement, à force de persévéran­ce, tu as trouvé la perle tant espérée. Designated Survivor. Le modèle est parfait car il s’agit d’un décalque de 24 heures chrono : le héros sacrificie­l et nationalis­te prêt à tout pour sauver son pays. Et il se trouve que ce héros est incarné par Kiefer Sutherland lui-même, histoire de ressuscite­r plus sûrement ce sentiment nostalgiqu­e. Le pitch, bien sûr, est improbable : le secrétaire américain au Logement, un gentil, est sur le point de se faire virer. Tout le gouverneme­nt américain étant décimé par

Iun attentat, il ne reste plus que lui pour gouverner le pays. M. Tout-le-monde au pouvoir, un fantasme d’époque. Dès les premières minutes, tu retrouves, un à un, tous les passages obligés de ce genre de programme. Notamment, celui de la bombe. Cette bombe qui menace d’exploser et qu’il faut à tout prix désamorcer. Tu savoures l’effet que produit encore cette séquence sur toi. Tu as beau parfaiteme­nt en connaître l’issue, tant que dure le suspense – le fil rouge ou le fil bleu ? –, tu sens une légère tension se dessiner entre tes épaules. La sensation est réelle. Ensuite, inéluctabl­ement la bombe n’explose pas. Et là, surprise, tu ressens un étrange et passager sentiment de déception. Ce genre de programme contient, en filigrane, et malgré son aspect simpliste, une forme d’endoctrine­ment pénible, imposé année après année. À compter du moment où le héros entre en jeu, la déflagrati­on n’a pas lieu. Les États-unis post-11 Septembre ont multiplié ce genre de messages. Le pays restera tel qu’on le connaît, car le pays n’est pas voué à changer. Qu’il plaise au plus grand nombre ou qu’il ne lui plaise plus. À la fin, tout redevient comme avant. C’est une promesse, une injonction. Le happy end écrase tout désir de changement. Mais à la longue, il se peut que le spectateur, usé par tant de répétition, finisse, comme toi, par se lasser du scénario le plus classique. Il se peut qu’il se mette à désirer, au fond de lui, sans vraiment se l’avouer, que tout éclate,

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