Stylist

“tu pourrais bien crever d’une maladie fictive, malin pour un auteur”

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n 2001, l’anglais Matthew Herbert inventait, avec son album Bodily Functions, un style qualifié d’electro-anatomique. Un ami t’avait expliqué le principe de ce disque : l’artiste avait enregistré les bruits produits biologique­ment par la digestion et le rythme cardiaque, pour faire de cette vie en nous une fête. À l’époque, tu te représenta­is une bande d’organes dansant comme des fous sur une piste de chair et de sang. L’image te faisait sourire, tu n’étais pas encore hypocondri­aque. Tu as passé un an à écouter en boucle cette musique venue du corps. Ensuite, durant quelques années, tu n’as plus songé, jamais, à ce qui se passait sous ta peau. Tu trouvais normal cette bonne santé qui était la tienne. Tu regrettes cette période bénie, l’insoucianc­e dans laquelle tu te trouvais alors. Depuis, tu t’es inscrite au fichier des malades imaginaire­s. Tu multiplies les angoisses vitales et rends les diagnostic­s les plus inattendus. À l’instar d’argan chez Molière : « Des maladies d’importance, de bonnes fièvres continues, avec des transports au cerveau, de bonnes fièvres pourprées, de bonnes pestes, de bonnes hydropisie­s formées, de bonnes pleurésies avec des inflammati­ons de poitrine. » Cette semaine, tu t’intéresses particuliè­rement à ton coeur. Tu te demandes si ce con n’aurait pas l’intention de décrocher. Tu dois admettre que tu vis à un rythme exalté. Lundi dernier, courant d’un rendez-vous à l’autre, tu sens ce coeur qui

Efrappe contre ton thorax comme s’il voulait te parler. Il envisage la grève. Tu es prise d’une angoisse. Et s’il en avait vraiment assez de ce tempo excessif ? Diagnostic immédiat : risque d’infarctus. Tu cours acheter des dosettes de décaféiné. Et puis tu arrêtes complèteme­nt de courir, décidant de modifier l’ensemble de tes habitudes pour ne pas y passer. Il faut éviter l’alcool, la fatigue, la colère. Tu marches, tu regardes le paysage. À ce rythme-là, tu te demandes ce que tu vas pouvoir faire de ton emploi du temps. Tu écris lentement cette chronique, tâchant de ne pas buter sur tes idées, ce qui réveillera­it une nervosité que tu ne peux plus te permettre. Écrivant ces lignes, tu réalises que tu es prisonnièr­e de ce nouvel état. Et puis, comment écrire sur le monde lorsque l’on mène une existence si parfaiteme­nt égocentriq­ue ? Prise d’un sentiment d’impuissanc­e, tu sens monter un irrépressi­ble agacement, et l’autre qui se remet à taper à l’intérieur. Tu lances une manoeuvre de Valsalva, principe que tu as découvert sur topsanté.com. Celle-ci consiste à gonfler les poumons, puis à bloquer l’air en gardant la glotte fermée. Tu ne parviens pas à faire l’exercice. Ton coeur tape plus vite, tu ne peux plus contenir ce stress qui te dévore complèteme­nt. Évidemment plus tu stresses, plus le battement s’accélère. La dernière pensée qui te traverse l’esprit est que tu pourrais bien crever d’une maladie fictive, malin pour un auteur.

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