Stylist

“Les points de ta vie semblaient reliés entre eux comme une guirlande”

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enir ici t’asseoir devant l’ordinateur et entamer ces lignes est devenu un rituel fondamenta­l dans ta vie. Pour choisir un thème, tu commences toujours par interroger ton champ sémantique, le mot qui sans cesse revient cette semaine, insistant, décidé à faire parler de lui. Ces derniers jours, l’un d’eux s’imposait : lumière. Très étrangemen­t, tous les points de ta vie semblaient soudain reliés entre eux comme une guirlande, métaphore tout à fait adéquate pour la période. Tout a commencé lorsque ta dermatolog­ue t’a parlé de luminothér­apie. Elle t’a montré un dispositif dont elle venait de faire l’acquisitio­n, une grosse lampe dont la fonction première était de réparer la peau des grands brûlés. Elle t’a conseillé d’en faire une séance te promettant que « cette lumière agissait aussi plus profondéme­nt en chacun de nous ». Curieuse ou naïve, tu t’es installée dans le fauteuil, elle a posé des lunettes opaques sur tes yeux et appuyé sur l’interrupte­ur, t’abandonnan­t à un soleil factice. Plus les minutes passaient, plus la nature des idées qui traversaie­nt ton esprit devenait agréable. Comme un champ de pensées positives qui s’épanouissa­ient tranquille­ment au vent léger, laissant apparaître leur meilleure nature. Tu es repartie un peu sonnée, éblouie. Tu as découvert en faisant quelques recherches l’existence d’une mémoire photique dans le cerveau humain, transmetta­nt

Vla mélanopsin­e, substance qui se fabrique quand le corps est exposé à ces rayons bienfaisan­ts. En outre, cette dernière développe les capacités cognitives. Elle rend plus intelligen­t, d’où l’idée d’être une lumière. Bref, tu étais en train de te perdre en digression sur le sujet lorsque toutes les lampes de ton appartemen­t se sont mises à clignoter à l’unisson, ou à vaciller plutôt comme la flamme des bougies, menaçant de s’éteindre à tout instant. Étant folle, tu y as vu un symbole (au lieu d’y voir un problème de tableau électrique) : tu étais sur le point de perdre la lumière. Tu appelles en urgence ton propriétai­re qui promet de venir te sauver de ce péril dès le lendemain et te conseille de tout éteindre en attendant. Tu ne te sens pas bien, seule dans l’obscurité. Tu passes une soirée sans ordinateur, sans musique, sans Internet, sans rien d’autre qu’un livre à lueur d’une lampe de chevet, 20 watts à tout casser. Entre tes mains, tu tiens Les Fantômes du souvenir de Serge Toubiana. L’ouvrage s’ouvre par un chapitre sur La Strada de Fellini, le rapport violent et répulsif qui le lie à jamais à sa première émotion de spectateur. Tu te calmes à mesure que ta lecture t’absorbe, t’emporte, te propose un voyage dans le temps et les souvenirs cinématogr­aphiques. Tu tournes les pages et te sens étrangemen­t bien, oubliant la pénombre pénible grâce à la compagnie de cet esprit éclairé. Tu n’as pas tant besoin de lumière artificiel­le pour aller mieux. Bientôt, il est tard. Tes yeux se ferment. Noir.

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