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FANTASME DU SPECTACLE UNIVERSEL

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Pour se hisser à la troisième place des séries originales les plus regardées sur Netflix, le show peut dire merci à son casting de jeunes acteurs. Si Millie Bobby Brown peut aujourd’hui rêver, comme elle le dit, d’être au casting de The Walking Dead ou de Stars Wars 8, c’est qu’outre des performanc­es d’actors Studio à faire pâlir De Niro (genre accepter de se raser la tête pour un rôle en assurant que c’est « le meilleur choix de sa carrière »), elle a bien compris que les enfants étaient la nouvelle pépite d’hollywood. Attention, pas n’importe quel marmot prépubère type Disney Production­s. « Vu le coût exorbitant des films, les majors doivent attirer un public le plus large possible, commente Nathalie Dupont, spécialist­e du cinéma américain. On est donc passé des enfants Disney, qui faisaient leur âge, à des gamins qui font face à des situations d’adulte. Comme ça, on fait venir à la fois les fameux 12-24 ans (le public qui va le plus au cinéma) et les plus vieux. » « C’est le cinéma italien des années 40 qui a commencé à filmer l’enfant comme un personnage et non plus seulement comme une marionnett­e mignonne, explique Roland Carrée, docteur en cinéma. Récemment, et particuliè­rement à Hollywood, l’enfant est devenu une sorte d’adulte miniature, dans des scénarios où l’on ne sait d’ailleurs plus vraiment qui est enfant et qui est adulte. » En créant ces adultes miniatures, capables de gérer aussi bien leur performanc­e que leur promo, Hollywood se rapproche peu à peu du fantasme du spectacle universel : une audience dans laquelle l’âge n’a plus d’importance. « Nous sommes dans une société intergénér­ationnelle où la distinctio­n par l’âge perd de sa puissance, explique Éric Hélias, président de l’agence de communicat­ion Buy Ideas. Aujourd’hui, les parents et les enfants ont des activités et des loisirs de plus en plus similaires, ils s’influencen­t mutuelleme­nt. Idem avec la consommati­on : désormais tous les âges peuvent se mettre d’accord sur des marques de consommati­on commune. » Quitte à ôter aux plus jeunes une certaine naïveté propre à l’enfance. La preuve avec Noah Schnapp, 12 ans (a.k.a. Will, le petit disparu de Stranger Things), qui a dû se fendre d’une longue lettre visant à clarifier « les rumeurs sur l’homosexual­ité de son personnage », digne d’une tribune de la meilleure asso LGBT. Extrait : « Être sensible, ou solitaire, ou un ado qui aime la photo, ou une fille avec des cheveux rouges et de grosses lunettes fait-il de vous un gay ? » Bam. à défendre des principes moraux abandonnés depuis longtemps par les adultes. Parmi les dernières vidéos virales d’internet, on a vu en septembre une petite fille en larmes qui expliquait pourquoi il ne faut pas manger des animaux. Un mois plus tard, une petite fille de 8 ans agacée par le marketing genré était visionnée plus d’un million de fois sur Facebook. « Pendant longtemps, l’enfant était l’infans, celui qui ne parle pas, rappelle le philosophe Salim Mokaddem. Pire, jusque dans les années 60, les médecins ne jugeaient pas utile de les anesthésie­r dans certaines procédures car, comme ils ne disaient rien, on les pensait dénués de conscience.» Une réalité pas si ancienne qui tranche avec tout ce qui est fait aujourd’hui pour leur donner la parole, des conseils municipaux pour enfants aux organisati­ons internatio­nales qui leur décernent des micro-prix Nobel (et on ne vous parle même pas de The Voice Kids). Et si aujourd’hui on les écoute, c’est qu’ils sont les seuls capables de se faire entendre face à la cacophonie des adultes. Preuve en est une vidéo filmée mi-novembre à New York, lors d’une manifestat­ion anti-trump, quand une petite fille a fait taire tout le monde en hurlant : « Je suis une

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