LA FIN DE VOTRE DIGNITÉ
Votre storytelling : un soir de printemps, en pleine montée de sève et de crozes-hermitage, vous avez encore soûlé vos amis pour jouer aux petits papiers, votre version DIY du Time’s Up. Sachant à quel point vous pouvez devenir pénible quand ils n’accueillent pas à bras ouverts vos envies de compétition, ils se sont sagement mis en rond, prêts à vous voir gagner avec l’humilité qui vous caractérise. D’autant que ce soir-là, l’enjeu était plus fort : il y avait des invités que vous ne connaissiez pas trop (et rien de tel pour mieux vous découvrir que de voir directement de quel bois vous vous chauffez aux petits papiers). Ce que vous n’aviez pas anticipé, c’est qu’ils avaient d’autres références, et donc autant de moyens de vous sortir de votre zone de confort culturelle. Alors que vous étiez fin prête à décrire Victor Hugo avec vos trois mots-clés (Misérables, Léopoldine, barbe), vous avez tiré Bismarck. Bismarck… Bismarck… Vous avez dégainé un compositeur, russe, métro. Vous avez joué le jeu assez longtemps du « mais non, pas lui, l’autre » après qu’on vous a proposé Tchaïkovski et Prokofiev. Jusqu’à ce que, voyant les regards gênés de l’assistance quand vous leur avez dévoilé la bonne réponse, une voix craintive vous explique qu’en fait, ben non, c’est le chancelier, tu sais, super-connu, qui a fondé l’empire allemand. Ouais mais non, vous pensiez à l’autre, le Bismarck compositeur connu de tous (enfin surtout de vous). Comme ils sont bien élevés, vous avez réussi à finir première, mais c’est parce qu’après, ils ne vous ont donné que des noms faciles, du type Hitler et Beyoncé (que vous avez évidemment mimés à merveille). Fact-checking : vous avez de très bons amis qui ont toujours fait en sorte de ne pas vous coller sur les rois de France et les ministres en exercice pour ne pas vous jeter à la figure que la pop culture, ce n’est pas tout à fait la culture quand même. Vous êtes moins cultivée que vous ne le pensez, mais très bien entourée.