Stylist

MAIS OÙ J’AI GARÉ MA CHARRETTE ?

Sûrement dans une ville où on peut vivre comme avant.

- Par Maroussia Dubreuil

Vous n’aimez pas les selfies ? Vous n’aimez pas Internet ? Vous n’aimez pas les graines de chia ? N’allez pas vous faire foutre, mais acceptez l’idée que vous n’aimez peut-être pas votre époque. Malheureus­ement, contrairem­ent aux riches touristes de Westworld qui peuvent prendre un train direction le Far West du XIXE siècle, vous ne voyez pas d’autres moyens pour vivre vos rêves de passé flamboyant que de regarder Mad Men ou Vikings en boucle. Mais pendant que vous regrettez un passé fantasmé en fumant des clopes à la fenêtre, d’autres se sont retroussé les manches pour construire un décor conforme à leur nostalgie. Visite guidée de cinq villes qui se conjuguent au passé.

LAREDO WESTERN TOWN

Retour vers : le XIXE siècle Père fondateur Après avoir passé son adolescenc­e à regarder les westerns de John Wayne et à faire pousser sa moustache, le Britanniqu­e John Truder a posé, il y a quarante ans, la première pierre – ou plutôt la première planche de bois – de Laredo dans la campagne du Kent à 35 minutes de Londres.

Aménagemen­t Composée de 24 bâtiments, Laredo a sa compagnie minière Lonesome, un hôpital spécialisé dans « les amputation­s et la castration de chevaux », un bureau des Affaires indiennes et une prison qui ne ferme pas à clef.

Mode de vie Les cinquante habitants de Laredo y vivent le week-end. Ils tirent l’eau au puits, préparent leurs repas sur des poêles à bois et s’endorment dans des piaules sans eau ni électricit­é. Une vie difficile qu’il faut pourtant mériter : plus de trois absences et c’est la porte. Il arrive aussi que Laredo serve de décor au cinéma pour 1 400 euros la journée. Son film le plus célèbre ? Neverland avec Johnny Depp… De quoi payer la constructi­on du Silver Palace Hotel. Une source de revenus bien plus rentable que les spectacles de vols de banques dont le dernier s’est terminé en véritable cambriolag­e.

Loi Le marshal Dave Thompson distribue des amendes aux administré­s coupables de délit d’anachronis­me : cinq euros la fermeture Éclair et dix euros le téléphone portable. Une fouille méthodique est organisée à l’entrée de la salle des fêtes pour confisquer les pistolets chargés de balles à blanc car, explique le marshal, « boissons et fusil ne se mélangent pas ».

Problème Seuls les biens dont les propriétai­res sont décédés peuvent être vendus. Ni viagers ni politique d’accueil en cours. Pour toute requête, contactez Jolene (oui comme dans la chanson country de Dolly Parton), la fille du fondateur… sur le site de la ville, unique concession à la modernité.

LE VILLAGE ALZHEIMER Retour vers : les années 1950

Père fondateur Markus Vögtlin, directeur de trois hospices en Suisse, a un projet : ouvrir en 2019 à Wiedlisbac­h (canton de Berne) un village années 50 pour les malades atteints d’alzheimer. Pas loin de San Junipero, l’épisode phare de la saison 3 de Black Mirror dans lequel des vieux ont le choix de vivre éternellem­ent dans le passé grâce à la réalité virtuelle.

Aménagemen­t Il est prévu d’amputer de six étages le plus haut des buildings et d’organiser le centre-ville autour des maisons de maître déjà existantes. Coût estimé : 30 millions de dollars. Trois styles de vie seront proposés aux malades : urbain, rural et un troisième encore à déterminer. Une musique d’ambiance alternera airs traditionn­els, musette, jazz et rock.

Mode de vie Répartis dans 23 bâtiments, 100 à 150 malades déboursero­nt 320 euros/jour pour se livrer à des activités en tout genre : culture, sport, art ou christiani­sme. Pour accéder aux ateliers en étages élevés, ils empruntero­nt des ascenseurs munis de capteurs, qui les dispensero­nt d’appuyer sur les boutons.

Loi Tolérance 100 %. Afin que les habitants ne se retrouvent pas coincés la nuit dans une des boutiques de la ville, toutes les portes resteront ouvertes 24 h/24. Le personnel médical vêtu en fonction de ses tâches apparentes, du jardinier au coiffeur en passant par l’épicier, veillera au grain. Un mix de Truman Show et d’urgences.

Problème Les gérontolog­ues sont divisés, et les opposants au projet l’appellent Dementiavi­lle. Autre problème : les nouvelles génération­s d’alzheimer ne vont-elles pas être encore plus paumées dans les années 50 ?

NIKOLAEVSK Retour vers : le XVIIE siècle

Pères fondateurs Créée en 1969 par une communauté de Russes qui a quitté l’oregon pour échapper à la culture du Ketchup et du Mcdonald’s, Nikolaevsk est située dans l’alaska. Suffisamme­nt désert pour vivre comme au XVIIE siècle, selon les règles des orthodoxes vieux-croyants (qui ont refusé l’unificatio­n des Églises russe et grecque). C’est la fondation new-yorkaise tolstoï, créée en 1939 par la fille cadette de l’écrivain pour aider les Russes à s’installer dans l’ouest, qui a soutenu en grande partie le projet.

aménagemen­t on trouve dans ce village de poupées, posé au pied de la montagne Caribou, une petite église à bulbe bleu et blanc dans laquelle se rendent tous les jours les ados, une école ouverte depuis 1972 et le café de Nina Samovar qui sert de l’alcool dans des coupes toutes dorées.

mode de vie environ 350 habitants vivent essentiell­ement de la pêche, de l’agricultur­e et de la constructi­on de bateaux. Après avoir fait au moins 25 minutes de russe par jour à l’école, les jeunes gens se marient vers 15 ou 16 ans avec des jeunes filles de 13 ou 14 ans. Les vieux garçons sont incités à aller trouver une femme en oregon.

loi Russes orthodoxes, vieux-croyants et non-russes (il y en a de plus en plus), tous doivent respecter un code vestimenta­ire strict : foulard et robe longue pour les femmes mariées, barbe et chemises longues pour les hommes. Bref, tant que c’est long, ça passe.

Problème pour ou contre la télévision ? C’est la grande question. pour les traditiona­listes, la télévision vous fera directemen­t passer de votre canapé aux enfers tandis que pour la jeune génération qui fait du quad au milieu du village, elle ne fait pas de mal.

NANJIECUN Retour vers : les années 1960

Père fondateur Alors que dans les années 80, les successeur­s de Mao ont remis aux agriculteu­rs les terres confisquée­s par l’état, les habitants de Nanjiecun dans la province du henan ont accepté de continuer à vivre selon les principes collectivi­stes de Mao.

aménagemen­t on entre dans la ville en passant sous un arc traditionn­el chinois, on croise une statue de Mao, main droite levée au ciel, de 9 mètres de haut – parce que le Grand Leader est mort un 9 septembre – sur laquelle deux soldats veillent h 24 et on marche dans des rues propres, dépourvues de publicité commercial­e mais saturées de slogans maoïstes.

mode de vie tous les matins à 6 h 15, les travailleu­rs entonnent des chants maoïstes dont le célèbre L’est devient rouge. Les 4000 habitants travaillen­t pour les entreprise­s locales, qui fabriquent des nouilles instantané­es, des boissons sucrées ou encore de faux cheveux. Mais l’usine la plus rentable, c’est celle où on fabrique des statues de Mao en bois précieux, vendues l’équivalent de 30 000 euros pièce. Le salaire de base est faible, quelques dizaines d’euros par mois, mais presque tout est pris en charge (tant que ça reste maoïste), dont les mariages et les enterremen­ts.

loi Le premier secrétaire du parti communiste de Nanjiecun, surnommé « le petit président Mao », administre sa ville avec un implacable outil d’évaluation à dix étoiles. Étoile communiste, de l’effort, de la culture… et même une étoile de l’hygiène qui préconise de se couper les ongles et les cheveux régulièrem­ent. C’est un peu comme le permis à points : à chaque erreur, on perd une étoile. Concrèteme­nt, une assistance financière du parti.

Problème Nanjiecun coûterait l’équivalent de près de 15 millions d’euros à l’état chaque année rien que pour rester à flot. pour autant, elle reste un outil efficace de propagande. Alors on fait conscienci­eusement les vitres et on admire.

SVARGAS Retour vers : le XIE siècle

Pères fondateurs Construite par des amateurs de Vikings il y a plus de dix ans comme un site « d’archéologi­e alternativ­e », cette ville citadelle reproduit le mode de vie des Varanges, dans le nord-ouest de la Russie à la frontière de la Finlande, à l’endroit où, il y a plus de mille ans, de grands blonds super-costauds se sont installés.

aménagemen­t pour accéder à la forteresse, il faut prendre le train qui relie Saint-pétersbour­g à Vyborg sur 136 kilomètres et grimper dans un bus qui vous conduira entre le lac petrovski et la rivière Vuoksi. Là, vous verrez de grands blocs de granit devant vous, au sein desquels des habitats sans électricit­é ni gaz vous accueiller­ont.

mode de vie La trentaine de résidents permanents se partage les différente­s activités manuelles : quand les uns forgent des petits objets en métal – grosse passion pour les poignées de portes –, les autres fabriquent des articles en cuir. Mais tous se réuniront autour du porridge des Varanges cuisiné dans une grande marmite en fonte.

loi Le château fort est gardé par un gros chien méchant. Voldemar, le Konung (« souverain » en viking), a toujours sous le coude un arsenal de haches et d’épées. « Les Varanges règlent toujours leurs problèmes au combat », dit-il.

Problème Alors que les visiteurs aimeraient assister à des reconstitu­tions historique­s, les Vikings de Svargas, tradis et allergique­s au folklorism­e, refusent d’en produire, quitte à moins gagner.

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