Ne pas prendre le temps
“L’ESPOIR DE VIVRE ASSEZ LONGTEMPS POUR ASSISTER À UNE RÉVOLUTION”
La science n’est rien de plus que l’exploration d’un miracle que nous n’arrivons pas à expliquer, et l’art, l’interprétation de ce miracle. » Tu as lu il y a bien longtemps les Chroniques martiennes de Ray Bradbury, compilant quelques nouvelles de science-fiction géniales. Le livre était paru dans la collection « présence du futur », et ce seul intitulé sur la couverture faisait naître mille images. L’ouvrage a laissé en toi une empreinte forte, un goût pour le miracle, un appétit pour l’espace et l’espoir de vivre assez longtemps pour assister à une révolution de tout ce que nous croyons savoir. Comme la possibilité de voyager dans le temps. Il aura fallu la rencontre fortuite de deux faits étrangers pour réveiller ce fantasme. Fait numéro 1 : tu t’appliques à transmettre à tes enfants tous les chefs-d’oeuvre de la pop culture qui ont forgé l’esprit de ta génération. Autrement dit, il était impensable que tu ne leur montres pas Retour vers le Futur. Le 1 et le 2. Tu n’aimes pas le 3. Comme tu te trouves toi-même à cheval entre deux époques, tu les installes devant un DVD. Et tu repars traîner, en ce vendredi soir, sur le World Wide Web. C’est là que tu tombes sur cet article du Monde. Fait numéro 2 : le papier relate une découverte majeure, la détection, par le dispositif Ligo, d’ondes gravitationnelles. On conçoit leur existence depuis 1916, moment où un scientifique halluciné imagine la théorie de la relativité. Cet homme, c’est Einstein – qui est aussi le nom du chien du Doc dans Retour vers le Futur. Et voilà que toutes les pièces s’emboîtent. Le prix Nobel de physique est décerné à Weiss, Barish et Thorne, ceux qui ont mesuré cette ride à la surface de notre espace-temps, infime mouvement qui prouve que ce temps est élastique. Continuant à surfer sur cette idée, tu découvres la tentative menée par Stephen Hawking, un scientifique au sens poétique si évident qu’il te bouleverse. En 2009, il organise une Time Travellers Party, espérant recevoir des voyageurs du futur qui, connaissant déjà l’existence de cette soirée, pourraient le rejoindre et partager avec lui leur science. Notamment le moyen d’opérer ce voyage à travers les époques. Malheureusement, ce ne fut pas la fête du siècle, personne ne vint. Et Hawking s’est retrouvé dans la position de cet adolescent déçu qui attend en vain qu’on l’invite à danser. Ce qui te touche, c’est le point de jonction de deux mondes qu’on dit séparés, la rencontre entre raison et imaginaire. Le moment où l’enfant que chacun a été se laisse deviner sous les traits de l’adulte. Le film se termine, tu éteins ton ordinateur et te couches, comme lorsque tu étais gamine, en espérant que ce miracle aura lieu bientôt. Que tu pourras retoucher les lignes que tu écris à présent à l’aune de ce que tu sauras demain.