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COMMENT UNE ÉPOQUE PEUT-ELLE SERVIR DE CAUTION À LA CULTURE DU VIOL ?

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Depuis les révélation­s du New York Times suivies par celles du New Yorker sur les agressions sexuelles dont est accusé le producteur américain Harvey Weinstein (Pulp Fiction, le Seigneur des anneaux, Will Hunting…), Hollywood vit l’un des pires thrillers judiciaire­s de son histoire. Jessica Chastain, Rose Mcgowan, Asia Argento, Meryl Streep, Glenn Close, Angelina Jolie, Emma De Caunes, Léa Seydoux… La liste des actrices l’accusant d’agression, de harcèlemen­t ou de viol dessine les contours d’un système de connivence et de complicité effarant dans le milieu du cinéma qui aurait couvert des agissement­s criminels en toute connaissan­ce de cause. Une culture du viol que l’auteur présumé des faits explique par le climat libertaire des années 70. Dans une lettre d’excuses, datée du 5 octobre, Weinstein expliquait : « Je suis devenu adulte dans les années 60/70, quand toutes les règles concernant le comporteme­nt et le lieu de travail étaient différente­s. C’était la culture à l’époque. » Une ligne de défense qui rappelle celle de Roman Polanski, qui a souvent remis en cause la gravité des accusation­s de viol dont il fait l’objet, invoquant les moeurs sexuelles plus libres de ses années de jeunesse. On a demandé à Natacha Henry, auteure de Les mecs lourds ou le paternalis­me lubrique (éd. Gender Company) ce que cette affabulati­on machiste lui évoquait.

Que pensez-vous de la défense de Weinstein qui consiste à dire que les choses étaient différente­s à l’époque ?

D’abord c’est absurde, puisque plusieurs des actrices qui ont témoigné, comme Léa Seydoux ou Emma De Caunes n’étaient pas nées à « l’époque » fantasmée dont il parle. Une victime est la même aujourd’hui qu’il y a vingt ou cinq cents ans. Invoquer l’argument historique pour justifier ces violences est insensé. Ce qu’il faut saluer, c’est le travail fourni par les associatio­ns féministes, en France et aux États-unis pour aider à libérer la parole des victimes. Si quelque chose a changé c’est qu’on est moins seules, c’est la rapidité avec laquelle d’autres femmes disent « moi aussi », c’est que la parole des victimes commence à être entendue. Mais quand on voit le temps que cela a pris à des actrices, connues, riches, ayant un accès aux médias, pour prendre la parole, on comprend le courage qu’il faut pour s’exprimer. Le courage qu’il faut pour se barrer d’une chambre où vous êtes en danger parce qu’un homme s’apprête à y commettre un crime, puni par vingt ans de prison, c’est le même aujourd’hui et il y a trente ans. Surtout quand l’entourage fait mine de ne pas voir ce qu’il se passe.

C’est ce que les médias américains pointent du doigt comme la « culture de la complicité » (culture of enablers) et qui a permis à Weinstein d’agir en toute impunité pendant des années, alors que tout le monde savait ?

Oui, il y a une vraie mise en question du rôle du témoin. On s’intéresse enfin aux collaborat­eurs du système de violence sexiste qui laissent faire, aident, protègent les agresseurs. Ils ont leur part de responsabi­lité. Il n’y a pas de neutralité, mais deux camps : celles et ceux qui considèren­t qu’une victime est une victime, qui perçoivent la menace, la peur, la difficulté de prendre la parole ; et celles et ceux qui disent « c’est pas si grave ». Ceux qui se taisent sont de ce côté. Cette ligne de partage est apparue clairement lors de l’affaire DSK. Ce sont les mêmes qui défendent Baffie sans se demander pourquoi on a besoin de soulever la jupe de Nolwenn Leroy à la télé – sinon pour dominer les femmes – et pourquoi on ne s’intéresse pas à leurs compétence­s. C’est toute une culture du pouvoir et de la domination qui est à l’oeuvre.

Mais justement les affaires Weinstein, Cosby, montrent bien que cette culture est en train de se fissurer ?

Oui. Il n’y a qu’à voir les réactions suscitées par la présence de Bertrand Cantat sur la couv des Inrocks, la semaine dernière. Il y a cinq ans, le même magazine avait déjà choisi de le mettre en une dans l’indifféren­ce quasi générale. Il y a vraiment une révolution. Le féminisme avance parce qu’il est collectif, parce que la parole se libère. Mais on ne peut pas se faire entendre sans le soutien des médias. Ce qui m’inquiète, c’est que pour un Weinstein, il y a je ne sais combien d’autres hommes qui sont en train de commettre des crimes en toute impunité. Il faut que la parole puisse se libérer en temps réel. Sans attendre que le temps passe.

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HARVEY WEINSTEIN ENTOURÉ DE RITA ORA ET ANNA WINTOUR

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