Le racisme est-il une aberration économique ?
Investissements avortés et conso en chute : comment le fric émerge en nouveau terrain de lutte contre les discriminations.
Comment le fric émerge en terrain de lutte contre les discriminations
Vous voyez ce type de personnes qui vous soutiennent mordicus qu’ils ne fument pas, une cigarette à la main ? Vous aimeriez bien trouver la parade à tant de mauvaise foi. Eh bien, c’est ce dont rêvent aussi un paquet d’américains face à Trump qui affirme sans faillir que le « racisme c’est le mal » tout en multipliant les déclarations et les décisions qui prouvent le contraire : les « torts des deux côtés » pour parler des violences à Charlottesville, la condamnation des joueurs de la NFL, la gestion de l’ouragan de Porto Rico, le mur anti-immigration… Bref, vous voyez l’idée : en gros, ce n’est pas l’éthique qui risque de faire changer de bord le président des États-unis. En revanche, ce qui pourrait le gêner un peu plus que la mort ou la misère au sein de populations qu’il a toujours considérées comme moins américaines que les autres, c’est si son racisme inavoué commençait à mettre à mal la prospérité économique du pays. Or, c’est l’idée qui a été soulevée par plusieurs cabinets d’études qui ont constaté un effondrement de la consommation latino depuis son élection. Les Hispaniques boudent les centres commerciaux, a fortiori près des frontières, de peur qu’il leur arrive quelque chose (la même angoisse les poussant à faire des économies au cas où). Et là, vous nous voyez venir : et si la meilleure façon de combattre le racisme, c’était de montrer qu’il est un danger pour l’économie ? D’autres études récentes ont démontré comment les discriminations étaient un frein à la consommation des personnes racisées. Fin novembre, celle présentée par le CNRS et SOS Racisme a par exemple suggéré que, suite à la discrimination pratiquée par les chambres d’hôtes, les familles racisées optaient du coup pour des vacances hors économie du tourisme. Est-ce l’heure pour le racisme de passer à la caisse ? Pour répondre à cette question, Sylvie Laurent, chercheuse et auteure de La Couleur du marché (Seuil) – une analyse de la perpétuation des inégalités raciales à l’aune de l’explosion néolibérale – et une humoriste, femme, noire et homosexuelle (le combo gagnant de la discrimination) Shirley Souagnon*.
On voit émerger depuis plusieurs années l’idée que la consommation ou la nonconsommation des minorités pourrait être un véritable levier politique. Pensez-vous que cela puisse être efficace ? Sylvie Laurent : on a déjà observé de tels effets par le passé. Par exemple, dans les années 80,
le leader des droits civiques Jesse Jackson avait utilisé ce type de pression à Chicago avec Coca-cola, qui refusait d’employer des vendeurs noirs. Jackson a lancé une opération qui consistait à demander à tous les Noirs de boycotter la marque. Les Noirs de Chicago ont suivi. Et Coca-cola a dû céder. Ils ont engagé des vendeurs noirs et leur ont donné des contrats de distribution. Leur pouvoir de « consommateurs » a été une arme.
Shirley Souagnon : pour qu’il y ait consommation, il faut aussi qu’il y ait quelque chose à consommer. C’est la raison pour laquelle j’avais monté Afrocast, un site qui réunissait des comédiens, réalisateurs et techniciens afros. Je m’étais rendu compte à l’époque que même au sein de la communauté, personne n’était capable de citer plus de trois acteurs ou actrices noir(e)s. Le site avait pour ambition de mettre en valeur leurs projets mais surtout de dire : il y a une population, avec un capital économique, qui a envie de se divertir, de lire des livres, d’aller au cinéma.
Le problème, c’est que parfois l’accès à la consommation est lui-même difficile…
SL: on le voit très clairement aux États-unis, où les banques bloquent l’accès des Noirs à la propriété et à l’investissement en ne leur accordant pas de crédit. Une autre façon