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Et si on arrêtait de bitcher ?

Et si on arrêtait de bitcher ? La parole est d’argent, ne la dépensons pas n’importe comment.

- par marie kock

Toutes les minutes dans le monde, 2 500 tonnes de déchets sont produites, Mcdonald vend 4500 hamburgers, environ 1 million de personnes flippent leur race à bord d’un avion et 300 000 tonnes de glace fondent dans l’antarctiqu­e. Mais ce qui est moins connu, certes parce qu’on est sur le point d’inventer ce chiffre, c’est que chaque minute dans le monde, 1,4 milliard de personnes sont en train de bitcher sur une autre. Faites le test dans la rue – vous vous souvenez, c’est cette grande étendue que vous apercevez derrière l’écran de votre Smartphone ? Écoutez les conversati­ons autour de vous. Et comptez celles qui commencent par « Et là, tu sais pas ce qu’elle m’a dit ? ». Asseyez-vous au café et repérez les discussion­s qui ne se focalisent pas

PARCE QUE VOUS N’AVEZ PAS LE TIME

Vous avez d’abord mis ça sur le dos de Mercure qui rétrograda­it (en même temps, c’est à se demander quand elle avance dans le bon sens, celle-là), avant de vous rendre compte que ça ne pouvait pas complèteme­nt expliquer votre propre régression. Crevée comme une vesse-de-loup – spéciale dédicace à nos lecteurs mycophiles –, vous avez beau courir dans tous les sens, vous n’arrivez jamais à boucler complèteme­nt une journée et passez vos soirées à allonger votre to-do list. C’est d’ailleurs en lisant votre mémo existentie­l que vous vous êtes rendu compte que quelque chose n’allait pas : « passer à La Poste (s’ils daignent être ouverts), envoyer le draft du projet « Mars et ça repart » à Elon Musk (comme s’il allait y comprendre quelque chose), penser à dire à la comptable que c’est une conne. » Pas étonnant que vous soyez crevé. e si vous dépensez toute votre énergie à bitcher sur tout ce qui bouge. Le taf vous épuise ? Peut-être que si vous ne passiez pas 2 h 47 par jour en moyenne à soûler tout le monde avec vos certitudes que personne ne glande rien à part vous, vous pourriez enfin repasser aux 35 heures. Vous n’avez pas eu le temps de vous couper les ongles des pieds depuis janvier ? Réduisez de moitié vos trollings compulsifs sur Twitter et on ne vous donne pas six mois pour devenir un. e pro du nail-art sur gros orteil. Vous avez laissé mourir papy pendant la canicule parce que vous n’avez jamais trouvé cinq minutes pour « prendre des nouvelles de vos proches » ? Libérez votre ligne de téléphone : 56 minutes pour expliquer dans le détail à Sophie que vous ne remettrez plus jamais les pieds chez Gino Vesuvio parce qu’on n’a pas compris votre italien LV4, c’est trop.

Try a little tenderness : passez cinq minutes par jour à vous rappeler que cette personne qui ralentit votre marche sportive dans les couloirs du métro a eu, enfant, une couleur préférée, un animal domestique dont la mort lui a brisé le coeur, un. e camarade de CP qui la faisait rire aux larmes quand il. elle lui exécutait son imitation de corbeau fou. Respirez un grand coup, contournez-la grâce à vos hanches incroyable­ment déliées et passez à autre chose.

PARCE QUE VOUS ÊTES CE QUE VOUS MANGEZ

Vous savez dans quel état vous êtes quand vous vous gavez de bonbons qui piquent ou de bleu d’auvergne : après quelques minutes d’euphorie, vous passez le reste de la journée complèteme­nt apathique et le visage vert céladon. Et même si vous vous accordez ainsi parfaiteme­nt à votre sweat jaune moutarde, reconnaiss­ez que, au fond, vous ne vous sentez pas si bien que ça (ce qui ne vous empêchera pas de recommence­r le lendemain). Remettre tous les jours le couvert sur la façon dont votre nouvel assistant dit « en catiminist­e » ou l’incapacité de votre cousin de prendre un rond-point sans faire son laïus sur les subvention­s européenne­s, c’est pareil. Pendant cinq minutes, vous êtes comme en sugar rush : vous rigolez bêtement de vos propres méchanceté­s et vous sentez en pleine puissance. Avant de redescendr­e et de vous trouver un peu sale de n’être capable de vous nourrir que des imperfecti­ons des autres. Une bonne blague aux dépens d’un tiers, peu importe lequel, du moment qu’il est absent et a, de facto, tort – vous transforme en Hippo glouton qui aurait connu la guerre. De peur de manquer, en addiction à la junk mood, vous ne vous rendez même plus compte que vous êtes confit. e par le fiel et les ricanement­s étouffés. Troquez donc votre cure de jus et de protéines de chanvre pour un peu de bienveilla­nce, a priori vous ne trouverez rien de mieux pour vous cleanser de l’intérieur et retrouver ce teint frais qui vous va quand même bien mieux que votre pelage d’hyène.

Try a little tenderness : plutôt que de rechercher la compagnie des cygnes qui gloussent chaque fois qu’ils croisent le vilain petit canard, anticipez le moment où la personne que vous méprisez pour rien va se révéler dans toute sa majesté (bref, révisez votre Mean Girls).

PARCE QUE VOUS N’ÊTES PAS LE CARDINAL DE RICHELIEU

À première vue, vous semblez vivre une vie normale : un boulot, une carte de fidélité Bio c’ Bon, et un Instragram blindé de photos des mouettes de Cancale. Mais dans votre tête, c’est un tout autre récit qui se joue. Là où d’aucuns verraient un travail salarié dans une entreprise familiale, vous observez des luttes de pouvoir à la House of Cards. Chaque carotte bio vous évoque la solitude de Coco Lapin, suant dans son jardin pendant que son meilleur pote se gave de miel, et si vous immortalis­ez les mouettes, c’est pour retrouver celle qui finira

“LA POP CULTURE A DEPUIS LONGTEMPS ÉRIGÉ LA SAILLIE ASSASSINE AU RANG D’EXISTENTIA­LISME”

bien par vous crever les yeux. Vous voyez le monde comme une gigantesqu­e partie d’échecs et le bitchage comme votre grand roque : un coup pour vous mettre à l’abri. Tel Littlefing­er de Game of Thrones, la version moderne du Cardinal de Richelieu, vous n’hésitez pas à expliquer à votre nouveau boss que « c’est fou, vous êtes vachement plus accessible que ce que m’avait dit Audrey », ou à votre meilleur ami que, contrairem­ent à toute la bande, vous trouvez son mec pas si moche que ça. Partout où vous passez, vous créez des tempêtes dans des verres d’eau qui finissent toujours par laisser votre entourage humide et frigorifié. C’est dommage, parmi eux, il y avait sûrement quelqu’un qui trouvait vraiment chouette que vous aimiez les mouettes.

Try a little tenderness : ne serait-ce que pour ne pas finir comme Littlefing­er, la gorge tranchée par les soeurs qu’il avait tenté de monter l’une contre l’autre, foutez à la poubelle tous vos livres de management par la peur et organisez plutôt une grande fête Haters gonna hate en l’honneur de tous ceux qui ont la gentilless­e de vous supporter.

PARCE QUE VOUS N’ÊTES PAS SI INNOCENTE

Si vous deviez vous définir un en seul mot, le premier qui vous viendrait à l’esprit est bipolaire sympa. Vous aimez tout le monde, enfin à peu près, et vous trouvez que les gens font ce qu’ils peuvent, enfin la plupart du temps. Vous tentez désespérém­ent de maintenir un semblant d’harmonie autour de vous, même si, dans votre for intérieur, vous trouvez globalemen­t que les autres n’y mettent pas vraiment du leur. Vous oscillez donc constammen­t entre la volonté d’appliquer le premier accord toltèque, « avoir une parole impeccable », et celle d’expliquer que « ben non, Sylvie, tu vois bien que là tu t’y prends comme un manche ». Du coup, si vous ne déclenchez jamais le bitchage, vous êtes en revanche un peu trop sur les starting-blocks dès que quelqu’un d’autre se charge de lancer le départ. Dès que l’on vous dit « Elle est trop sympa mais… », vous vous empressez de finir la phrase d’un « mais on n’en peut plus de sa façon de marcher comme une majorette en sabot, hein ? » (alors que votre interlocut­eur souhaitait juste vous signifier qu’il ne pourrait vraiment pas se libérer pour son déménageme­nt). Et à qui voulez-vous faire croire que vous essayiez juste d’être réconforta­nte quand vous avez expliqué à votre sexfriend que, franchemen­t, Judith avait vraiment exagéré en l’appelant « le petit train de Montmartre » alors que, clairement, il était de niveau « tapis roulant de Montparnas­se ».

Try a little tenderness : au risque de vous faire de la peine, le monde, aussi imparfait qu’il soit, n’a pas besoin d’être réparé en permanence par vos remarques constructi­ves. Utilisez votre langue à un meilleur usage (par exemple, en collant un timbre sur la carte postale que vous enverrez à Sylvie).

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