FINI DE RIRE
Il fut un temps où lire des bandes dessinées était un loisir léger et rigolo, non ? Et bien, it’s over, babe
L e roman graphique est un art en forme : ces dernières années ressemblent à une file indienne de masterpieces mêlant confirmations scintillantes (Frank Santoro) et apparitions prometteuses (Tom Harari). Contexte idéal pour Nick Drnaso, qui fait la plus fracassante des entrées : la plume de 28 ans se remettait à peine de son prix de la révélation à Angoulême 2018 (pour Beverly) que son nouveau projet publié, Sabrina, devenait le premier roman graphique ever à se faire shortlister pour le Man Booker
Prize. En attendant de voir s’il gagne, on l’a eu dans les mains, et attention les yeux : dans un style froidement pastel, rigide et épuré, rappelant autant un Chris Ware qu’un dépliant de consignes de sécurité de compagnie
aérienne, le prodige délie 200 pages d’une puissance sourdement dévastatrice, à partir de la disparition d’une femme. Celui qui doit apprendre à vivre sans elle le fait aux côtés d’un ami, tech guy dans une base militaire, à la solitude pas moins palpable. Un choc traumatique à la fois irrespirable et gracieusement dilué dans le quotidien, façon Manchester by the Sea. Et vous, ça va ? T.R.
Sabrina de Nick Drnaso, éd. Presque Lune, 208 p., 25 €.