Odeurs explosives
Si les futuristes s’intéressent autant à la plus futile et à la plus volatile des créations esthétiques, ce n’est pas uniquement pour ses pouvoirs de séduction. C’est aussi pour le potentiel explosif de cet artifice dont nul ne peut se détourner, puisqu’il faut bien respirer (que celle qui n’a pas frôlé l’asphyxie à côté d’un kéké repeint à l’axe nous jette le premier flacon de Sauvage). Les parfums que sélectionne Fedele Azari pour les traduire en sculptures, « équivalents plastiques des odeurs artificielles », sont précisément parmi les plus avant-gardistes de leur temps. Mais aussi parmi les plus influents du XXE siècle. Aujourd’hui disparus des rayons, L’origan (1905) et Le Chypre (1917) de François Coty ont donné naissance, respectivement, à la lignée des floraux orientaux (L’heure Bleue, Poison, Flower by Kenzo) et à celle des chypres (Mitsouko, Miss Dior, Coco Mademoiselle…). Parfumeur visionnaire mais aussi propriétaire milliardaire de plusieurs journaux (dont Le Figaro), François Coty a comme Marinetti des affinités pour le régime du Duce. Mais si les futuristes se sont reconnus dans ses créations, c’est pour des raisons esthétiques. Selon Guy Robert, feu le co-fondateur de l’osmothèque de Versailles, ces jus à succès préfigurent « les plus brutales des notes modernes ». Raison de cette brutalité : ce Corse né hors du sérail grassois et des cénacles du bon goût parisien n’a que faire des « on n’a jamais fait comme ça » de ses confrères. Il n’hésite donc pas à balancer dans ses formules à grands traits hardis les nouvelles matières premières de synthèse. Certes, IRL, ce self-made-man préfère collectionner les châteaux que les ready-made de Marcel Duchamp. Mais s’il n’est guère avant-gardiste, ses blockbusters réalisent la proclamation des futuristes dans La Pyrotechnie comme
moyen artistique (1920) : « Nous nous approprions la chimie pour faire de l’art ! »