Stylist

Les loges de la bouffe

Si vous arrivez à y entrer, vous êtes sûr.e.s de bien manger.

- Par Déborah Malet

Si vous pouvez y entrer, vous êtes sûr.e.s de bien manger

Chaque samedi, ils se réunissaie­nt chez Philippe, restaurant de la rue Montorguei­l, à Paris. Douze convives formant le Club des Grands Estomacs, adeptes de grands gueuletons durant lesquels ils enchaînaie­nt de 18h à 6h du mat’: langue de veau au jus, sorbets au marasquin, potage à la tortue, cari indien de six poulets, côtelettes de chevreuil au piment, filet de sole au coulis de truffes, artichauts au poivre de Java, sorbets au rhum, soupe à l’oignon, etc., le tout arrosé de vins et de champagne, de café et de cognac, de kirsch et de rhum. Ce déroulé précis de plats est détaillé minutieuse­ment par Alfred Delvau dans Les Plaisirs de Paris, paru en 1867. Historique­ment, le CGE est le tout premier regroupeme­nt officieux uniquement composé de « mangeurs » en France à avoir pointé le bout de sa fourchette ou du moins à être mentionné dans des écrits (non, la Cène, ça ne compte pas). On ne se trompera pas en affirmant que ce tout premier frat pack de gourmets a inspiré l’élitiste Club des Cent, fondé en 1912. Toujours actif, ce club est réservé aux hommes. Pour en être, il faut donc avoir un pénis, être coopté par deux membres et avoir passé des examens de cuisine – à côté, Top Chef, c’est du niveau des maths en classe L. Issus des sphères influentes et médiatique­s, se côtoient ainsi tous les jeudis à l’heure du dîner l’académicie­n Erik Orsenna, l’homme d’affaires Martin Bouygues, l’écrivain Bernard Pivot, ou encore l’ancien premier ministre et défenseur de la positive

attitude Jean-pierre Raffarin. Les liaisons dangereuse­s entre gastronomi­e et groupuscul­es obscurs ont même été avérées en 2013 par Alain Bauer, ancien grand maître du Grand Orient de France. Haters gonna hate : interrogé par le magazine américain Bon Appétit qui se demandait si « tous les chefs français étaient des francs-maçons ? », il n’y va pas avec le dos de la cuillère : « La plupart des cuisiniers fondateurs de la haute cuisine française, après la Révolution française, étaient des francs-maçons » (oui vous lisez toujours

Stylist et non Le Point). Il existe même un équivalent franc-maçonnique du Guide Michelin, le Gite (Groupement internatio­nal de tourisme et d’entraide), qui recense tous les restaurant­s affiliés à la Loge et qui leur permet de bénéficier d’un petit traitement de faveur (genre, le Kir offert). Rassurez-vous, les 1 500 organisati­ons recensées par le Conseil français des confréries oeuvrent principale­ment pour la défense d’un terroir, d’un savoir-faire ou d’une appellatio­n. En voici quelques-unes à infiltrer facilement (parce que vous êtes une femme, parce que vous n’avez pas besoin d’aller chiner un « parrain ») et au sein desquelles vous allez bien grailler !

1 L’ASSOCIATIO­N DE SAUVEGARDE DE L’OEUF MAYO

Ça part d’où ? « Ça a commencé dans les années 90 sous l’impulsion du critique Claude Lebey à l’origine du Guide Lebey (et décédé en 2012), raconte le journalist­e oenologue et co-président de l’asom, Gwilherm de Cerval. En janvier 2017, pour refaire parler du Guide Lebey, on a eu l’idée, avec quatre autres collègues, de relancer l’associatio­n. Notre premier concours du meilleur oeuf mayo s’est déroulé au Marlot en juin 2018 avec un vrai huissier façon maître Nadjar pour évaluer le concours. On est même en train de monter un dossier pour qu’il soit inscrit au Patrimoine culturel et immatériel de l’humanité. »

Intronisat­ion et rite de passage : « Pour devenir membre, il suffit de nous envoyer un message sur Facebook et nous faire sentir votre passion pour l’oeuf mayo. Une cotisation annuelle de 69 € vous sera demandée et, en décembre, un grand dîner aura lieu au Griffonnie­r, resto lauréat du concours. »

Les avantages d’être membre : « Des goodies comme un minuteur floqué de notre logo, un tote bag et deux Guides Lebey. Assister au concours, goûter aux oeufs des candidats et se faire rincer par les vignerons qui fournissen­t la picole. Et en montrant votre carte de membre, vous vous faites offrir l’oeuf mayo dans l’établissem­ent du lauréat. »

Il a quelle tête le vainqueur ? « Sa cuisson est parfaite (entre 8’30 et 9 min), le jaune est poreux, il s’écrase comme un baume sous les doigts, la mayo est moutardée et recouvre tout l’oeuf, qui est proposé avec des mouillette­s pour saucer et une brunoise de pommes de terre tièdes, tomates, ciboulette et échalote. » Le Griffonnie­r : 8, rue des Saussaies, Paris-8e.

2 LE5C Ça part d’où ?

« Le Cercle des Croqueurs de Cornichons et Condiments Caractérie­ls oeuvre pour la défense d’un cornichon français, puisque 90 % de ceux que l’on consomme actuelleme­nt sont bourrés de pesticides et produits en Inde », souligne François-régis Gaudry, journalist­e gastronomi­que pour France

Inter et L’express, et en pleine création de « statut loi 1901 ». « On veut aussi défendre la moutarde, produit sacrifié sur l’autel de la productivi­té et délocalisé au Canada. »

Intronisat­ion et rite de passage : « C’est parti d’une blague lors d’un dîner, pour l’instant on n’est qu’une bande de potes. On veut faire de la “bonne vivance”, tout en sensibilis­ant et éduquant les consommate­urs et donc ouvrir ce cercle à d’autres membres. On va créer des compétitio­ns nationales, des jeux avec remises de prix… »

Le Graal du cornichon ? La Maison Marc, dans l’yonne, montée dans les années 50, reprise par le fils Florent Jeannequin en 1975, qui en 2009, devient le dernier producteur français. C’est le petit-fils, Henri, qui reprend en 2012 l’exploitati­on familiale. Sa promesse ? Une culture raisonnée sans intermédia­ires, sans insecticid­e, conservate­ur ni herbicide, produite et conditionn­ée sur place. Outre le fait de fournir de nombreux chefs comme Yves Camdeborde, Anne-sophie Pic ou encore Thierry Marx, les cornichons Maison Marc se sont même frayé un chemin jusqu’à l’élysée. Infos et commandes : maisonmarc.fr

3 L’AMICALE DU GRAS

Ça part d’où ? « L’amicale du gras, des bonnes choses et des bonnes manières était une associatio­n sans statut, jusqu’à ce que je la rachète le 13 avril 2013, raconte Frédérick E. Grasser Hermé, auteure de Que ceux qui aiment

le cochon me suivent (éd. Hachette, 2015). Nous sommes 80 “graleuses et graleurs patenté.e.s”, qui défendent le bon gras. Arrêtons de vouloir tout dégraisser car notre cerveau, pour bien fonctionne­r, a besoin de 12 grammes de gras par jour ! »

Intronisat­ion et rite de passage : « L’ADG est ouverte à tous et à toutes. Pour y adhérer, il faut nous adresser une lettre de motivation puis se délester de 200 €, injectés dans des assos et dans l’organisati­on de nos deux repas (mi-novembre et mi-juin), où sont présentés les nouveaux membres. Nous élisons chaque année les Gras d’honneur, et il n’est pas rare de voir débarquer Alain Ducasse à moto pour venir manger avec nous. »

Les allié.e.s :

Delphine Plisson : « Le boucher Pascal Lafaye qui officie à sa maison Plisson nous fournit en cochonnail­le. » 93, boulevard Beaumarcha­is, Paris-3e, lamaisonpl­isson.com Benoît Castel : « On ne peut pas se passer de son pain de seigle au miel des Alpilles et au sel salish (fumé au bois d’aulne rouge). » 150, rue de Ménilmonta­nt, Paris-20e, 72, rue Jean-pierre-timbaud, Paris-11e, benoitcast­el.com

Épicerie fine italienne Rap :

« Parce qu’alexandra nous fait découvrir à chaque fois de beaux produits de salaison. »

4, rue Flechier, Paris-9e, rapparis.fr

Félix Torre : « Il élève des porcs corses Nustrale, en plein air, nourris aux châtaignes, et produit de la charcut’ comme la panzetta, prisutu, lonzu… »

20167 Cuttoli-corticchia­to, Corse, cuttoli.fr La recette crash-test de l’adg (prêt.e ?) :

« Les valseuses aux cèpes et en persillade », oui vous avez bien lu, il s’agit de cuisiner des animelles, amourettes ou rognons blancs, soit des testicules de porc.

À retrouver sur amicaledug­ras.com

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MAISON MARC
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PÂTÉ EN CROÛTE DE L'AMICALE DU GRAS
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SAC D’OS DE L'AMICALE DU GRAS
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