Culturist
Des idées pour se coucher moins bête
Gosling tellement à fond dans sa veine emo qu’il est carrément allé demander à la Lune si elle voulait encore de lui.
Gros moyens obligent (pour reproduire la gravité zéro, le garage de tonton ne suffit pas toujours), l’espace interstellaire a, jusqu’ici, plutôt eu tendance à héberger des blockbusters opulents que des courts-métrages kickstartés. L’ambiance est en train de changer. Dans trois semaines avec High Life, ovni de la très sulfureuse Claire Denis, où des criminel.le.s condamné.e.s sont soumis.e.s à d’étranges expériences interstellaires, impliquant notamment le sperme de Robert Pattinson – il y aurait eu des vomissements lors de la première à Toronto. Début 2019, avec Ad Astra, météore annoncé de James Gray, mêlant quête du
père et voyage transneptunien, avec Brad Pitt dans le scaphandre principal. Au début de cet embouteillage de soucoupes volantes dévoilant leur élégance énigmatique dans des affiches teasers plus chics les unes que les autres,
First Man joue la carte vintage : pas la projection futuriste, mais le récit des origines et des missions
Apollo, des premiers échecs jusqu’au triomphe qui mènera Neil Armstrong où vous savez. Sauf qu’à l’ère du space-opera arty, on se fiche bien d’en mettre plein la vue, et de faire rugir les réacteurs sur un coucher de supernova. Ici Chazelle raconte un Neil Armstrong moins conquérant que dépressif. On le découvre père taciturne d’une fillette mortellement cancéreuse ; on l’accompagne dans les années suivantes comme dans un tunnel ininterrompu de deuil, puisqu’à leur tour ses collègues tombent comme des mouches, test après test. En chemin, le visage de Gosling se fige dans sa légendaire inexpression. Tout à sa direction artistique racée, fuligineuse, vaguement héritée d’interstellar, Chazelle s’obstine à détourner mystérieusement son regard du sens profond du voyage : pourquoi est-on allé sur la Lune ? Et si personne n’avait jamais vraiment bien su ? C’est sa trouvaille bizarre : l’idée qu’au coeur de l’histoire, il y avait un homme résolu dans ce que lui seul acceptait comme une mission suicide ; un père inconsolable, avide de quitter le monde, au point d’aller se promener tranquillement sur son bord cosmique, le long du précipice ; et que le cosmos nous a, par surprise, renvoyé bien vivant et guéri. T.R.
First Man de Damien Chazelle avec Ryan Gosling, Claire Foy, 2 h 20.