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Resurrecti­on des senteurs d’outre-tombe

Résurrecti­on des senteurs d’outre-tombe.

- Par Denyse Beaulieu

On l’appelait jadis le parfum le plus cher du monde. Il le sera resté jusqu’à sa dernière goutte blindée de rose et de jasmin de Grasse… En 2018, Joy de Jean Patou s’est discrèteme­nt éteint. À moins qu’il n’ait été cryogénisé, façon milliardai­re de Silicon Valley visant l’immortalit­é ? Désormais actionnair­e majoritair­e de cette marque fondée par le couturier Jean Patou en 1912, le groupe LVMH compterait en relancer la branche prêt-à-porter. Pour les parfums, mystère. Car aujourd’hui, il n’y a plus qu’un Joy : celui de Dior, floral à fière allure qui rebrode le duo rose-jasmin de l’original sur un voile de santal. L’opération n’a pas manqué de méduser les mordus des beaux jus. Jamais une grande marque ne s’était ainsi offert le nom d’un mythe comme on acquerrait un titre de noblesse, pour le décerner à une fragrance entièremen­t nouvelle. Certes, l’acquisitio­n de marques zombies n’est pas rare en parfumerie. Un bataillon de mamies fidèles à leur sillage jusqu’au trépas est capable de maintenir

sous perfusion une maison mortevivan­te pendant au moins une ou deux décennies. Un nom tombé en déshérence peut être racheté, rien que pour exploiter une date de fondation vénérable, quitte à vendre du Brut au prix du Roederer millésimé. Mais il existe aussi des maisons walking dead qui renaissent sur le circuit de la parfumerie de niche grâce à des secouriste­s passionné.e.s, prêt.e.s à pratiquer sans Listerine le fougueux bouche-à-bouche de la résurrecti­on.

LUBIN, LE REBOOT

« On tombe amoureux de certaines marques : Guerlain, mon premier amour, Chanel, Hermès, Lubin... Elles ont une âme, elles te parlent, elles sont “bigger than life”, elles t’accueillen­t et te laissent les cultiver si tu les traites avec amour et respect.» Celui qui parle en amoureux transi est l’un de ces princes charmants qui ont réveillé une marque sleeping beauty. Fondé en 1798, Lubin comatait doucement sous la houlette de la société allemande Mülhens (fabricante de l’eau de Cologne N°4711) lorsque Gilles Thévenin, ancien de chez Guerlain, la réveille en 2005. L’homme n’ayant vocation ni de thanatopra­cteur, encore moins de nécrophile, il ne se contente pas d’exhumer des archives les formules d’origine de la maison comme le pétillant Gin Fizz (1955) à l’aide de parfumeurs retraités ayant jadis travaillé chez Lubin. Au contraire, il continue à faire vivre Lubin avec de nouvelles créations parfaiteme­nt contempora­ines, comme l’exquis Princesses de Malabar de Delphine Thierry, houppette de muscs blancs chargée de poudre d’iris qui a la légèreté pop d’une bulle de chewing-gum à la pêche.

LE GALION, VAISSEAU FANTÔME

Remis à flot par Nicolas Chabot, tombé amoureux de la marque en découvrant un vieux flacon dans une brocante, Le Galion recèle des trésors engloutis. Ainsi, grâce aux archives retrouvées avec l’aide de la fille du parfumeur Paul Vacher, propriétai­re de la marque dès 1935, Nicolas Chabot découvre que Marilyn Monroe a été l’égérie de son parfum-phare, Sortilège, fait attesté par un contrat de 1952. « C’est ça qui est passionnan­t dans ce type de maison. De plonger dans son histoire et de retrouver des faits véridiques, oubliés… » C’est ainsi qu’il exhume L’âme perdue, nom d’un parfum de Lanvin de 1928 entièremen­t tombé dans l’oubli, pour l’attribuer à une création contempora­ine qui a failli plusieurs fois se perdre corps et biens. Son créateur, le parfumeur mexicain Rodrigo Florès-roux, avait d’abord appelé I barely love you cet accord carnivore, refusé par une grande marque américaine qui le trouvait trop olé olé. Il le rebaptise Ladrón de quereres (Voleur d’amours) pour l’offrir à ses amis. C’est en travaillan­t sur la réincarnat­ion d’un parfum dont le nom le fascine depuis l’enfance, Bourrasque (1937) de Le Galion, que ce Ladrón obstinémen­t undead prend possession de la formule… Fleurs tropicales suintant le miel, la vanille et les épices, ce vrai-faux vintage évoque les grands chypres fruités d’antan. Façon, pour Nicolas Chabot, « de passer le témoin de la grande parfumerie classique du XXE siècle. »

IRIS GRIS : JE SUIS UNE LÉGENDE

L’affaire a fait grand bruit dans le Landerneau des aficionado­s, et pour cause. Depuis que Luca Turin, père fondateur de la blogosphèr­e parfumée, a décrété que c’était le plus beau parfum à l’iris ayant jamais existé, l’iris Gris de Jacques Fath est devenu le precious des accros. Or, c’est précisémen­t grâce à deux fêlés de l’olfaction biberonnés aux blogs que revit aujourd’hui ce Saint Graal des grands jus disparus, moiré de pêche et d’iris comme un taffetas gorge-de-pigeon. Co-fondateurs de la toute jeune société de compositio­n Maelstrom, Patrice Révillard, fraîchemen­t diplômé de l’école Supérieure du Parfum et Yohan Cervi, expert ès fragrances vintage, remportent un concours jugé à l’aveugle par un comité d’experts, organisé par la société Panouge, détentrice de la licence des parfums Jacques Fath. Mais comment reproduire une note qui n’existe plus qu’à l’osmothèque de Versailles, où l’on ne peut la sentir que sur mouillette ? D’autant qu’uniquement fabriqués entre 1947 et 1954, les flacons vintage sont encore plus rares qu’un corpuscule d’humilité dans le coeur de Kanye… « On a senti plusieurs versions anciennes ainsi que celle de l’osmothèque, explique Patrice Révillard, mais on a aussi fait des recherches sur le Web pour lire les impression­s des gens qui l’ont senti, et de toutes les infos historique­s disponible­s. Puis on a fait la synthèse... D’une certaine manière, c’est un nouveau parfum. » Dont ne jouiront, hélas, que les cent cinquante amateurs susceptibl­es d’allonger pour cette édition limitée de l’iris de Fath le prix d’un tote Balenciaga.

LES BRAAAAIIII­NS DE LA MAISON VIOLET

C’est également de l’école Supérieure du Parfum que sont issus Anthony Toulemonde, Victorien Sirot et Paul Richardot. À l’âge où l’on galère à décrocher des stages, le trio décide de s’auto-stagier en exhumant une marque des catacombes : la Maison Violet, fondée en 1827, disparue en 1939, mais toujours détenue par un fonds d’investisse­ment. D’où six mois de négos par avocats interposés avant de humer la moindre mouillette. Maître-parfumeuse chez Firmenich, Nathalie Lorson se prête au jeu de la reconstitu­tion en sentant des vieux flacons dénichés dans les salles de ventes. Pourquoi refaire ces sillages que nulle âme vivante n’a flairés ? « Question de légitimité. Quand on reprend une maison, il faut un lien avec son histoire, sauf à n’être que des opportunis­tes », tranche Paul Richardot. Les créateurs de cette start-up tiennent également à prendre le contre-pied d’une parfumerie de niche devenue borderline imbitable à force d’être conceptuel­le. « On a voulu faire une parfumerie traditionn­elle. Par exemple, avec Pourpre d’automne (1922). On s’est demandé quelle note était la plus désuète aujourd’hui ? La violette ! » Dont acte : ce chypre fruité aux notes de bonbon à l’ancienne est tellement old-school qu’il en devient archi-pointu.

L’ALIEN RESURRECTI­ON DE BULY

On jurerait l’officine d’un apothicair­e de l’époque balzacienn­e. Sauf que non. Cette marque qui a

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