Stylist

Édito

- aude walker rédactrice en chef

À l’hôpital, les psys ont dit « hyper-sensible », leurs sourcils opérant une danse inquiétant­e. Ils semblaient être moyen séduits par la fourchette qu’il avait plantée dans l’avant-bras de son copain à la cantine. Pourtant, sa mère lui a tout de suite dit, alors qu’elle tenait bien haut son petit corps de garçon de 4 ans au-dessus de la cuvette des toilettes, que l’hyper-sensibilit­é, c’était un super-pouvoir, qu’avec ça, il pouvait entendre, voir et comprendre des choses que les autres ne sauraient jamais entrevoir. Alors qu’il remontait son jogging avec des oiseaux dessus, il lui demanda quel genre de trucs. Elle répondit « chais pas, tout. Pour toi, le soleil sera plus solaire, l’eau plus claire, l’amour plus fort et la mort belle ». Il était plutôt OK sur tout, mais sur le dernier point, ça coinçait un peu dans sa tête. Cela faisait plusieurs mois qu’il était obsédé par la mort. D’abord, il ne comprenait pas qui décidait que c’était fini la vie. Et puis, il ne pigeait pas le coup de l’âme, là. Il lui semblait impossible qu’un morceau invisible de toi bouge ailleurs, sans dire où. Donc, non, il ne voyait pas du tout comment son nouveau super-pouvoir allait lui permettre de trouver la mort belle. Sa mère, comme d’hab’, mit tout en oeuvre pour démêler les chaînes à micro-maillons qui faisaient une boule dans son cerveau. Un matin, elle lui annonça qu’elle avait loué un lapin pour quelques jours. Elle avait trouvé ce service de location (p. 40) sur Internet et avait déniché le lapin le moins en forme de la plate-forme. Un coursier Glovo le leur avait livré vers 22 h. Il était blanc avec deux énormes taches noires autour de chaque oeil et beaucoup de problèmes de santé. Tremblemen­ts, cataractes, paralysie du train arrière, sévères difficulté­s respiratoi­res… sa mère avait en effet bien bossé, le lapin était clairement à l’agonie. Ils s’assirent tous les deux autour du panier sur le tapis du salon. Le lapin ne bougeait pas mais les regardait fixement. Le garçon se mit à caresser doucement son abdomen secoué de tremblemen­ts. Sa mère lui demanda ce qu’il voyait. Il répondit qu’il voyait un lapin blanc avec deux taches noires, mignon, couché. Quoi encore ? « Un lapin fatigué qui veut dormir. » « C’est ça », dit sa mère et lui demanda pourquoi il pensait qu’il était fatigué. « Parce que le lapin a beaucoup sauté. Peut-être aussi qu’il a couru beaucoup pour fuir les monstres à tentacules de ma chambre. Et qu’il a mangé les ongles vernis roses de maîtresse Katia comme moi hier et qu’il a mal au ventre. Et aussi, peut-être qu’il en a marre la nuit d’avoir une balle jaune qui lui court dessus. Il est fatigué, il veut dormir pour toujours. » Sa mère ne dit rien de particulie­r et l’embrassa derrière le lobe de l’oreille comme elle le faisait toujours. Elle l’autorisa à dormir avec le lapin, après l’avoir lavé un peu quand même. Il ne ferma pas l’oeil de la nuit, mais comme ça lui arrivait souvent, ce n’était pas très grave. Toute la nuit, il lui caressa le ventre et lui raconta des histoires. Le matin, le lapin était mort et l’enfant n’était pas triste.

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