DE LA QUARANTAINE

Le cri primal : ah qu’il était bon le temps où passer sa crise de milieu de vie se résumait à s’offrir une voiture absurde ou un jeune homme à peine sorti du pensionnat. Voilà ce que vous vous dites, sagement accoudé.e à un comptoir où vous enchaînez désormais les thés verts. C’était quand déjà la dernière fois que vous avez ri, vous demandez-vous ? Vous ne vous souvenez plus très bien, peut-être cette plaisanterie si fine sur le canal de Suez entendue dans La Fabrique de l’histoire ? Si seulement vous l’aviez racontée à vos ami.e.s, ils pourraient vous aider à vous en souvenir mais la dernière fois que vous les avez vu.e.s, c’était, il y a si longtemps… Était-ce avant ou après ce séminaire passionnant sur l’art médiéval nippon ? Devant vous, des gamins de 34 ans parlent fort de leur projet de start-up disruptive, menée de main de maître malgré les teufs qu’ils continuent d’aligner comme vous les croix sur votre calendrier des jours où vous n’avez pas bu. C’est donc ainsi que les gens vivent ? Votre téléphone, en mode silencieux, vibre faiblement. Sûrement votre copine Charlotte qui s’inquiète de votre probable dépression. Pourquoi vous auriez dû célébrer ce jour béni au lieu de vous laisser bullyer par la société (aka les autres) : parce que prouver que vous êtes encore vivant.e ne se résume pas à jouer à Red Dead Redemption 2 comme si vous étiez encore à la fac, ni à écumer tous les rades de votre quartier dans une compétition effrénée avec ces connards de jeunes qui peuvent s’enfiler des tournées de shot et chanter popolopopopo comme si c’était la quintessence de la vie. Vous n’êtes plus à votre journée d’entrée en sixième et vous n’avez pas besoin d’avoir une vie mondaine qui sent la peur pour qu’on ne vous oublie pas. La quarantaine, c’est l’entrée en majesté dans le XVIIIE siècle. Tel.le le.la roi.reine que vous êtes devenu.e, c’est le moment pour vous de perdre votre temps dans les jardins, la correspondance à l’ancienne et tous les matins du monde. Cessez de vous agiter, la Terre tourne dans le même sens, avec ou sans vous. Bienvenue dans votre période Petit Bambou, all day long.