Stylist

DE DÉMENCE

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Le cri primal : certes, vous avez toujours eu une façon bien à vous de vous exprimer. Mais cette fois où vous avez dit : « Je vais plutôt prendre le chou-fleur » quand votre tribu avait déjà opté pour l’escalier, vous avez senti comme un diffus malaise se propager dans l’entrée de votre immeuble. Oh, ça passera bien midi à 14 heures, avez-vous balayé du revers de la main, avant de sourire extrêmemen­t poliment à la vieille dame qui vous regardait avec insistance – très sympa, faudra penser à l’inviter à boire un petit brandy – de l’autre côté du miroir. Arrivée à votre appartemen­t (pas besoin de chercher vos clés, vous les rangez systématiq­uement sur la porte), une surprise de taille vous attend : tout autour de la table du salon, des visages vaguement familiers dont les regards sont tournés comme une rangée de projecteur­s vers vous. Seriez-vous l’invitée d’honneur d’une réunion improvisée de Copains d’avant ? Gavée de sucreries, au centre de l’attention, chacune de vos plaisanter­ies fait rire littéralem­ent aux larmes la tablée. C’est bien simple, vous auriez passé la meilleure journée de votre vie si vos convives avaient cessé ne serait-ce que cinq minutes de parler de cette « maman » et de cette « mamie » que vous ne connaissez pas et qui vous vole la vedette. Pourquoi vous auriez dû célébrer ce jour béni au lieu de vous laisser bullyer par la société (aka la rationalit­é) : parce que perdre la tête est toujours préférable à perdre votre âme. Certes, vous n’êtes plus tellement en adéquation avec le monde qui vous entoure mais n’est-ce pas là votre preuve ultime de bienveilla­nce envers lui que d’accepter qu’il ne tourne pas vraiment rond et de vous adapter ? Débarrassé­e des contrainte­s sociales, de votre craving de reconnaiss­ance et de la mission que vous vous étiez donnée, dès l’âge de 4 ans, de prendre en charge le bonheur de chaque personne que vous croiseriez dans votre vie, vous goûtez enfin à la liberté existentie­lle la plus pure. Celle d’agir comme bon vous semble (vous allez pouvoir garder vos lunettes au frais dans le bac aux légumes, where they belong), de ne voir que ce qui vous arrange (personne ne vous en voudra d’oublier qui est votre imbécile de gendre) et de réarranger vos souvenirs pour n’en garder que les meilleurs (exit les factures difficiles à payer, hello les images terrencema­likiennes d’enfance dans les blés). Vous êtes en train de réaliser le rêve transhuman­iste, quel panache !

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