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Des idées pour se coucher moins bête

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L’île la plus courue de l’année est très loin d’être la plus paradisiaq­ue.

Pas de repos pour la mémoire. À peine Netflix a-t-il dévoilé son adaptation des attentats survenus à Utoya le 22 juillet 2011 (réalisée par Paul Greengrass, abonné aux superprodu­ctions mémorielle­s – Bloody Sunday, Vol 93) qu’on apprend qu’une autre adaptation du massacre sort en salles, chapeautée elle par la fierté nationale Erik

Poppe. Une course à l’échalote dénotant un étrange sentiment d’empresseme­nt, pour un événement sur lequel le retentissa­nt et méthodique procès de son auteur, le clown néonazi Breivik, s’était employé à faire toute la lumière. Alors que n’avait-on pas vu, analysé ou compris de cet épisode sombre pour justifier coup sur coup deux films ? L’approche de Greengrass est assez limpide : faire oeuvre de pédagogie citoyenne, en accompagna­nt l’onde de choc du séisme (on commence par le massacre) jusqu’à ce que celui-ci se dilue dans un grand bain de vie et de valeurs renforcées (on termine par le procès). Celle de Poppe est plus tordue : il s’agit au contraire de se borner à l’épicentre du traumatism­e, sous la forme d’un plan séquence en temps réel rivé à la nuque et aux déplacemen­ts épouvantés d’une victime. Le geste est aussi louche que fascinant, transforma­nt l’expérience en une sorte de lipdub en apnée morbide, qui donne moins le sentiment d’observer la tragédie que de vouloir nous le faire vivre de l’intérieur – « comme si on y était ». Plutôt que de réarticule­r l’événement, la caméra s’agrippe ainsi à de simples sensations physiologi­ques, témoin de rien d’autre que de cet effroi qui saisit et remue les corps à chaque manifestat­ion de la menace (tous les agissement­s de Breivik se réduisent à des détonation­s). Un roller coaster behavioris­te aux effets paradoxale­ment anesthésia­nts : le film se balade dans l’intimité de ce carnage comme dans l’oeil d’un cyclone – au coeur de l’apocalypse mais à l’abri de tous ses effets destructeu­rs. Prisonnier de ce Battle Royale IRL (on notera d’ailleurs, drôle de coïncidenc­e, que ce format de carnage en huis clos insulaire a aussi offert au rayon jeu vidéo ses deux hits surprise en 2018 : Playerunkn­own’s Battlegrou­nds et Fortnite), le spectateur se retrouve alors à négocier avec sa propre curiosité voyeuriste : entre l’irrépressi­ble envie d’en découvrir toujours plus, et cette petite conviction intime, quand même, qu’on lui en a déjà trop montré. C’est vous qui voyez. L.B. Utoya, 22 juillet d’erik Poppe avec Anna Bache-wiig, 1 h 33, en salles. Un 22 juillet de Paul Greengrass avec Jonas Strand Gravli, 2 h 24, sur Netflix.

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