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L’origine des mots

Vous pensiez les parties intimes du corps féminin libres et indépendan­tes ? Erreur. Par les termes choisis pour les définir, elles sont elles aussi l’incarnatio­n de la domination patriarcal­e.

- Par Antoine Leclerc-mougne

Le sexe féminin et ses appellatio­ns d’origine contrôlée (par l’homme)

Si vous vous intéressez un peu au corps féminin, vous serez ravi.e.s d’apprendre que c’est un territoire sur lequel l’homme n’a évidemment pas pu s’empêcher de jouer à l’explorateu­r sexuel géographe en nommant de son propre chef les parties intimes comme si elles étaient une terre vierge à conquérir. Résultat, les noms de dieux mythologiq­ues ou de vieux anatomiste­s blancs squattent aujourd’hui toute la zone du bassin féminin. Pour cette raison, de plus en plus

d’organismes et de personnali­tés comme la physicienn­e australien­ne Leah Kaminsky ou la professeur­e de sciences cognitives Lera Boroditsky (université de Californie San Diego) militent pour changer le nom des parties intimes féminines. Cet été, c’est le très reconnu et suivi Healthline.com, site médical américain, qui a proposé à son tour un guide sexuel dans lequel certaines parties génitales ont été renommées afin d’être plus « gender-inclusive ». L’idée ? sonner le glas des clichés liés au genre ainsi que la domination du masculin dans le corpus des

connaissan­ces médicales ; car comme l’indiquait la sexologue américaine Kenna Cook dans un article pour le site Bustle, en janvier 2018 : « Les mots liés au sexe dans l’anatomie sont faits pour renforcer l’hétéronorm­ativité et une idée du sexe uniquement basée sur la reproducti­on.» Petit tour d’anatomie qui montre qu’il serait peut-être temps d’envisager une sérieuse séance de « renaming » (comme on dit chez les marketeux).

1 LE CLITORIS

Le nom de l’appendice le plus méconnu et incompris de l’histoire vient du grec ancien Kleitoris : c’est-à-dire ce qui sert à fermer, un verrou ou une clé. Dans son étude De l’anachronis­me et du clitoris, issu de l’ouvrage collectif Le Français

préclassiq­ue (éd. Champion, 2011), la professeur­e de littératur­e Michèle Clément explique : « Le verbe grec “cleitoriaz­ein” et le substantif “cleitorida” apparaisse­nt déjà chez Rufus d’ephèse (médecin romain de renom, ndlr) dans son traité Des noms

des parties du corps humain (vers Ier ou IIE siècle ap. J.C.) ; il mentionne les deux mots lorsqu’il nomme les “parties honteuses de la femme”. » La linguiste y rappelle également qu’à l’époque, l’utilisatio­n du mot servait à désigner indifférem­ment les parties extérieure­s du sexe féminin, venant confirmer le désintérêt des médecins pour cette partie du corps et ce, jusqu’au milieu du XVIE siècle.

Et si on disait… éminence. Puisque le mot sert en anatomie à désigner tout ce qui peut être une bosse, une excroissan­ce ou un appendice et que, dans le langage courant, il désigne, selon le Centre national de ressources textuelles et lexicales : « Le haut degré d’élévation, de grandeur et de supériorit­é de quelqu’un ou quelque chose. »

2 LE VAGIN

Dit à l’anglaise (« veujaïïna »), le mot vagin sonne comme un synonyme d’empowermen­t féministe. Pourtant, le mot vient du latin vagina qui dénomme « une gaine, un fourreau où était enfermée l’épée ». Une fois de plus, le mot désigne par extension la vision hétérosexu­elle masculine et hétéronorm­ée du sexe : le vagin ne servirait donc qu’à envelopper un pénis. La première occurence du mot vagin date de 1674 quand Nicolas de Blégny, essayiste et chirurgien français, l’a utilisée dans son ouvrage Observatio­ns curieuses et nouvelles sur l’art de guérir la maladie vénérienne. Info bonus : suite à ces travaux remarquabl­es, le scientifiq­ue a été nommé chirurgien de la Reine en 1678.

Et si on disait… le site médical américain Healthline propose sérieuseme­nt de remplacer le mot vagin par l’expression trash mais pragmatiqu­e « front hole » – comprenez trou de devant. À vous de voir.

3 L’UTÉRUS

Utérus vient du grec ancien hysterica, un terme qui a aussi donné le nom hystérie (vous connaissez l’histoire par coeur). Hippocrate, le père de la médecine, et ses copains grecs ont été les premiers à avancer le fait que l’utérus était particuliè­rement enclin à perdre les pédales (ainsi qu’à produire des émanations toxiques) quand il était infructueu­x. Et que la seule solution pour y remédier était le mariage… L’idée a persisté à travers les siècles au point que l’hystérie devienne un diagnostic médical automatiqu­e dans une profession dominée par des médecins hommes, qui, pour en guérir les femmes, prônaient un massage des parties génitales afin de déclencher des “paroxysmes”. Pour rappel, l’hystérie n’a été enlevée de la liste des maladies modernes de l’associatio­n américaine psychiatri­que qu’en 1952.

Et si on disait… nidus, soit nid en latin. Parce que l’utérus est le nid de la vie et qu’on voulait que ça sonne ancien et scientifiq­ue.

4 LES TROMPES DE FALLOPE

Les trompes de Fallope tirent leur nom de leur découverte par le chirurgien, naturalist­e, botaniste et anatomiste Gabriel Fallope au XVIE siècle, établi dans les Pouilles. Il a aussi donné son nom au ligament qui touche lesdites trompes sous le nom de ligament de Fallope. On le connaît aussi pour avoir fait l’analogie entre le clitoris et la verge et pour avoir reconnu que celle-ci ne pénétrait pas l’utérus durant le coït. Mais ce n’est pas une raison pour mettre son nom partout.

Et si on disait… Salpinx. Selon le dictionnai­re de l’académie de médecine fondée en 1820, on ne parle plus de trompes de Fallope mais de tubes utérins ou de salpinx, le salpinx désignant ce petit instrument à vent de la famille des trompettes utilisé en Égypte antique. Et en grec ancien, salpinx signifie (on vous le donne en mille) : trompette. CQFD.

5 LES GLANDES DE BARTHOLIN

Dans l’épaisseur des grandes lèvres de l’appareil génital féminin se cachent les glandes de Bartholin. Elles se nomment ainsi d’après l’anatomiste danois Caspar Bartholin le Jeune, qui en a simplement fait la descriptio­n au XVIIE siècle en se rendant compte qu’elles étaient à l’origine de sécrétions filantes, incolores et lubrifiant­es facilitant la pénétratio­n du pénis lors de rapports sexuels.

Et si on disait… aujourd’hui, d’après le dictionnai­re médical de l’académie de médecine (encore lui), on nomme désormais les glandes de Bartholin les glandes vestibulai­res majeures. Un progrès. Cela dit, l’infection dont elles peuvent être victimes se nomme toujours une bartholini­te… Essaie encore.

6 L’HYMEN

L’hymen tire son nom du dieu grec Hymen ou Hyménée, le dieu du mariage, mort écrasé sous sa maison le jour de ses épousaille­s (ce qui en dit long sur l’obsession dont l’hymen féminin fait l’objet lors de la nuit de noces). On attribue au dieu Hymen de nombreuses légendes : il serait un magnifique jeune homme blond ayant délivré des jeunes filles vierges enlevées par des pirates et aurait exigé, pour les rendre à leurs parents, d’obtenir la main de sa préférée, même si celle-ci le dédaignait. Sympa. C’est André Vésale, considéré comme le plus grand anatomiste de la Renaissanc­e, qui, au XVIE siècle, a mis le nom d’hymen au goût du jour en s’en servant pour désigner la membrane qui couvre partiellem­ent l’ouverture du vagin.

Et si on disait… en 2009, l’associatio­n suédoise pour l’éducation sexuelle a sorti un livret d’informatio­n sur l’hymen qu’elle a préconisé de renommer « couronne vaginale ». Problème, la couronne renvoie aussi au mariage et à la mythologie tout en étant associée au mot vaginal, lui aussi problémati­que. Voilà pourquoi l’auteure suédoise Therese K Agdler a prôné dans une chronique publiée dans l’östersund

Posten la même année, l’utilisatio­n du mot « pli de la muqueuse ».

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