Stylist

Ça me fout la trousse

Il y a des écrins pour chaque objet précieux. Et puis il y a votre trousse.

- Par Marie Kock

Y a des écrins pour chaque objet précieux et il y a votre trousse

LA TROUSSE D’HÔPITAL

De grandes allées à parcourir en robe bizarre, un personnel qui se masse dès l’aurore pour assister à votre réveil et s’enquérir de votre transit, des visites régulières et iconoclast­es de personnes venues de loin uniquement pour vous faire la conversati­on : cette opération de l’appendicit­e sera votre Versailles. Peu importent les odeurs de vieille fesse et de viande bouillie – tellement XVIIE siècle –, vous avez prévu de rayonner tel le Roi Soleil sur le service de chirurgie générale.

EN VERSION MINI De l’eye-liner : vous comptez profiter du temps interdit aux visites pour apprendre enfin à vous faire l’oeil duchesse plutôt que le regard

Creed II ; un parfum extrêmemen­t capiteux pour faire s’évanouir sur votre passage les estomacs fragiles, une tête de lycaon en argent sculpté pour orner la poignée de votre béquille (oui, vous n’en utiliserez qu’une, on est à la cour ou pas ?).

EN VERSION XXL Vous vous moquiez de votre mère qui gardait toutes les chemises de nuit que vous lui offriez au cas où elle devrait partir aux urgences et manifestem­ent dans un service où il faut se changer aussi souvent que pour un half-show

de Superbowl. Ce qui ne vous a pas empêché.e de prévoir, même pour deux nuits, un nécessaire digne d’un trousseau de jeune fille. Vos plus beaux sous-vêtements vu que vous êtes persuadé.e que vous serez mieux soigné.e que les malades qui se présentent en culottes de règles/caleçon des mauvais jours. Assez de vernis pour vous faire les ongles de Cardi B et un éventail imprimé Hokusai pour ventiler les mauvaises vibes des gens qui souffrent pour de bon autour de vous. Pour que votre attitude ne provoque pas une mutinerie, pensez à partager les macarons que vous vous faites livrer toutes les deux heures par Amazon.

LA TROUSSE QUICKIE

Depuis que vous avez décidé de dater en pleine conscience (« sur l’inspiratio­n, j’accepte complèteme­nt que cette personne soit un.e con.nne »), vous arrivez plus ou moins à éviter les nuits qui ressemblen­t au Fyre Festival – ça avait l’air marrant sur Instagram, mais une fois sur place, vous n’avez qu’une envie : rentrer chez

vous. Ce n’est pas une raison pour partir la fleur au fusil à votre dîner avec ce crush qui a tout l’air d’être paradisiaq­ue.

EN VERSION MINI Une paire de lentilles jetables – plus jamais la gauche qui s’échappe de votre oeil en version origami alors que vous vous réveillez sous le troisième assaut de cet.te insatiable tigre.esse de l’amour. Un échantillo­n de crème hydratatio­n intensive – plus jamais de grandes giclées de lotion tonique sur votre visage échauffé par les poils pubiens. Un peigne à larges dents – plus jamais la main de votre aimé.e qui reste coincée dans votre tignasse météo marine (« Hossegor : force 8 »). Bien sûr que pris par le feu de la passion, rien n’est jamais vraiment un tue-l’amour, mais ce n’est pas une raison pour que tout le quartier vous voie, la coupe Beetlejuic­e et le teint premier de cordée, négocier à tâtons votre entrée dans la bouche de métro.

EN VERSION XXL Votre gourde remplie ras le goulot car contrairem­ent à Andy King, vous n’êtes pas prêt.e à tout pour un refill d’evian. Et si vous voulez vous la jouer film français au réveil, prévoyez une vieille chemise d’homme (moquez-vous, mais ce n’est pas avec votre débardeur Heattech qui vous arrive au milieu du ventre que vous allez pouvoir passer un doigt nonchalant sur les rayonnages de sa bibliothèq­ue en riant dans les premières lueurs du jour).

LA TROUSSE D’AVION

Ah les vacances, les nouveaux horizons, les longues heures coupées de tout contact terrestre… Ça c’est que vous disent les autres, ces aveugles de la condition humaine qui trouvent sympa de rester coincé.e.s dans un habitacle lancé à toute berzingue dans un espace dans lequel personne ne vous entendra crier (des personnes qui n’ont manifestem­ent jamais vu Alien, donc). Vous, vous vivez chacune de ces traversées du ciel comme un rituel mortuaire que vous avez appris à gérer comme Charon, le batelier du fleuve des enfers.

EN VERSION MINI Un pilulier pour organiser votre knock-out chimique par étapes : un inhibiteur du système nerveux en salle d’embarqueme­nt pour vous diriger sans crainte à l’abattoir, un décontract­ant musculaire avant le décollage histoire d’abandonner toute velléité de lutte en cas de crash dans les eaux glacées de l’atlantique, le tout suivi par des poignées de pastilles Rescue chaque fois qu’une hôtesse appelle un steward sur le téléphone interne (vous n’êtes pas dupes, vous savez bien qu’ils se disent « on est en train de décrocher, continuons à servir les bretzels pour qu’ils ne se doutent de rien, c’était un honneur de voler à tes côtés »).

EN VERSION XXL Plusieurs expérience­s de défonce légale X 12 heures de clim à fond dans les yeux vous ont appris que ce n’était pas le meilleur cocktail pour avoir figure humaine à l’atterrissa­ge. Au cas où les dieux seraient avec vous, vous blindez désormais votre trousse aux dimensions réglementa­ires de sheet masks que vous appliquez de vos mains tremblante­s à chaque turbulence, ce qui permet de vous donner une contenance (sauf quand vous criez en même temps) et une peau à l’arrivée qui ne ressemble pas au désert d’atacama.

LA TROUSSE DE BUREAU

Si vous avez de la chance, vous êtes arrivé.e à ce moment de la vie profession­nelle où tout vous glisse dessus comme sur les plumes d’un canard. Vous vous tenez à l’écart des crises d’ego et des réunions qui ne vous concernent pas, vous avez appris à dire « ce n’est pas inintéress­ant, je vais y réfléchir » à la place de « mais tu sais où tu peux te la mettre ton idée à la con ? » et remplacé les déj débrief&bitchage par des séances de lecture près de la fenêtre. Votre bureau est devenu votre jardin zen, celui où vous avez enfin le temps d’en prendre un peu.

EN VERSION MINI De quoi régler les affaires courantes que vous repoussez toujours au lendemain, dès que vous êtes dans votre salle de bains : une pince à épiler pour vos sourcils et votre poil de la honte (celui qui ne sort manifestem­ent qu’aux heures ouvrées), de la crème pour les mains (contrairem­ent aux standards des séries US, vous ne passez pas de longues minutes chaque soir à vous graisser jusqu’au coude devant le miroir de votre coiffeuse) et des litres de sérum phy pour faire vos rituels de purificati­on interne.

EN VERSION XXL De quoi repousser toutes les tentatives du monde extérieur de briser votre confort physique et mental. Soit tous les accessoire­s dits « de bureau » – T-shirts, chaussures, étole – que vous avez commencé à arborer les jours d’averse et de vortex polaire avant de les enfiler dès que vous passez le seuil de l’entreprise. Bref, vous êtes globalemen­t en pyjama même si dans votre tête, vous avez l’impression d’être Melanie Griffith. Une mauvaise âme vous rappelle que dans Working Girl, elle rangeait ses talons après le taf, et pas pendant ? Vous dégainez le flacon de Toplexil que vous gardez habituelle­ment pour vous leaner tranquille en réunion avant de répondre : « Ce n’est pas inintéress­ant, je vais y réfléchir. »

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