Les fumets de l’année du cochon
Les nez nous prendraient-ils pour des truffes ?
Les nez nous prendraient-ils pour des truffes ?
Dédiée aux plaisirs épicuriens, cette année astrologique chinoise du Cochon de Terre nous offre l’occasion de mettre le groin dans des effluves censés être à l’humain.e ce qu’est l’or noir du Périgord à la truie. En l’occurrence, une molécule qui nous émoustille comme le chasseur de truffes trolle la pauvre bête en rut. Qui, pensant débusquer un beau verrat fringant au fond des bois, ne déterre qu’un tubercule destiné à être râpé sur la pasta. Quel serait l’équivalent humain de l’androsténone, aphrodisiaque porcin à la fois présent dans la bave du goret et dans la truffe ? Rien qu’à y songer, les industriels du parfum se mettent d’instinct en lordose (position bien connue des parents-chats ayant tardé à faire stériliser Garfield). Le coup du parfum aux phéromones a d’ailleurs été tenté plus d’une fois, signale Maurice Roucel. L’homme en connaît un rayon question sillages stimulants : selon l’origin story de son Musc Ravageur, une vendeuse de Frédéric Malle l’ayant porté dans le métro s’est retrouvée à plus d’une reprise avec une main à l’arrièretrain... « Mais on a mis beaucoup de choses sur le dos du musc », tranche le nez, qui rappelle que la fameuse Musk Oil lancée en 1972 par Jovan, odeur bien innocente de musc blanc, la Galaxolide, reste pourtant forever associée par les baby-boomers à l’apogée de la révolution sexuelle. En 1981, la marque américaine tente de remettre le couvert en se fondant sur une expérience de 1980 : des chercheur.euse.s ayant vaporisé un siège d’une salle d’attente d’un dentiste d’androsténone constatent que celui-ci est choisi de préférence par les femmes. Jovan introduit donc dans son Andron une molécule similaire, l’alpha-androsténol. Résultat, se rappelle Maurice Roucel : une débandade historique (réaction du PDG de Jovan : « Non, je te jure, c’est la première fois que ça m’arrive.») Désormais disparu des rayons, ce panty-dropper – doux nom que confèrent les membres masculins du forum parfum Basenotes à l’effet Axe – est désormais devenu un produit culte.
LE PSCHITT TOMBEUR DE TANGA
L’androstadiénone, autre candidate au titre de phéromone et également présente dans la sueur masculine est dotée d’une curieuse caractéristique : pour des raisons génétiques, certain.e.s ne la sentent pas. Pour d’autres, c’est une odeur neutre. D’autres encore, plus infortuné.e.s, se prennent en plein pif une note d’urine. Chargé.e.s de recherche au CNRS en neurosciences, Sylvain Delplanque et Camille Ferdenzi-lemaître l’ont mise à l’épreuve, masquée par de l’huile de clou de girofle (la recherche sur les phéromones ayant donc un karma lié à la chaise du dentiste). Il s’avère que l’androstadiénone a bien un effet. Mais pas celui attendu. Il.elle.s constatent que lorsque des hétéros visionnent des visages masculins et féminins, ceux.celles qui hument sans le savoir l’androstadiénone regardent plus longtemps les photos. « Elle augmente l’attractivité perçue, chez les hommes autant que chez les femmes, observe Camille Ferdenzi-lemaître, elle ne répond donc pas aux critères d’une phéromone sexuelle, mais semblerait plutôt déclencher une plus grande attention aux stimuli émotionnels.» Sympatoche, mais pas forcément starter de touze.
UN BOUQUET DE BUKKAKE
En 2001, l’affaire avait fait jaser : la nouvelle Cologne de Mugler était dotée d’une mystérieuse molécule « S » dont on se refusait à révéler l’odeur. Relancée dans une gamme inspirée par diverses substances récréatives, la Cologne rebaptisée Come Together révèle la teneur olfactive et sémantique de la molécule, qui sent le sperme (indécelable dans le produit final). Plus direct, le brief du fondateur d’état Libre d’orange, Étienne de Swardt, pour Sécrétions Magnifiques en 2006 : un subtil bouquet de bukkake. Trop littéral pour le nez Antoine Lie, qui structure ses accords sang, salive, sueur et sperme autour d’une note fictive d’adrénaline « qui agit comme un corps conducteur où les autres substances pourraient baigner... Les gens disent que c’est dégueulasse, mais pour moi, le mécanisme des fluides intérieurs représente la beauté à l’état pur ».
ARRIÈRE TOUTES
Mais pourquoi, par Saint-valentin, introduire dans les flacons des notes qui transgressent la limite entre les liquides dont on s’asperge et ceux qu’on gicle ou qu’on suinte ? Parmi ces substances dont l’usage reste confidentiel, une molécule répondant au doux nom d’aldron, pour laquelle on aurait adoré entendre le pitch des chimistes aux patrons de Symrise, multinationale allemande des parfums et arômes qui la produit. Inodore pour une partie des gens, doucement boisée ambrée pour certain.e.s, mais pour les autres... « L’aldron, ça sent le sexe », tranche Maurice Roucel, qui ne prédit pas à la molécule un grand avenir chez L’oréal. Pourtant, souligne son confrère Olivier Cresp, ces notes dirty peuvent être utilisées en doses subliminales « pour ne pas les sentir mais être attiré inconsciemment ». Ainsi, la rose musquée de Night, création évoquant le sexe pour la nouvelle marque AKRO : un symbole de l’amour dévoyé par « le cumin pour le côté transpi, l’oud qui amène une dimension dark, animale », le tout relevé de l’infamous molécule S. Dans le même registre olé-olé, Rodrigo Flores-roux pimente Ella d’arquiste, évocation des nuits d’acapulco en pleine ère disco, d’odeurs de corps à corps sur la playa. Tandis que chez Jean Paul Gaultier, Scandal by Night tombe le string en arrosant sa tubéreuse d’une note miellée évoquant ce que les froufrous sont censés cacher. Plus culotté, L’innommable de Serge Lutens ose une overdose de cumin humain sur fond de benjoin, ambiance petite marquise poudrée sortant d’une orgie sadienne. Chez Parfum d’empire, ce sont carrément « les profondeurs moussues d’un corps aimé » qu’évoque la marque pour la reconstitution de l’ingrédient animal le plus mythique de la parfumerie, le Musc Tonkin (désormais interdit pour cause de protection de l’espèce de cervidé dont il est issu). Un matériau qui, à l’état naturel, sent nettement la bête... Rappelant à toutes fins pratiques l’une des finalités du parfum : non seulement masquer l’odeur de la bête que nous sommes mais aussi réveiller, via le groin, le cochon qui sommeille en tout être humain.