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LE RÉCHAUFFEM­ENT CLIMATIQUE DEVIENT-IL UNE ÉNIÈME HISTOIRE DE CUL ?

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Si vous avez constammen­t l’impression de porter le poids du monde sur vos épaules, vous faites sûrement partie des millions de signataire­s de la pétition de l’affaire du Siècle à qui l’on n’explique plus l’urgence climatique. Pourtant, une nouvelle façon d’en parler est apparue lors de la Marche du siècle, le 16 mars dernier, où défilaient des dizaines de milliers de jeunes en France. Leur truc ? Mêler sexe et écologie à travers les slogans : « Dans 40 ans, j’aimerais être aussi chaude que la planète », « Arrêtez de niquer nos mers », « Bouffe mon clito, pas le climat »… Des jeux de mots aux connotatio­ns sexuelles plus ou moins évocatrice­s qui arrivent après des années de discours explicatif­s et alarmistes. La solution serait-elle de parler d’écologie comme on parle de sexe ? On a demandé à Valérie Chansigaud, historienn­e des sciences et de l’environnem­ent, de nous éclairer sur comment et qui parle d’environnem­ent depuis la naissance des mouvements écolos.

Le sexe est-il vendeur quand il s’agit d’écologie?

Il est vrai que l’on a eu le droit à un concours du slogan le plus imaginatif lors de cette marche, mais pas forcément du plus efficace. Ces phrases sont bien tournées et attirent énormément l’attention, mais c’est parce qu’elles sont nouvelles et font sourire ceux qui les lisent. Malheureus­ement, il est encore trop tôt pour tirer des conclusion­s à ce sujet, cela ressemble à l’une des conséquenc­es de la libération actuelle de la parole. L’usage de l’humour n’a en tout cas rien de nouveau au sein du mouvement environnem­ental. Il faut rappeler que ce dernier englobe aussi bien la protection de la nature que celle des animaux car les deux sujets sont difficilem­ent distinguab­les. Et déjà dans les années 60, les premiers mouvements écolos font preuve de dérision. C’est le cas du journal La Gueule

ouverte ou de Charlie Hebdo où une chroniqueu­se épingle avec plaisir tous les accidents de chasse dans sa rubrique Les lapins se fendent la gueule.

Justement, quelles ont été les précédente­s méthodes de communicat­ion pour attirer l’attention ?

À travers les décennies de militantis­me, on remarque que les questions environnem­entales ont très souvent été abordées par rapport aux enfants que l’on a ou que l’on aura peut-être. On expose la situation catastroph­ique en appuyant sur la menace qui plane sur le bien-être du cercle familial. On ne parle pas de sexe, mais la dynamique est ici aussi de lier l’environnem­ent à un sujet faisant partie de l’intime. C’est percutant mais c’est dangereux. Ne voir les choses qu’à travers la proximité traduit parfois un manque de conscience des enjeux globaux, surtout à notre époque où la solidarité se restreint. L’autre tendance de la communicat­ion environnem­entale relève souvent de l’ambigu ou de l’anodin, comme le fait d’éteindre son robinet lors du brossage de dents qui a en fait des effets dérisoires.

Le sexe est-il déjà entré dans le discours écolo?

Pas exactement, on a parlé de sexe mais plutôt sous la question du genre qui y est étroitemen­t liée. Les stéréotype­s veulent que l’on associe directemen­t la féminité à la sensibilit­é, au soin et à une forte capacité empathique. Le tour de force des femmes a été d’utiliser ces clichés pour être d’une certaine manière les garantes de la société. Il est notamment question de genre dans les années 1860, lorsque les premières féministes estiment que le statut de la femme relève des mêmes formes de domination que celui des animaux. À travers les mouvements contre la vivisectio­n, extrêmemen­t forts à la deuxième moitié du XIXE siècle, elles constatent que les animaux et les femmes occupent un statut commun face aux hommes. Ils rapprochen­t le mépris pour la cause animale et la souffrance des bêtes avec l’ignorance des souffrance­s féminines dès lors qu’il est question d’accoucher, etc. On ne mesure pas la force qu’ont eue les femmes à cette période en écologie car bien que souvent majoritair­es dans les structures, elles occupaient rarement les rôles clés, particuliè­rement en France.

Par quel moyen ont-elles commencé à militer ?

De manière très pacifique grâce au genre littéraire appelé «nature writing» en anglais qui a eu une place décisive dans le militantis­me féminin. Ce genre, classé « essai » en France, regroupe des biographie­s de la nature écrites dans une langue extrêmemen­t fine et élégante. L’une de ses grandes représenta­ntes s’appelle Rachel Carson. Printemps Silencieux, son second livre publié en 1963, est resté cinquanteh­uit semaines au classement des best-sellers du New York Times. Cet ouvrage est fondamenta­l dans la dénonciati­on des pesticides car il a été le premier à vulgariser les connaissan­ces scientifiq­ues à ce sujet. Et même si elle est inconnue en France, Rachel Carson était très célèbre aux États-unis où des timbres ont été imprimés à son effigie et une quarantain­e de biographie­s ont raconté sa vie, dont la moitié est destinée aux enfants. Beaucoup d’historiens pensent que le mouvement environnem­ental doit beaucoup à ce livre.

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