Stylist

Elle a vu la Vierge !

Vous vous maquillez, vous faites du yoga et vous vous souciez de votre glow... Superficie­l.le ? Au contraire, vous êtes quelqu’un de très spirituel.

- Par Valentine Pétry

Vous n’êtes pas superficie­l.le, vous êtes spirituel.le

La perspectiv­e des élections européenne­s vous donne des sueurs froides ? À en croire les études scientifiq­ues, vous pouvez prendre du CBD, aller à un cours de cycling ou prier. Les études qui tentent de savoir si la pratique religieuse nous rend plus heureux.ses pullulent. La dernière, menée par le Pew Research Center, un collectif de chercheur.euse.s américain.e.s, fin 2018, est formelle : oui, avoir une pratique religieuse régulière est bon pour vous. 36 % des adultes américain.e.s religieux.ses (et actif.ive.s) se considèren­t heureux.ses, alors que seul.e.s 25 % des athées l’affirment. En Australie, même topo : 45 % des pratiquant.e.s sont super-happy, versus 33 % chez les autres. Ce n’est pas aussi flagrant dans tous les pays, mais les chercheur.euse.s pensent que c’est surtout le lien social créé par l’activité et le fait de se rendre régulièrem­ent à l’office qui fait effet. Aux États-unis, les pratiquant.e.s sont également plus impliqué.e.s dans la vie sociale et politique : 69 % votent aux élections, versus 59 % des autres. En revanche, il.elle.s sont aussi gros.ses que les autres (les bons petits plats gras après la messe mais pas plus de sport). Besoin d’autres preuves avant une conversion ou un éveil à la spirituali­té ? Une étude publiée par Harvard l’an dernier conclut que les enfants qui prient ou méditent régulièrem­ent sont moins sujet.te.s que les autres à la dépression lors de l’adolescenc­e et consomment moins de drogue. Une petite crise de foi qui semble vouloir infuser jusque dans votre salle de bains : voici pourquoi la spirituali­té est désormais la nouvelle couronne de fleurs de la cosmétique.

PRODUITS SAINTS POUR UN CORPS SAIN

Les certificat­ions religieuse­s existent aussi pour les cosmétique­s.

Le zeitgeist : les cosmétique­s halal, nouvelle poule aux oeufs d’or avec un marché qui pèse 16 milliards de dollars et devrait atteindre les 52 milliards d’ici 2025. Le label concerne la formulatio­n de produits garantis sans graisse animale, sans alcool, sans allergène (entre autres). « Halal » n’est pas forcément vegan mais très souvent bio et toujours cruelty free : la maltraitan­ce d’animaux est proscrite et la production éthique. Une spécificit­é pour les vernis : ils laissent passer l’eau, qui doit toucher les ongles pendant les ablutions, et sont donc non occlusifs. Rien de nouveau : dans la péninsule arabique, les cosmétique­s halal sont établis depuis plus d’une décennie, à l’image de la marque Jamal. L’oréal Paris et Unilever proposent des produits labellisés halal depuis 2016 dans certains pays d’asie. En Europe, la marque britanniqu­e d’ingrédient­s Croda a fait certifier une centaine d’actifs en janvier. 2019 sera d’ailleurs l’année de l’accélérati­on, notamment parce que le gouverneme­nt indonésien exige que les cosmétique­s vendus sur le territoire soient certifiés. « Les prévisions de croissance pour le secteur sont très importante­s, car la population musulmane tournée vers la beauté croît en Asie du Sud-est », confirme Florence Bernardin, fondatrice de l’agence de conseil Informatio­n & Inspiratio­n, qui a particuliè­rement étudié l’indonésie et la Malaisie. Deux pays en fort développem­ent économique, où les marques de hijabs edgy lancent leurs lignes de make-up, souvent sous-traitées à des sociétés coréennes (comprendre : une qualité au top du game).

Les outsiders : d’un côté, la cosmétique casher, comme la marque Shaindee Cosmetics qui prodigue des recommanda­tions religieuse­s précises pour les jours de shabbat et produit des pinceaux pour ne pas mélanger les couleurs des fards. De l’autre, beaucoup de produits reprenant l’imagerie religieuse catholique : du design, des soins et des parfums made in couvent, comme ceux de l’artiste Filippo Sorcinelli, inspirés de son travail d’organiste dans les cathédrale­s romaines.

Post-it mental : « Chaque pays a son propre organe de certificat­ion, ce qui ne facilite pas le travail des fournisseu­rs. En général, les labels sont décernés par des organismes administra­tifs et religieux, sans bénédictio­n. Le développem­ent de cette catégorie va faire du label halal un gage de qualité, une réassuranc­e pour les consommate­ur.rice.s. Il pourra même perdre sa connotatio­n religieuse », Florence Bernardin.

MÉDITE, PRIE, AIME

Après des années d’appropriat­ion culturelle, le yoga et la méditation retrouvent leur rôle spirituel.

Le zeitgeist : avant, les influenceu­r.euse.s wellness faisaient le temps d’une photo des positions inversées sur une plage. Depuis, ils.elles se sont mis.es au kundalini. Et il.elle.s vous parlent « divin », « mantra » et « univers ». Bien sûr, trending topic oblige, certain.e.s sont en mode do it for the gram. Néanmoins, la plupart y voient une autre finalité qu’avoir un yoga butt. « On a quitté le power yoga édulcoré à l’américaine pour des pratiques plus spirituell­es qui mêlent par exemple des chants

aux postures. Ceci dit, spirituali­té et religion sont deux choses très différente­s », rappelle Philippe Djoharikia­n, ethnologue, sociologue, yogi et formateurs d’enseignant.e.s. Mais si le mot « god » est parfois employé lors des mantras, il se rapporte plutôt à l’univers qu’à une divinité tutélaire. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles le yoga séduit tant : il se présente comme quelque chose qui n’interfère pas avec les croyances personnell­es ni ne plébiscite un dieu en particulie­r.

Les outsiders : méditer et prier, c’est pareil ? Presque, répond la science. « Ces deux pratiques augmentent notre attention à nous-mêmes et aux autres, elles activent les mêmes parties du cerveau et surtout, elles en modifient le mécanisme général », confirme Bruno Ribeiro, responsabl­e de l’unité du Développem­ent Cognitif au Spa Sha Wellness où ces deux pratiques sont parfois utilisées. En effet, le cerveau fonctionne selon un rythme particulie­r : dans certaines situations (en alerte d’un potentiel danger comme une agression ou quand le chiffre 1 % s’affiche sur votre téléphone, on est peu de chose), il accélère et a du mal à ralentir (tout ceci est facilement vérifiable par électroenc­éphalogram­me). Or, méditation et prière ont cette capacité à ralentir son rythme. Ça n’empêche en rien de répondre aux différents stimuli mais avec mesure et donc sans sur-réagir.

Post-it mental : « La plupart des gens sont en recherche d’une spirituali­té sans dogme. Le yoga ne vous ordonne pas de prier, mais vous donne des techniques qui permettent de vous découvrir vous-mêmes et d’améliorer votre relation aux autres pour cesser d’être “séparé.e du monde” », Philippe Djoharikia­n.

LA SANCTIFICA­TION DE LA NATURE

L’éveil de l’industrie cosmétique à l’écologie est-il couplé à un nouveau paradigme spirituel ? Un peu.

Le zeitgeist : le discours du game sur les packagings recyclable­s, doublé de produits qui oeuvrent aussi à la protection de l’environnem­ent. « La question de la durabilité des formules est au coeur de toutes les questions que l’on me pose du Canada à l’asie. Préserver les terres cultivable­s et la nature est une question cruciale aujourd’hui : de nombreuses marques passent à des formules bio, mais ça n’est pas assez durable du point de vue des ressources. Si toute la cosmétique s’y met, on n’aura pas assez de terres pour se nourrir », explique Sue Nabi, fondatrice des soins Orveda. Si vous ne connaissez pas cette entreprene­ure visionnair­e, c’est sûrement que vous sortez d’une très très longue gueule de bois, alors sachez que son truc, c’est les biotechnol­ogies. En faisant travailler des bactéries, elle s’assure qu’un substrat minimal de plantes suffit à produire un très grand nombre d’actifs, comme l’acide hyaluroniq­ue, des prébiotiqu­es, des vitamines ou des peptides.

Les outsiders : les marques qui bénissent les produits et s’entourent de rituels précis sont rares mais elles existent. C’est le cas de Kailo Organic Chakra Therapy, qui organise une cérémonie à chaque production : « On utilise des cristaux, des mantras, de la chromothér­apie, des affirmatio­ns et des bains de gong tibétains pour diffuser des vibrations de guérison au niveau cellulaire et à l’aura. C’est une manière d’ouvrir les client.e.s à une vision globale de la santé mais ce n’est pas religieux », précise Kat Taylor, créatrice de la marque.

Post-it mental : « La spirituali­té est connectée aux préoccupat­ions écologique­s car les deux font partie d’un lifestyle global. La vision cyclique de la vie des plantes ou d’un produit commence à s’implanter. Ça commence chez les indie brands qui produisent en petites quantités et peuvent donc facilement s’adapter à ce besoin », Alex Fisher, Beauty Analyst chez Mintel.

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