PLIER VINTAGE
es trois télés, toutes allumées comme toujours, une dans le salon, l’autre dans la chambre, la dernière dans la salle de bains, montraient le feu. La radio disait le feu. Les réseaux sociaux commentaient le feu. S’il avait eu le courage de regarder par la fenêtre, il aurait vu les chênes, les cyprès, les pins, les paviers, toute la broussaille, peu à peu dévorés par le feu. Le feu qui, lorsqu’il avait emménagé en Californie dix ans auparavant, était, comme les tremblements de terre, un invité occasionnel suffisamment élégant pour ne pas faire trop sentir sa présence. Mais en quelques années, il était devenu cette incruste bien lourde qui détruit les soirées, à grands coups d’injures imbibées et de gestes déplacés. Cela fait maintenant deux heures qu’il a été réveillé par l’alerte évacuation reçue sur son téléphone, l’enjoignant à rassembler ses affaires, «le strict nécessaire», puis à fermer peut-être pour la dernière fois la porte de sa maison rouge. Mais pour le moment, il se tient debout, désemparé dans la petite pièce qui lui sert d’atelier et de mausolée. Devant le mur bibliothèque blindé d’objets, de livres, de traces, de cadavres et de témoins de sa jeunesse, ses archives (p.28) de l’ère pré-numérique ; les années 80-90, il tient entre ses mains un Tamagotchi en plastique blanc mort depuis ce jour auquel il ne veut plus penser. À ses pieds, un grand sac attend. Qui seront les élus du grand voyage ? La VHS de Pump up The Volume, les pendentifs tétine en plastique chelous de toutes les couleurs que sa soeur a portés durant son année de quatrième, la pièce de deux francs, les rollers Fisher-Price, le troll aux cheveux verts secs et emmêlés, sa carte orange avec la photo d’un jeune garçon aux cheveux roux pleins de gel qui semble être lui, ses Reebok Pump Twilight Zone… L’incendie qui gronde derrière sa porte et la Game Boy ou le Walkman waterproof Sony jaune ? Les pompiers débarquent et tambourinent contre ses volets et sa collection de billes ou ses tortues Ninja? Les alarmes et les cris des pompiers qui sont en train de défoncer sa porte lui tapent dans le crâne, il n’arrive pas à réfléchir. C’est une pompière masquée qui finit par le trouver, sir, sir, you have to leave the house right now, it’s burning. Quand il lui répond en français qu’il a besoin de son avis, ça ou ça?, en lui tendant dans sa main gauche, un Popples blanc et jaune, dans sa main droite, son premier skateboard, la jeune femme prend son sac de voyage et y met avec une grande délicatesse sa peluche à poche blanche et jaune des années 80, avant de l’accompagner vers la sortie.
Qui seront les élus du grand voyage ?