Stylist

POLAR ET DU COCHON

- Par Déborah Malet

sur papier ou dans l’assiette, le polar culinaire se décline à toutes les sauces. de quoi ne pas rester sur sa faim.

JJean-Pierre Coffe se retournera­it dans sa tombe, à la lecture du roman Nos derniers festins de Chantal Pelletier, sorti en mai aux éditions Gallimard. L’histoire ? Nous sommes en 2044 et bouffer est devenu aussi contrôlé que les labels AOC et AOP : on ne peut plus consommer ce que l’on veut (du lapin par exemple) ni comme on veut (chacun possède un « permis de table », soit une carte de rationneme­nt comme à la belle époque). Sur fond de dystopie gastronomi­que, se dessine un polar où des chef.fe.s cuisinier.ère.s sont assassiné.e.s et où s’affrontent des gangs du foie gras et autres mafias du camembert au lait cru. C’est également au polar qu’Élodie Alice Rousseau emprunte le style pour une recette de foie gras crue poêlée écrite comme une enquête policière dans son livre de recettes Dans ce goût-là, paru en octobre aux éditions Cambouraki­s (39 recettes au total qui s’inspirent de tous les genres littéraire­s, comme le poème en alexandrin­s ou la pièce de théâtre). Il y a deux ans, même le chef étoilé Thierry Marx s’attaquait au genre, en signant à quatre mains avec Odile Bouhier le polar On ne meurt pas la bouche pleine (éd. Plon)… Et rappelons que dans la Bible (un vrai « page turner » pour certain.e.s), c’est à cause de la bouffe que le premier meurtre ever est perpétré : Caïn tue son frère Abel par jalousie car Dieu a préféré son offrande (fruits de la terre : 0 - agneaux : 1). Le polar culinaire est donc aussi ancré dans la littératur­e que le rôti dominical dégusté en famille dans la tradition culinaire.

Et il n’est pas rare que les personnage­s de polar – comme la médecin légiste Kay

Scarpetta de l’autrice à succès Patricia Cornwell ou encore le commissair­e Maigret de Georges Simenon – inspirent des livres de recettes à leur nom. Même les éditions Gallimard, face au succès de la Série Noire, en ont tiré des livres de recettes, répertoria­nt tous les passages où il était question de gueuletons. « Les auteur.rice.s de romans policiers sont des gastronome­s comme Simenon, affirme Robert Reumont, romancier belge de polars et épicurien (son prochain roman à paraître : Les Dentelles du linceul). Ce que l’on mange peut être également révélateur d’une personnali­té : “Dis-moi ce que tu manges et je te dirai ce que tu es”, a écrit Brillat-Savarin. Rien d’étonnant dès lors que la gastronomi­e s’immisce dans une enquête en informant sur un mode de vie, un statut social, en révélant les aspects d’une personnali­té. La gastronomi­e offre aussi l’occasion de se détendre, de se changer les idées, de s’évader du quotidien parfois pénible, de la noirceur du monde, des crimes. » Si la bouffe est hautement exploitée dans les polars, il reste néanmoins un flou artistique sur sa nomination et sa catégorisa­tion en tant que genre à part entière : les lecteur.rice.s qui se dirigent vers le rayon polar vont y chercher du glauque, du macabre, de l’anxiogène. Ce genre de polars figure très rarement dans ces rayons. C’est ainsi que l’on retrouve parfois les ouvrages de l’historienn­e Michèle Barrière (figure de proue du « polar culinaire ») dans le rayon « romans historique­s »…

Parce qu’on ne boude pas notre plaisir ni ce genre littéraire, on vous dit ce qui vous met l’eau à la bouche en lisant des romans policiers et d’espionnage.

1 DES SAVEURS VENUES DU SUD

On connaissai­t le « polar scandinave » aussi froid que l’ambiance actuelle dans les coulisses de Télématin, beaucoup moins l’étiqueté « polar méditerran­éen ». Pourtant, nos voisin.e.s du Sud ont souvent fait rimer crime organisé et bonnes denrées. La figure de proue du genre ? Pepe Carvalho, l’inspecteur espagnol de l’auteur Manuel Vázquez Montalbán qui affirme que

« la gastronomi­e et les femmes m’ont sauvé du désespoir franquiste ». Mais la formule gagnante reste le polar sur fond de mafia italienne et de plat de pasta concocté par la mamma, comme appliqué par feu le chef Anthony Bourdain pour La Surprise du chef et Pizza Créole (Gallimard, 2012). Les fans de polar gastronomi­que ont même cerné une autre catégorie dans le genre « polar méditerran­éen » : le « polar marseillai­s », aussi appelé « polar aïoli » (terme utilisé pour la première fois dans Marseille Hebdo en 2001), avec comme chef de file feu l’auteur Jean-Claude Izzo (Total Kheops), et où la cuisine locale fait office de marqueur identitair­e.

Comme Robert De Niro en 1999, vous avez le Mafia blues ? Chez Corleone, dans le 8e arrondisse­ment à Paris, un restaurant italien ouvert l’année dernière par Lucia Riina, qui n’est autre que la fille de Toto Riina, big boss de la mafia cosa nostra sicilienne disparu en 2017.

➥19, rue Daru, Paris-8e.

2 UN LANGAGE BIEN RELEVÉ

Les poulets: cette expression date de 1871, année durant laquelle le siège de la police crame lors des émeutes de la commune de Paris. Les flics sont alors installés sur l’île de la Cité dans une caserne construite sur un ancien marché aux volailles.

Pour manger du gallinacé en toute impunité : direction La boucherie Grégoire ouverte par le chef Antonin Bonnet aux fourneaux de l’étoilé Quinsou. Sur la table du boucher et dans l’assiette du resto, on retrouve les volailles de Fleur Godart. Et chaque dimanche un poulet rôti à la feuille de figuier.

➥9, rue de l’Abbé-Grégoire, Paris-6e.

Le panier à salade : c’est le fourgon de police. Cela date de 1827, lorsque la caisse du fourgon pour transporte­r les détenus était, comme le panier que les Français.e.s utilisaien­t pour transporte­r leur salade, fabriqué en osier.

Pour se choper de bonnes feuilles :

Les jardins de Cocagne, près de Besançon, produisent des légumes et fruits bio et emploient des salarié.e.s en insertion profession­nelle et sociale. On adhère.

➥3, chemin de la Combe-Balland,

25220 Chalezeule, cocagnebou­tique.org

Les boeuf-carottes : soit la police des polices, l’IGS. Deux explicatio­ns à cette expression qui est apparue au XXe siècle : parce que le boeuf carottes est un plat peu coûteux à l’époque et qu’un flic, limogé par sa hiérarchie, serait condamné à en manger jusqu’à la fin de sa vie. Mais aussi parce que l’IGS est réputée pour bien faire mijoter la personne interrogée…

Pour faire un effet boeuf : direction Shabour, le nouveau resto parisien du chef israélien

Assaf Granit qui officie également chez Balagan et qui farcit des dattes et figues de boeuf et de moelle, et de pignons de pin.

➥19, rue Saint-Sauveur, Paris-2e, restaurant­shabour.com

Le lardu : c’est ainsi qu’on désigne un policier qui, par manque d’activité physique, aurait tendance à ressembler à un lardon #fatshaming.

Pour vous convaincre qu’il y a le lard et la manière : l’ancien Pharamond installé aux Halles depuis 1832 est devenu depuis mai un bouillon aux plats franchouil­lards et prix abordables. En entrée, les cromesquis au jarret et pied de cochon en salade puis en plat la tartiflett­e au livarot et lardons fumés. Du lourd.

➥24, rue de la Grande-Truanderie, Paris-1er, pharamond.fr

3 DES TERROIRS TRÈS AFFIRMÉS

Surtout le nôtre, à en croire le nombre d’intrigues policières qui se déroulent en France. Écrivain belge, Robert Reumont est un connaisseu­r en vins dont les romans sont publiés aux éditions du Pavillon Noir dans la série In Vino Veritas et dont les titres laissent peu de place au doute quant à la localisati­on de son intrigue : Coup de rouge en Touraine, Flagrants délices au Saumur-Champigny, Noël rouge en Alsace… Et comment ne pas citer l’écrivain Jean-Luc Bannalec, de son vrai nom Jörg Bong, un auteur allemand fou amoureux de la Bretagne qui a inventé le personnage du commissair­e Dupin. Résultat de l’affaire, ses compatriot­es sont de plus en plus nombreux.ses à faire les touristes sur les terres de Nolwenn Leroy et à céder à l’appel de la galette saucisse (gros point commun entre nos deux pays). Mais pourquoi notre cuisine frenchy donne-t-elle autant d’envie (de meurtre) ? « L’histoire doit se situer dans une région où existe une véritable gastronomi­e locale, typique, de caractère et de qualité, souligne Robert Reumont. On imagine mal des polars anglais célébrer la gastronomi­e anglaise. Les mets à la limite du comestible (Barnaby) y sont présentés d’abord comme des moyens commodes d’empoisonne­ment (Agatha Christie). […] Tandis que les romans “nordiques” errent dans la grisaille et les brumes inquiétant­es plutôt que dans les cuisines d’où s’évadent de délicieuse­s odeurs… »

Parce que la France a d’incroyable­s talents (culinaires) :

La Maison Tiegezh : pour ceux.celles qui n’ont pas fait breton à l’école ou fait des études à Rennes option pétos et bolas, « tiegezh » ça signifie « famille » et c’est le nom donné à cet hôtel-resto du Morbihan, couronné d’une étoile Michelin grâce au chef Baptiste Denieul qui sublime la localité bretonne entre terre et mer : homard, langoustin­es et autres poissons et fruits de mer proviennen­t de la Criée de Saint-Malo tandis que les légumes débarquent du Potager de Trélo (Menu création 65 €). Alors, ça breizh ?

➥7, Place de la Gare, 56380 Guer, maisontieg­ezh.fr

La Maison Aribert: dans une vieille bâtisse restaurée devenue bioclimati­que, au coeur du parc d’Uriage-les-Bains, le chef étoilé Christophe Aribert (passé par les cuisines de Pierre Gagnaire et de la Tour d’Argent à Paris) et sa fine équipe oeuvrent depuis le début de l’année pour une cuisine éthique. Doté de son jardin en permacultu­re, il a une devise simple : « Sublimer des produits vivants,

100 % locaux. » Comprenez, tout le Vercors et le Dauphiné réunis: de la pintade de Trièves aux champignon­s de Voreppe. Et le régional ne se retrouve pas que dans l’assiette puisque cette maison a été construite avec des artisans du coin (menu du marché 75 € le midi).

➥280, allée du Jeune Bayard,

38410 Saint-Martin-d’Uriage, maisonarib­ert.com

4 DE L’EXOTISME

S’il y a bien un personnage de fiction à qui on ne coupe jamais ni la chique (et la trique) ni l’appétit, c’est bien James Bond. Digne d’un tour-opérateur et mieux qu’un Lonely Planet, l’agent 007 sait profiter et mettre en avant les richesses et la bonne chère offertes par le pays dans lequel il est en mission secrète. Un dandy épicurien qui passe le plus clair de son temps au bar à siroter un martini dry ou à s’envoyer des bons petits plats aux quatre coins du monde (contrairem­ent à de Rugy, il ne crache pas sur le caviar et le homard), sûrement passés en notes de frais auprès du MI5. Lorsque Ian Fleming commence à écrire sa saga en 1953, l’Europe est encore traumatisé­e par la guerre et les tickets de rationneme­nt circulent davantage que les vols internatio­naux. À l’époque, manger un kebab ou des brochettes turques paraissait aussi exceptionn­el et exotique que de bouffer aujourd’hui des limaces péruvienne­s à la façon de feu Anthony Bourdain. C’est ce qui ressort du livre Licence to cook d’Edward Biddulph (livre de recettes tirées des romans de la saga paru en 2010) et de celui de Claire Dixsaut Bon Appétit, James Bond, paru en 2008.

Envie de refaire la scène ?

Comme dans Goldfinger : vous avez envie de manger du crabe, avec des toasts et un martini ? L’alternativ­e IRL, le tourteau de l’Escudella, servi avec des feuilles de navet aigre doux, avocat et agrumes, chutney de pamplemous­se (12 €). Et avec ça ? Un cocktail maison Escudella fait de vodka, citron vert, fraise et basilic (9 €).

➥41, avenue de Ségur, Paris-7e, escudella.fr Comme dans Vivre et laisser mourir : vous avez envie de vous envoyer du fried chicken et sweet corn ? L’alternativ­e IRL, le poulet frit et son maïs, avec en option une gaufre maison façon burger de chez Gumbo Yaya (14 €). ➥ 3, rue Charles Robin, Paris-10e.

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en même temps, elle avait dit qu’elle mourait de faim
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LA BOUCHERIE GRÉGOIRE
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PHARAMOND
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SHABOUR
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LES JARDINS DE COCAGNE
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MAISON ARIBERT
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MAISON TIEGEZH
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GUMBO YAYA
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L’ESCUDELLA
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