BOIRE LA TASSE

personne ne grille qu'il esquive les manèges

La température est très basse pour un hiver dans le sud de la France. Moins trois degrés. Et il est pour lui visiblement hors de question de déroger à une des règles paternelles à la con : ne jamais avoir froid. Arborer quoiqu’il, un de ces décolletés uniquement visibles chez les garçons natifs de la région PACA. Élevé sous la voûte de la Sainte-trinité de la masculinité toxique Baston-biture-partouze, il rejoint donc à Magic Land sa meute de potes le torse en bombe sous son T-shirt blanc ouvert, à peine réchauffé par un blouson en cuir. Alors qu’ils attendent les meufs, ils tournent tous sur leur scoot devant la grande porte du parc d’attractions (p.44) en forme d’arbre ou de champignon magique, c’est moyen clair. Comme d’habitude, bien à bloc dans son rôle de fada, il enchaîne les dérapages et des une-roue sans casque, avec une gestuelle brusque et mal dosée suggérée par sa grande taille. Les filles arrivent, embarrassées de make-up lourd et de poses aléatoires qui ne font que rappeler ce qu’elles tentent de faire oublier ; la peau grumeleuse et les appareils dentaires. Lui, fume clope sur clope et boit une gorgée de tequila dans sa gourde d’enfant cabossée. Un peu plus que d’habitude. Au début, il arrive à les éviter. Il fait diversion en se jetant sur toutes les autres attractions. Comme il fait un carnage au tir à la carabine, personne ne grille qu’il esquive tout ce qui ressemble de près ou de loin à un manège. Ces trucs l’ont toujours terrifié. Comme c’est un des seuls obstacles au sujet duquel son père ne l’a pas torturé, il n’a jamais eu à se forcer. Après son cinquième mytho pour ne pas y passer, il voit bien qu’il va falloir faire un effort, donc il lance l’idée des tasses qui tournent. Ça lui semble accessible. Juste avant, la meute le pousse à descendre encore un peu de téquila-gourde. Il se débrouille pour se caler seul dans une tasse vert pistache. Au dernier moment, une petite fille de 4 ans s’installe en face de lui. La parfaite excuse pour ne pas devoir faire tourner l’affaire à grande vitesse pour prouver il ne sait plus très bien quoi à ses potes. Mais il est tombé sur une ouf à tresses. La petite semble avoir un bel avenir dans les sports extrêmes ou l’overdose. Elle fait tourner l’assiette centrale de toutes ses petites forces. Il tient quelques secondes avant de s’évanouir. La dernière chose qu’il voit : la petite fille qui lâche l’assiette, ferme les yeux et laisse tomber sa tête en arrière, un long sourire tranquille sur la face.