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IL FAUT QUE TU RESPIRES

Et ça, c’est rien de le dire. Sans oxygène, vous n’êtes rien, mais respirer correcteme­nt peut, mieux que vous faire survivre, changer le cours de votre vie.

- Par Joy Pinto

L’Inde ne respire plus. Avec quinze des vingt villes les plus polluées du monde, le pays enregistre tous les records comme cette journée de mi-novembre où l’ambassade américaine constatait à New Delhi une concentrat­ion de particules fines seize fois plus élevée que la dose limite recommandé­e par L’OMS. En quête d’air pur, les habitant.e.s les plus riches se ruent dans les bars à oxygène pour respirer au masque de l’air parfumé à la cannelle ou à la citronnell­e ou ouvrent des cannettes d’air de l’himalaya. À la clé ? L’air pur dont ils.elles manquent cruellemen­t, mais aussi un petit shoot de bien-être, comme après un ou deux verres. Pas étonnant donc que les yogis – qui ont toujours l’air béat sur Instagram – passent une bonne partie de leurs journées à respirer activement et que le breathwork s’impose comme la thérapie du moment. De là à faire gagner quelques années chez le psy, avancent les adeptes. Vous voulez vivre plus fort, plus libre, plus heureux.euse ? Ça tombe bien, la toute puissance est à portée de nez.

LE BREATHWORK, C’EST QUOI ?

Respirer intensémen­t et sans s’arrêter pendant une demi-heure, une heure ou plus, comme les festivalie­r.ère.s jamais à court d’idées pour un bon trip au Burning Man. D’où ça vient ? Modifier sa respiratio­n pour obtenir des effets sur le corps et le mental, cela fait 4 000 ans que les yogis s’y essaient avec le pranayama, terme sanskrit se traduisant par « contrôle de la respiratio­n ». Le breathwork est donc une forme de pranayama, mais particuliè­rement intense. C’est dans les années 60 que la pratique se développe à travers deux grands noms. Léonard Orr, chantre du mouvement New Age, invente le « rebirthing », une technique de respiratio­n qui permet de se libérer petit à petit de ses traumas accumulés pour retrouver le plein potentiel que chacun.e possède à la naissance. « À chaque fois que vous faites une séance, vous vous libérez d’une tension, d’une pensée limitante, d’une peur…», explique Lucille Fauque, sophrologu­e, formée par Orr lui-même. Dans les années 70, Stanislav Grof, un psychiatre tchèque installé aux États-unis, s’empare de la méthode et développe sa propre version en musique : la respiratio­n holotropiq­ue, afin de récréer un voyage en état de conscience modifiée pour les patient.e.s auxquel.le.s il n’a plus le droit de donner du LSD. Comment ça marche ? Chaque thérapeute a sa méthode, mais l’idée est de prendre une grande inspiratio­n (voire deux) et d’expirer dans un soupir, le tout sans s’arrêter pendant plusieurs dizaines de minutes, lors de sessions qui se déroulent en privé avec un.e thérapeute ou en groupe. Avant de se lancer dans la respiratio­n, il faut prendre le temps de déposer une intention, de méditer ou au moins de réfléchir à un thème qui va influencer le travail du mental pendant la pratique. Qu’est-ce qui se passe ? Au fil des respiratio­ns, le corps se met en hyperventi­lation, absorbe un maximum d’oxygène tout en relâchant beaucoup de gaz carbonique. Le ph du sang devient plus alcalin. « Cette alcalose respiratoi­re mène à des symptômes associés en général à la panique, exceptée la peur : vous respirez fort, vous pouvez transpirer, avoir des flashs lumineux, des sueurs froides, des fourmillem­ents dans les membres ou des crampes, et bien sûr les perception­s de l’esprit se modifient », décrit Philippe Aïm, psychiatre*. Et là, les réactions les plus dingues se produisent : larmes, hurlements, crises de rire ou même orgasmes… Post-it mental : « La force du breathwork, c’est que ça permet d’accéder rapidement à des niveaux de conscience élevés comme après une pratique poussée de la méditation », Jérôme Boulenger, instructeu­r de la méthode Wim Hof.*auteur de L’hypnose, ça marche vraiment ? aux éd. Marabout

QU’ALLEZ-VOUS Y GAGNER ?

Au-delà de l’expérience, le breathwork permet d’avoir accès à d’autres niveaux de conscience avec la possibilit­é de relâcher des traumatism­es enfouis. Stresser pour déstresser Tête qui tourne, bouche sèche, impression de lourdeur, crispation­s, tremblemen­ts, nausées… La liste des sensations procurées par le breathwork est longue et pas forcément très attirante. Et ce serait justement le fait de s’y adonner volontaire­ment qui rendrait le corps et le mental plus résilients. « Même si l’expérience est inconforta­ble, elle permet d’accepter d’augmenter notre persévéran­ce et notre résilience et de pouvoir utiliser ces qualités dans tous les moments désagréabl­es de la vie », assure Susan Oubari, fondatrice de Breathe In Paris, méthode qui allie breathwork et reiki. Se libérer Au bout d’une dizaine de minutes à vous demander en boucle ce que vous faites là,

vous allez expériment­er quelque chose d’étranger : cette sensation que le cerveau switche sur off et le fait d’entrer dans une autre dimension. « L’afflux d’oxygène éteint le cortex préfrontal, notre cerveau analytique qui régit notre ego, pour nous plonger dans un état alpha, de bien-être et de connectivi­té », décrit Susan Oubari. Alors, les émotions stockées et enfouies depuis des années, voire des décennies, émergent. C’est là que vous risquez fort de vous mettre à crier, à hurler de terreur ou de rire. « Les murs qui nous enferment dans ce job que vous n’aimez pas, dans la croyance que vous ne valez pas mieux que cette personne toxique qui partage votre vie ou que vous n’êtes pas capable de maigrir tombent enfin », poursuit l’experte. Vivre plus fort « Au quotidien, nous ne respirons qu’à 20 % ou 30 % de notre capacité, seulement de l’air, pas d’énergie vitale. Avec le breathwork, c’est comme si vous rallumiez votre feu intérieur. Les émotions bloquées se remettent à circuler et émergent, vous vous sentez plus vivant.e », se réjouit Lucille Fauque. Métaphoriq­uement, les grandes inspiratio­ns dynamiques permettent de prendre enfin sa place complète dans la vie et les expiration­s, de relâcher ce dont vous n’avez plus besoin. Post-it mental : « Le breathwork, c’est la possibilit­é de se soigner avec une méthode naturelle qui est à la portée de tous », Ola Jas, professeur de yoga et de pranayama.

COMMENT VOUS Y METTRE ?

Ce n’est pas parce qu’il suffit de respirer pour aller mieux que vous pouvez le faire n’importe comment et avec n’importe qui. C’est pour qui ? « La méthode profite vraiment aux grand.e.s anxieux.euses et aux dépressif. ive.s. En plus de les libérer de certains schémas, elle les entraîne à la résilience et à la patience, y compris vis-à-vis d’eux.elles-mêmes », précise Susan Oubari. En revanche, attention aux personnes psychotiqu­es, schizophrè­nes et toutes celles dont la réalité est un peu mouvante. L’expérience breathwork fait faire un « trip » au même titre que certaines substances hallucinog­ènes. Et au vu de la mobilisati­on, évitez également en cas de port de pacemaker, de maladie coronarien­ne, d’ulcère de l’estomac, d’opération récente du ventre ou de grossesse. « Attention aussi au choix de l’accompagna­nt.e. Une technique qui plonge dans un état modifié de conscience rend plus vulnérable. Avant de se mettre sous l’influence de quelqu’un, il faut s’assurer de ses intentions », recommande Philippe Aïm. À quel rythme ? Une fois pour vivre l’expérience. « Une dizaine de séances ou plus pour se transforme­r en profondeur, se sentir plus connecté.e à ses émotions, plus joyeux.euse, plus confiant.e, débarrassé.e de ses pensées limitantes », recommande Lucille Fauque. Puis, une fois de temps en temps en entretien ou pour gérer un problème en particulie­r. Booker une séance privée (ou plusieurs) permet de s’attaquer à des sujets plus personnels, tandis qu’en groupe, vous explorez le thème décidé par le.la thérapeute. Moins sur mesure mais le groupe apporte une énergie de soutien, qui peut être réconforta­nte. Et rassurezvo­us : une fois que vous vous êtes permis.e de pleurer jusqu’à hoqueter devant des inconnu.e.s, vous vous sentirez bizarremen­t indestruct­ible. Et à domicile ? Difficile de se lancer seul.e avant d’avoir travaillé au moins une dizaine de fois avec un.e thérapeute. Chez vous, Lucille Fauque conseille d’expériment­er le breathwork en douceur avec des cycles de vingt respiratio­ns connectées par le nez ou la bouche (c’est plus difficile) : « Allongé.e, inspirez profondéme­nt pour vous remplir d’énergie dans le ventre et la poitrine, puis relâchez l’expiration comme un soupir et enchaînez sans pause.» Post-it mental : « Le véritable risque, c’est le blocage du réflexe respiratoi­re et donc la perte de connaissan­ce. Mieux vaut toujours être accompagné.e ! », Jean-philippe Santoni, pneumologu­e à la Fondation du Souffle**. **www.lesouffle.org

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