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QUAND LES COMPAGNIES AÉRIENNES ENVOYAIENT ENCORE LA SAUCE

Qui pourrait se douter qu’un tout petit plateau-repas cache une grande épopée ?

- Par Déborah Malet

En pleine époque du « flygskam », expression suédoise signifiant « la honte de prendre l’avion », une vidéo publiée l’été dernier sur Youtube a paradoxale­ment attiré notre attention. On fait partie des plus de 2 millions à avoir maté durant 5 minutes 20 la « routine d’aéroport » de Naomi Campbell embarquant pour un Nice-doha. Pour le New York magazine, cette vidéo est encore mieux qu’une séance d’écoute D’ASMR. On y voit la top model désinfecte­r son siège (tout y passe : accoudoirs, écran télé, etc.), avant de prendre place et d’enfiler un masque de protection : « Peu importe le vol que vous prenez, commercial ou privé, quand l’avion descend, les gens commencent à tousser et à éternuer. Et tout ça… “I just can’t”.» Mais ce que la vidéo ne nous dévoile pas, c’est ce que ça mange un mannequin en première classe. Pour s’en faire une petite idée, on peut consulter le site Inflightfe­ed.com, qui passe en revue, photos à l’appui, les plateaux-repas de plus de 150 compagnies aériennes. Et devinez quoi ? Contrairem­ent au concours de l’eurovision, la France, en matière de restaurati­on aérienne, met pas mal de monde d’accord. La compagnie française Air France a d’ailleurs remporté l’année dernière les prix de Best First Class Onboard Catering et World’s Best First Class Lounge Dining décerné par l’organisme de consultati­on Skytrax lors de leurs World Airline Awards. Quand la bouffe prend son (30 000) pied, sky n'est définitive­ment pas the limit.

ÇA, C’EST PALACE !

Comme il y a un début à tout, celui du premier repas pris dans les airs remonte à 1783, lorsqu’andré Giroud de Villette et Jean-françois Pilâtre de Rozier embarquent avec un panier à provisions un 19 octobre à Paris à bord d’une montgolfiè­re. Si l’histoire ne nous en dit pas plus sur ce que contenait ce fameux panier, il a tout de même des airs de faux départ puisque la restaurati­on de transport sera plus à l’aise dans un premier temps sur les rails (L’orientexpr­ess) et sur l’eau (le Titanic, quoique…). « Il faudra attendre la fin des années 20 et les premiers avions commerciau­x pour que la restaurati­on prenne la voie aérienne. Et encore, il n’y a pas beaucoup d’éléments figuratifs pour nous renseigner sur cette restaurati­on spécifique », souligne Kilien Stengel, auteur gastronomi­que et chargé de mission à l’institut européen d’histoire et des cultures de l’alimentati­on. Un moyen de locomotion pas franchemen­t facile d’accès, à part si on fait partie du 1 % de l’époque. « Prendre l’avion était un privilège réservé aux gens qui en avaient vraiment les moyens, nous rappelle la compagnie française Air France. Le prix d’un billet équivalait à celui d’une grosse berline ! Les prestation­s à bord proposées étaient dignes de celles des grands hôtels et palaces. Le Ritz a d’ailleurs élaboré à l’époque des paniers repas contenant un sandwich et du champagne.» Une folie des grandeurs, façon Gatsby le Magnifique, qui atteint son sommet en 1929 avec la création d’un « avion restaurant », sur la ligne historique Paris-londres. Baptisé le Rayon d’or par Air Union (qui deviendra Air France en 1933), il est aménagé de banquettes et de tables, tirées à quatre épingles autant que les douze convives qu’il pouvait accueillir à son bord. Au menu : des langoustes et grands crus que n’aurait pas snobés un critique du Guide Michelin. Et pour servir tout ce beau monde, « des personnes spécialeme­nt recrutées dans les hôtels parisiens, ajoute la compagnie française. Les barmen ont été les premiers stewards ».

UN PEU PLUS PRÈS DES ÉTOILES

Après un passage à vide (39-45, vous situez ?), la restaurati­on aérienne reprend là où elle s’était si bien arrêtée en vol, en entrant dans son « âge d’or » fin des années 40/début 50. « Si l’on regarde les magazines de l’époque ou encore les photos de la compagnie aérienne Scandinavi­an Airlines

par exemple (pour ses 70 ans en 2016, ont été exposées au SAS Museum de l’aéroport d’oslo Gardermoen des photos des repas gargantues­ques servis entre 1950 et 1984, ndlr), on a l‘impression qu’à bord de l’avion se jouait un véritable show culinaire, souligne Kilien Stengel. On peut voir le chef coiffé de sa toque servir les assiettes aux passager.ère.s, le personnel s’atteler à la découpe des viandes et de la charcuteri­e en salle. Après, est-ce que le service était fait en plein vol ou lors de haltes, le doute persiste car avec les secousses et turbulence­s, cela ne devait pas être évident de déplacer une pièce montée de langoustin­es sur un chariot…il n’est pas rare que les chef.fe.s embarqué.e.s soient français.es. La compagnie américaine Pan Am a même fait appel aux services du restaurant parisien Maxim’s pour confection­ner ses menus », ajoute Kilien Stengel. Plus de vingt ans après le Rayon d’or, une autre ligne d’air France va

rayonner de par son prestige : le mythique Paris-new York qui, grâce à son service « Parisien Spécial » mis en place en 1953, sera aussi prisé des happy few de l’aprèsguerr­e que les Bains Douche période David et Cathy Guetta dans les années 90. Y avoir accès, c’était littéralem­ent atteindre le septième ciel. « Des petits salons étaient aménagés, on pouvait fumer, on buvait dans des verres en cristal… On a même vu défiler à son bord une sculpture de glace sur laquelle était déposé du caviar », ajoute Air France. Vous trouvez que ça fly complet ? N’oublions pas qu’à cette époque, il n’existait qu’une seule classe à bord des avions. Il faudra attendre 1969 et l’arrivée du Boeing 747 (pouvant transporte­r plus de 400 personnes) pour que le transport aérien se démocratis­e et que le plateau-repas s’y fasse une plus large place. La lutte des classes (éco, business, première) est en marche et pour nourrir tout le monde, Air France créera en 1971 Servair, service de traiteur et pionnier de la restaurati­on embarquée. « On peut, dès lors, schématise­r le plateau-repas ainsi : la classe éco se rapproche de la brasserie, la business du restaurant parisien, et la première de l’étoilé », précise François Adamski, Corporate Chef chez Servair, où défilent depuis toutes ces années les plus grand.e.s chef.fe.s, de Guy Martin à Massimo Bottura, en passant par Anne-sophie Pic et feu Joël Robuchon, sous l’impulsion duquel sera créé en 2009 le Studio Culinaire, véritable laboratoir­e/think tank des tendances culinaires.

CHAMPAGNE SHOWER

Au Studio Culinaire, on sait que l’élaboratio­n du plateau-repas est aussi casse-tête qu’un Rubik’s Cube. Les chef.fe.s doivent composer avec de nombreux facteurs et contrainte­s. Outre les demandes spécifique­s liées aux régimes et restrictio­ns alimentair­es dues aux allergies ou par croyances religieuse­s, se déroule une longue liste d’ingrédient­s fortement déconseill­és. On oublie donc tout ce qui fait péter et qui sent mauvais (flageolets, choux de Bruxelles…), les viandes chelou (lapin, cheval), les produits tripiers ou encore ce qui est cru pour éviter toute intoxicati­on alimentair­e. Surtout, il faut que les aliments gardent leur saveur sous-vide (pour des raisons de sécurité évidentes, seuls les fours à vapeur sont tolérés à bord d’un avion), et ne pas lésiner sur les épices car la pressurisa­tion altère le goût et l’odorat. Tout ça en gardant en tête que « le plat est toujours élaboré en respectant la tradition culinaire du pays de départ et non celui de l’arrivée, ajoute François Adamski. Donc pour les départs de France, on met un point d’honneur à promouvoir nos cuisines régionales, nos terroirs, en respectant la formule “entréeplat-fromage-dessert”.» Le contenant (assiettes plates, creuses, cassolette­s) détermine également le contenu. Si la vaisselle doit être jolie, elle doit surtout être pratique pour que tout ne foute pas le camp. Une leçon apprise du designer industriel Michel Buffet qui, dans les 70's, avait imaginé des assiettes carrées afin qu'elles ne glissent pas les unes dans les autres dans les chariots du Concorde. Depuis 2014, c’est Jean-marie Massaud qui se charge des arts de la table. Il a dernièreme­nt imaginé un plateau « comme un jardin japonais » avec notamment des striures pour stabiliser les verres… Qui sont rarement vides, puisqu’air France est la seule compagnie aérienne à offrir du champagne et vins français à ses client.e.s sur tous ses vols long-courriers. La compagnie possède même sa propre cave, quelque part en Île-de-france, dont l’adresse est tenue secrète et dont les bouteilles sont scrupuleus­ement sélectionn­ées par le sommelier Paolo Basso. Chaque année, ce sont 750 000 bouteilles de ces fameuses bulles qui sont descendues gracieusem­ent toutes classes confondues (« We flying the first class, Up in the sky, Poppin’ champagne…», Fergie, Glamorous, vous l’avez ?). Alors la prochaine fois que vous prendrez l’avion, vous n’oublierez pas de lever votre verre à Michou.

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 ??  ?? ZONE DE TURBULENCE­S SUR COMPOTÉE DE POMMES
ZONE DE TURBULENCE­S SUR COMPOTÉE DE POMMES
 ??  ?? 10 H DU MATIN
10 H DU MATIN
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ET C'EST PAS DE LA DAUBE
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ET ÇA, CE SONT MES RÉSULTATS DE DIABÈTE
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LÉGENDES XOXOX XO THOMAS LOOK LÉGENDES AIRLINES

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