ON NE L’AVAIT PAS SENTI VENIR
Si nos sens sont aussi inséparables que les cinq doigts de la main, il y en a un qui attire en ce moment plus l’attention que les autres : l’odorat.
En plein chamboulement sensoriel et menace d’anosmie, la question est pertinente: «Si on n’a plus rien à toucher (gestes barrières obligent), si on n’a plus rien à voir (du moins pas plus loin que son salon), si on n’a plus rien à goûter (restaurants toujours fermés), y a-t-il quelque chose à sentir, si ce n’est sa propre odeur ? », s’interrogeait en décembre dernier Géraldine Mosna-savoye, dans Carnet de Philo sur France Culture. Le « huidhonger » danois (« manque de peau de l’autre ») nous aurait-il rendu.e.s intolérant.e au point de ne plus se piffrer soi-même ? Giada Brianza, chercheuse à l’université du Sussex en Angleterre, s’est penchée sur l’influence des odeurs sur la perception que nous avons de notre image corporelle. Des tests consistant à faire humer les effluves du citron et de la vanille aux volontaires, révélaient que le citron les faisait se sentir plus léger.ère.s et la vanille plus lourd.e.s. Interrogée par L’obs, l’italienne y voit là une possible application thérapeutique à destination des personnes souffrant de troubles alimentaires. L’odeur en odeur de sainteté dans le domaine de la santé, cela paraît plus évident que lorsqu’elle s’applique à l’histoire. Et pourtant, il est question de devoir de mémoire selon l’artiste et chimiste norvégienne Sissel Tolaas qui déplorait en janvier dans Libé « qu’on ne sait même plus ce que sent la réalité ». Celle qui a créé des artefacts olfactifs disséminés dans le décor du défilé automne-hiver 2020/21 de Balenciaga rappelant « les catastrophes climatiques » exposera ses reconstitutions olfactives du 1er octobre 2021 au 9 janvier 2022 au musée Astrup-fearnley à Oslo. Un challenge que s’est aussi fixé le nez français Michaël Moisseeff qui, après avoir décroché en août l’odeur de la Lune (un mélange de soufre et de calcium), souhaiterait redonner du relief à La Joconde. Mais dans ce domaine excelle l’historienne d’art et chercheuse Caro Verbeek. Celle qui a notamment reconstitué l’odeur de l’embaumement de Guillaume le Silencieux (1584) à partir de laquelle l’artiste Janie Korn a façonné la bougie ci-contre, participe à un projet pharaonique financé par L’UE et qui tient en quatre syllabes : Odeuropa. Soit la première encyclopédie qui, d’ici trois ans, archivera le patrimoine olfactif européen depuis le XVIE siècle.