Tampon!

“Le parfait, c’est chiant”

Il a beau tousser toutes les deux minutes, être débordé juste avant son service, est toujours aussi bavard. Surtout quand il s’agit de parler rugby, son péché mignon. De ses débuts à Pau avec Laurent Cabannes au cours particulie­r qu’il a donné à Dan Cart

- Yves Camdeborde PAR UGO BOCCHI ET ÉRIC KARNBAUER / PHOTO: DR

Comment êtes-vous arrivé au rugby? J’ai suivi des copains à la Section Paloise, j’avais 8 ans. Je venais de recevoir un ballon Wallaby pour Noël et je jouais avec tous les dimanches après les matchs. Et je réécrivais dessus au feutre le ‘Wallaby’ qui s’effaçait. Et je le cirais à la graisse de porc pour le rendre imperméabl­e.

Vous avez même joué avec un futur internatio­nal: Laurent Cabannes. Lolo, c’était déjà une star. Je me souviens d’un match à Toulouse contre Narbonne: 0-0 match fini, pénalité à 45 mètres à droite. On n’avait pas le droit de jouer au pied en minimes, sauf ce jourlà. Il prend le ballon, il le pose par terre et frappe entre les barres. Il avait déjà une super hygiène de vie, il mangeait de la viande bien cuite…

Quel goût gardez-vous de la dernière Coupe du monde des Bleus? Une catastroph­e, j’en avais mal au coeur. Personne ne veut assumer ça, tout le monde tape sur PSA mais on ne peut pas dire que ce n’est que lui. C’est l’une des plus belles Coupes du monde qu’on ait jamais vues et j’ai l’impression que les Français se sont fait chier.

Qu’est ce qui a manqué d’après vous? Début juillet, j’ai passé du temps avec les joueurs, ils avaient l’air bien. On aurait dit des gamins de 15 ans qui se marraient. On a fait un pique-nique avec Christian Constant et Philippe Etchebest, certains joueurs sont venus cuisiner avec nous. Et on avait l’impression qu’un groupe était en train de naître. Mais personne ne s’est lâché sur le terrain ensuite. Et c’est là qu’on peut mettre en doute le coach. Quand tu as un bon terreau, que tu n’arrives pas à l’utiliser correcteme­nt… Il y a peut-être aussi un problème de confiance. Moi, la confiance, on m’y a toujours amené.

Il y avait cette impression d’une équipe sans instinct… Oui. Et dans la cuisine, je sens qu’il se perd aussi, cet instinct. Parfois, je fais des trucs, je ne peux pas l’expliquer. Un morceau de veau béarnais ou du Nord ne se comporte pas de la même façon. Je ne peux pas te dire qu’un cèpe, il faut tout le temps le faire de telle façon. Celui-là, il faut le sauter, celui-là le confire, l’autre le déglacer… J’ai travaillé pendant douze ans avec Constant. À la fin, il ne parlait plus, mais je savais ce qu’il voulait. Rien qu’à voir le rouget, je savais qu’on ne le ferait pas avec des patates mais avec des petits pois. Je le sentais.

C’est le french flair appliqué à la cuisine. Je ne pense pas que les joueurs ont perdu le french flair. Sauf que ton centre, quand tu joues 30 fois avec lui, il sait ce que tu vas faire, tu ne vas pas lui expliquer, si? Pareil en cuisine. Un truc qui me fait beaucoup de mal, c’est qu’on a réussi à codifier la cuisine. La cuisson à la machine sous vide, tu n’as plus l’instinct de la cuisson, on te dit de programmer à 56 degrés le poisson et il sera parfait à coeur. Et donc 80% des restaurate­urs font ça maintenant. C’est parfait, ça a le même goût partout, mais le parfait, c’est chiant. En rugby, c’est pareil. Quand tu calcules ton quatrième temps de jeu, c’est le coup du thermomètr­e. On passe sans doute à côté d’un artiste avec François Trinh-duc. Il avait fait un effort inouï pour revenir, il a le rugby dans la peau.

Quel joueur sent bien la cuisine? Pierre Berbizier a un très, très bon palais. Je me souviens que je lui avais fait un pigeon dans une galette de sarrasin. Tu as 80% des clients qui sont passés à côté. Mais Pierre m’a dit: “C’était génial, la sauce au sang avec le goût du sarrazin dans la crêpe. Exceptionn­el.”

Et dans la nouvelle génération? Harinordoq­uy et Traille sont de gros mangeurs. Tu les mets à table, ils peuvent y passer cinq heures. Et puis, Dan Carter est en train de s’émerveille­r de la cuisine française. Il n’a pas encore mangé dans mon restaurant mais je lui ai donné un cours. On m’a demandé et j’ai accepté avec grand plaisir, tu penses! Il est intéressé. La magie de la cuisine française. Les gens nous envient, quand même.

“Je cirais mon ballon Wallaby à la graisse de porc pour le rendre imperméabl­e”

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