POCOCK MINUTE
Il a grandi dans un foyer chrétien du Zimbabwe, il cite Jésus, Mère Teresa, Martin Luther King et Nelson Mandela, s’intéresse à Carl Jung et à la botanique, ne porte pas de marque, trouve le capitalisme grimpe le Kilimandjaro et pêche dans le Zambèze… Dav
Les gardes-chasse battent le sentier. Alors qu’ils font dans la foulée soutenue et fredonnent des chants bantous, l’un des leurs les escorte, poignant son fusil d’assaut Famas à deux mains. Parmi eux, un autre gaillard tente de se fondre dans le décor. David Pocock suit le train d’un pas léger. Malilangwe n’a pas de secret pour lui. Son grand-père, dont il est venu souffler les 80 bougies, s’est longtemps occupé de cette réserve naturelle du Sud-est du Zimbabwe où survivent tant bien que mal quelques dizaines de rhinocéros. Alors pour défendre le trésor maison et traquer les braconniers, le troisième ligne de l’australie fait comme sur une pelouse: il met le nez dedans. Dans un pick-up de fortune lancé à toute vitesse sur des chemins de terre ou en participant aux entraînements militaires des scouts, qui comprennent surtout de la musculation improvisée à l’air libre, le meilleur gratteur de ballon dans les regroupements de la Coupe du monde s’y file. Après avoir sillonné le Botswana et l’afrique du Sud avec son sac à dos et sa femme, Emma, Pocock est de nouveau revenu sur ses terres. Celles qui l’ont vu naître en 1988, celles qui l’ont vu fuir quatorze ans plus tard.
De Robert Mugabe à Desmond Tutu
“J’adore revenir et j’ai toujours de la famille ici. Jusqu’à ce qu’on nous prenne notre ferme, jamais on n’aurait pensé quitter le Zimbabwe”, resitue-t-il. Depuis 1969, la famille Pocock y a pris racine, pour faire pousser les légumes et les fleurs, et produire des produits laitiers. Sa ferme, située à une trentaine de kilomètres de Gweru, une ville des Midlands de 140 000 habitants, s’étend sur pas moins de 2 800 hectares. Un terrain de jeu hérité d’un régime d’apartheid à l’époque où le pays, fondé par des colons blancs, s’appelait encore la Rhodésie. Les colons luttent alors contre Robert Mugabe, qui exige une indépendance qui n’arrivera qu’en 1980. “Dans les années 80, il y avait encore un peu de violence après la fin de la guerre civile mais quand j’ai commencé l’école en 1994, en tant qu’enfant blanc, tout était plutôt charmant, assure le joueur nostalgique. Il y avait des enfants noirs et blancs dans mon école et la question de race n’en a jamais vraiment été une.” Son père, Andy, a toujours vécu dans le coin, et sa mère, Jane, vient de la région frontalière avec l’afrique du Sud. Mais à l’aube du nouveau millénaire, les choses se gâtent. Mugabe entame sa réforme agraire et 2 900 fermiers blancs sont priés de laisser leurs terres, soit 70% des espaces agricoles du pays. Et la redistribution ne se fait pas en douceur. Deux fermiers du coin sont tués, l’un est étranglé avec du fil barbelé, l’autre est proche des Pocock. Le fils de cet ami survit malgré neuf balles dans le buffet, ses employés noirs sont, eux, frappés pour avoir travaillé pour des Blancs. “J’y suis retourné un mois après pour voir la mère. Leur voiture était criblée de balles et de sang, c’était comme dans un film. Si j’étais né dans une autre famille, les choses auraient pu être très différentes pour moi.” Au début, la ferme des Pocock n’est pas concernée. Puis, la pénurie alimentaire gangrène progressivement les Midlands et le jeune David, 12 ans, tombe sur une carte de l’australie au chevet du lit de ses parents. Leur demande de visa est
“Dans les années 80, il y avait encore un peu de violence après la fin de la guerre civile mais quand j’ai commencé l’école en 1994, en tant qu’enfant blanc, tout était plutôt charmant” David Pocock à propos de sa jeunesse au Zimbabwe
déjà envoyée lorsqu’ils reçoivent la notice d’une “section 8”, qui signifie qu’ils ont 90 jours pour quitter les lieux. Andy, Jane et leurs trois enfants, David, Mike et Steve, bougent à Gweru puis déménagent vers Port Alfred, en Afrique du Sud, où ils passent huit mois dans la maison de vacances des grands-parents. Le précieux sésame arrive en 2002 et les Pocock peuvent enfin s’installer à Brisbane. Six ans après, David porte déjà le maillot des Wallabies ; quatre ans plus tard, il en est même capitaine. Aujourd’hui encore, il reste perplexe sur la situation de l’époque. “C’est très complexe. Mugabe est un héros de l’indépendance et vous ne pouvez pas lui enlever ça. Mais il doit aussi répondre de ses actes. Au moins 20 000 personnes (de l’ethnie Ndébélé, ndlr) ont été tuées dans les années 80, sans parler de la crise actuelle. Au Zimbabwe, tout le monde est une victime d’une certaine façon, les fermiers blancs comme les ouvriers agricoles, mais la terre avait d’abord été volée aux peuples autochtones.” En 2009, David Pocock retourne pour la première fois dans la ferme de son enfance. Laissée à l’abandon, elle a servi un temps de résidence au gouverneur de la province de Masvingo, à l’est de Gweru, après la fuite de sa famille. Accompagné de son pote Luke O’keefe, l’australien vient alors de créer Eightytwenty Vision, une association pour venir en aide au district de Nkayi, à 170 kilomètres de là, où aucun médecin n’a mis les pieds depuis deux ans et où le VIH touche 19% de la population. “En 2007, la situation commençait à devenir très compliquée, surtout dans les zones rurales. Mais quand vous avez grandi en Afrique, vous faites vraiment attention à cette attitude de ‘je suis l’homme blanc et c’est comme ça qu’on fait’. Si vous jetez un oeil à l’histoire de l’humanitaire, vous voyez que des milliards et des milliards de dollars ont été dépensés en Afrique mais vous pouvez vous demander où ils sont passés.” Pocock et O’keefe collectent des fonds pour construire des points d’eau, rénover des salles de classe, distribuer des fournitures et des graines, le but étant que la communauté devienne totalement autosuffisante. Tirant son nom du fait que 20% des hommes détiennent 80% des richesses de la planète, le travail de Eightytwenty permet au rugbyman de rencontrer le prix Nobel de la paix Desmond Tutu, un “modèle”, qui se prête au jeu d’une vidéo promo pour l’association des deux copains. Rien que ça.
Droits LGBT et jardinage
L’enfant qui pleurait l’élimination des Sud-africains en 1999 sur un drop de Stephen Larkham (son coach aujourd’hui aux Brumbies) ne pouvait grandir autrement qu’en fan des Springboks et de Bobby Skinstad, né au Zimbabwe comme beaucoup d’autres internationaux sud-africains. Son père et ses deux grands-pères taquinaient le cuir en leur temps et David suit l’exemple et sait déjà à quoi va ressembler sa vie d’adulte. “Vers 10 ans, j’ai décidé de devenir professionnel. Je suis devenu obsédé par ce que je devais manger et mes entraînements. Mes premières années à la Western ressemblait à ça.” À l’époque, il sort de “Churchie”, une école privée de Brisbane, où il perfore au poste de centre pour ramener le titre de champion avec son pote et futur ouvreur des Wallabies, Quade Cooper. Mais c’est bien à Perth que sa carrière prend une tournure professionnelle. Là, aussi, qu’il emménage avec un couple de lesbiennes et sa bientôt future femme. Autant engagée qu’un plaquage de son mari, Emma soigne aussi ses convictions au moment de dire oui: “On sentait qu’il fallait qu’on soit solidaires avec des couples comme elles, qui pourraient être mariés mais qui n’ont pas cette option.” Le jour de l’acte, en 2010, le couple organise ainsi une cérémonie à l’église mais promet de ne rien signer tant que les gays ne pourront pas légalement le faire en Australie. “On a reçu des messages de toutes sortes, des lettres de remerciements de couples gays, de religieux qui nous ont dit qu’on brûlerait en enfer, de types disant à David: ‘Mec, bien vu la méthode douce pour pas te marier avec ta copine.’” Mais David Pocock ne rigole pas du tout avec l’homophobie. Quand, en mars 2015, Jacques Potgieter lance des “faggot”( tapette en VF) en plein Waratahs-brumbies, il s’en plaint à l’arbitre de la rencontre, Craig Joubert. “Une grande partie des mots que nous utilisons enfant sont homophobes et ils le resteront tant que nous n’y faisons rien, soutient-il. Pendant le match, des choses vraiment pas agréables se sont dites, mais ce qui l’a été, c’est que les gens en aient parlé et j’ai vraiment été impressionné par la réponse de Jacques.” La réponse en question? Une journée chez les Sydney Convicts, le premier club gay de rugby sur le continent rouge, et l’acquittement d’une sobre amende de 15 000 dollars, dont 10 000 avec sursis. Quand ils ne défendent pas une cause ou une autre, les Pocock donnent dans le jardinage pour se détendre. Chez eux, leurs neuf poules s’acoquinent avec l’énorme potager d’où ils tirent leurs fruits et légumes. David a même le droit a son propre onglet (“Dave’s Place”) sur The Scientist’s Garden, un site de recherche pour l’agriculture où il offre des tutoriels pour expliquer les secrets de santé de ses plants de tomates. Rien de plus normal pour un type diplômé en agroécologie et qui a l’an dernier signé une lettre ouverte pour que le problème de l’exploitation du charbon soit une des priorités de la COP21.
Dix heures attaché à un engin de forage
Alors, quand la compagnie Whitehaven désire en 2012 construire une mine de charbon dans la vallée de Maules Creek, à 700 kilomètres au nord de Canberra, Pocock trouve un nouveau cheval de bataille. La construction implique de détruire une bonne partie de la forêt de Leard, initialement préservée pour sa biodiversité. Contre l’avis des experts, le gouvernement valide le projet. “La vie a été totalement bouleversée par ce projet infâme, le pire jamais approuvé en Australie”, tonne d’entrée Rick Laird, qui y perpétue une tradition de cinq générations de fermiers. Très vite, des militants du monde entier s’installent pour protester. Greenpeace et 350.org, dont les Pocock sont membres, apportent leur soutien. “J’ai su qu’un ami de Canberra était dans le coin avec 30 membres, dont David, pour protester contre le gouvernement, qui a des parts dans le projet”, raconte Rick. On est le 21 novembre 2014 et Emma et David rallient le “camp wando”. Emma a ciselé son discours. “Nos étagères sont pleines de livres sur les gens qui, à travers l’histoire, ont utilisé la désobéissance civile pour surmonter les situations de grave injustice. Nous avons compris que la non-violence était la meilleure façon pour faire entendre notre voix et nous l’avons ajoutée à celles des 290 autres déjà arrêtées.” Rick, lui, ne peut contenir son excitation. “J’étais un grand fan de David alors je voulais absolument les rejoindre. On a eu une bonne discussion sur le rugby et l’agriculture. C’était comme si on avait toujours été des amis.” Et déjà, les plans fusent entre les deux. “Après une demiheure environ, je lui ai demandé s’il allait s’attacher à une machine de la mine et il m’a répondu: ‘J’y pense mais je n’ai
“Le chef de la sécurité gardait un oeil sur nous, pour être sûr qu’on ne se détachait pas pour faire une pause. Mais quand il bougeait, on en profitait pour nous dégourdir les jambes” Rick Laird, fermier et ami attaché avec Pocock à une machine de forage
pas encore pris de décision.’ C’est là que j’ai compris que Dave est un homme de convictions.” 350.org achète alors le matériel nécessaire pour que sept personnes se menottent à un engin et bloquent le début des travaux. Le lendemain, en fin d’après-midi, après quelques bières “pour lui donner du courage”, Rick demande à “Dave” de faire partie de l’aventure. Ce qu’il accepte. Avec les chefs du camp, les deux nouveaux potes élaborent un plan. Vers 5h30, après quatre heures de marche et d’attente dans la forêt, la petite troupe s’attache à une énorme machine de forage. De là, ils apprécient le lever de soleil sur la vallée et aperçoivent aussi le chef de la sécurité ainsi que le patron de la mine. “On les a juste regardés sans dire un mot. C’est là qu’on a compris la gravité de la situation”, dit Rick. Puis, le chef de la police locale débarque. “Les choses devenaient si sérieuses qu’on pouvait entendre les mouches voler. Il est revenu dix minutes plus tard pour nous dire que la police de Bathurst allait faire sept heures de route pour nous détacher. Il était vraiment énervé parce qu’il savait que ça allait être un long dimanche pour lui”, se marre encore Rick, qui s’est lié le bras gauche à celui de Pocock, à l’aide d’un tuyau. Là-haut, le duo a tout prévu. La nourriture, l’eau, la crème solaire, les bobs et les smartphones. Pendant que le fermier donne des interviews à la radio, Pocock se lance dans un live-tweet avec sa main libre. Le tout par 35 degrés au soleil. “Le chef de la sécurité gardait un oeil sur nous, n’a pas oublié Rick. Pour être sûr qu’on ne se détachait pas pour faire une pause. Mais quand il bougeait, on en profitait pour se dégourdir les jambes. En milieu d’après-midi, on a vraiment commencé à brûler et à nous déshydrater. Je commençais à devenir fou!” Après dix heures de sit-in sur des plateformes métalliques, la police les déloge et les emmène au poste le plus proche. Reste une expérience inoubliable pour Rick. “On s’est marré tout le chemin du retour avec Dave. La police a mis sept heures pour s’occuper de nous sept. Il était plus d’1h du matin quand on a quitté le poste. Voilà 24 heures que je n’oublierai jamais…” Et même si la mine a bien commencé ses activités un mois plus tard*, David Pocock ne manque pas de combats à mener. Sur et surtout en dehors du terrain. PROPOS DE RICK LAIRD RECUEILLIS PAR NT, CEUX DE
Emma, sa femme, à propos de leur combat pour le mariage homosexuel en Australie