Tampon!

“J’adorais les cow-boys et les indiens, mais surtout les indiens”

Révélé à Toulon, confirmé à Toulouse, Yoann Maestri aime associer le rouge et le noir. En bleu, le deuxième ligne a été l’une des rares certitudes de Philippe Saint-andré pendant son mandat. Cinq mois après le naufrage face aux Blacks, le Varois porte un

- PAR GRÉGORY LETORT ET ALEXANDRE PEDRO à TOULOUSE / PHOTOS: DPPI, PANORAMIC ET ICONSPORT

Tu as grandi à Carqueiran­ne, dans le Var, ton père est même le responsabl­e de la capitainer­ie du port. On imagine que la pêche, ça doit te parler… Carqueiran­ne est reconnue pour la pêche mais aussi pour l’horticultu­re. Mon grand-père a cultivé des tulipes comme beaucoup d’émigrés italiens chez nous. Mon père l’a aidé aussi à tenir ses champs de tulipes, puis il a suivi des études de dessinateu­r industriel et est entré à la mairie de Carqueiran­ne comme responsabl­e des espaces verts. Cela fait seulement quelques années qu’il s’occupe du port mais il a toujours été un dingue de pêche. Je ne suis pas aussi passionné que lui, mais je me souviens avoir passé des heures avec mon harpon à essayer de remuer la mer entière.

Et tu étais doué? Je n’étais pas très fort. Mes plus belles prises, ça doit rester quelques belles rascasses, des mulets, mais je n’avais pas le niveau de certains copains qui allaient te pêcher des daurades ou des sardes à dix mètres de profondeur. En revanche, on pouvait en pêcher avec mon père quand on partait avec le bateau à la palangre. On posait le filet tard le soir et on le récupérait tôt le matin et là, je me souviens qu’on ramenait des sardes, des daurades, du congre, un peu de tout.

Tu l’as aussi suivi au rugby puisque tu as débuté dans le club du village où il était un troisième ligne redouté. Mon père n’a jamais trop rien dit de cette époque, ce sont surtout ses amis qui m’en parlaient. Chez nous, on pratiquait un rugby très violent et mon père a pris pas mal de recul par rapport à ses années de joueur. Il s’engageait beaucoup mais ne se vantait pas d’être violent gratuiteme­nt. Depuis tout petit, il m’a appris à me défendre, à être vigoureux –sans non plus tout mélanger– et à faire attention à mon comporteme­nt.

Ses amis racontaien­t quoi à son sujet? Qu’ils pouvaient compter sur lui, aussi bien pour les matchs à domicile que pour ceux à l’extérieur. Je n’ai jamais eu l’occasion de le voir jouer puisqu’il a arrêté à la naissance de mon petit frère, quand j’avais 3 ans. Mais j’ai suivi pas mal de matchs de Carqueiran­ne avec lui. Petit, je me souviens d’un déplacemen­t où c’était parti en échauffour­ées, d’abord sur le terrain, puis dans les tribunes.

C’est un aspect assez propre au rugby varois. Tu l’as toujours ressenti ainsi ou c’est un peu cliché? Ah non, c’est pas du tout cliché. J’ai été très marqué par ça, surtout quand je suis arrivé à Toulouse à 19 ans. Je me suis rendu compte que chez nous, on mettait l’engagement mental et physique avant tout le reste. On basait nos rencontres là-dessus et le reste en découlait. Le match était d’abord un combat où il fallait faire céder son adversaire physiqueme­nt et mentalemen­t. Et c’était déjà comme ça chez les minimes ou les cadets quand il y avait des matchs contre Toulon, La Seyne ou La Valette. C’était trop, parfois. Je me souviens que La Valette avait été radié du championna­t pour des histoires de morsures –et on parle de joueurs de 14 ans. Je ne renie pas ces années, bien au contraire, ça te permet de te forger un caractère, on était encouragés à être durs et c’est toujours le cas. Je suis allé voir mon petit cousin l’an dernier, son équipe a fait un bon match et à la fin, c’est bien sûr parti en baston, mais je n’étais même pas surpris. Personne ne va vous engueuler. Au contraire, on allait plutôt gueuler sur l’arrière qui ne s’en mêlait pas. Celui qui ne se battait pas n’avait rien à faire dans l’équipe.

Tu as éprouvé des difficulté­s à basculer dans la préparatio­n à la toulousain­e, plus basée sur le jeu? Les jeunes du Stade ne sont pas du tout dans cette approche. Le responsabl­e du centre de formation, Michel Marfaing, se souvenait d’une rencontre avec les espoirs de Toulon qui avait tourné en bagarre générale et les cadets de Toulon –avec qui je jouais– étaient entrés sur le terrain pour participer. J’ai pris beaucoup de plaisir lors de ces années, il y avait de la bagarre, des cartons. Je me faisais taper sur les doigts quand je revenais au pôle espoir à Marcoussis. C’était une autre époque. Mais les jeunes à Toulon aujourd’hui ne doivent pas être manchots à ce niveau.

C’était en quelque sorte l’héritage des équipes des années 80 avec les Champ, Louvet, Loppy et Daniel Herrero comme entraîneur? Même si on n’avait pas connu cette époque, on avait un grand respect pour ces mecs-là, surtout que certains étaient restés proches du club. Quand on partait en bus, on mettait souvent la cassette du match contre Bègles en 91 ( quart de finale légendaire pour sa violence, lire l’article qui lui est consacré dans le premier numéro de Tampon!, ndlr). On s’identifiai­t à tous ces mecs, même les plus vieux. Les Sappa ou Gruarin, qui tenait un magasin de sport, puis les Loppy, Tordo ou Ivan Roux. Je pourrais en citer mille.

Duvet pour tous. On sent comme de la nostalgie pour une époque que tu n’as pas connue… Parce que les mecs donnaient tout. Ce n’était peut-être pas un rugby flamboyant, mais il y avait de l’engagement, de la solidarité et on voit qu’ils sont encore heureux de se retrouver des années après.

Tu crois qu’ils donnaient plus que vous? On ne peut pas comparer. Comme ils couraient beaucoup moins, ils se disaient qu’ils allaient ‘ raser’ les mecs qui passaient à côté ( grand sourire).

On dirait que tu as joué toute ta jeunesse au rugby, pourtant tu t’es cherché un peu, sportiveme­nt. J’ai commencé par le rugby, mais j’étais nul. Je ne plaquais pas, j’avais peur de tout. Comme je n’avais plus envie, j’ai fait du foot, du jujitsu et même de l’équitation. Je suis revenu au rugby plus tard.

Tu ne devais pas encore avoir entamé ta croissance, si? J’étais encore gamin et à l’époque, j’adorais les cow-boys et les Indiens, mais surtout les Indiens. J’étais du côté des opprimés. Honnêtemen­t, si je n’étais pas aussi grand et lourd, j’aimerais bien remonter à cheval.

À l’adolescenc­e, tu dominais tout le monde d’une tête ou deux. C’est quand même plus

“J’ai commencé par le rugby, mais j’étais nul. Je ne plaquais pas, j’avais peur de tout. Comme je n’avais plus envie, j’ai fait du foot, du jujitsu et même de l’équitation. Je suis revenu au rugby plus tard”

Yoann en train de manger du plancton. c’est sans doute une partie du problème. Parce que sur notre compétitio­n, ça ne peut pas être une excuse. On sait depuis quatre ans que les choses sont comme ça et qu’on ne peut pas les changer. Tu ne peux pas arriver sur la compétitio­n et dire que ‘c’est le Top 14 qui nous a fait perdre’. Ou alors tu le dis avant, pas après.

Tu avais pourtant tiré le signal d’alarme après la défaite contre les Gallois en mars au Stade de France. Tu as dit: ‘Dans nos clubs, il y a des joueurs étrangers qui nous apportent une plus-value importante, qui fait souvent la différence.’ Je pense juste que tous les acteurs du rugby, nous les joueurs compris, gagneraien­t à être plus lucides et modestes. La France a fait des finales mais n’a jamais été championne du monde. Dans le sport, les résultats finissent par parler d’eux-mêmes dans le temps. Dans notre championna­t, les joueurs phares qui font gagner les matchs sont souvent des étrangers. Et ça, quelque part, c’est très réjouissan­t quand tu es supporter d’un club, moins quand tu aimes l’équipe de France.

Tu avais pressenti que cette Coupe du monde tournerait aussi mal? Tu le pressens… Tu te prépares, tu te donnes à fond sur le terrain, à l’entraîneme­nt. Mais tu arrives avec quelles bases? Tes quatre ans ont été catastroph­iques au niveau des résultats. Et nous les joueurs, on savait qu’on ne pouvait pas pavoiser. On a essayé de positiver au maximum, de se régaler. Avant le match contre l’irlande ( défaite 24-9, ndlr), on était persuadés de notre force physique et mentale. Et si on prend juste la première mitemps, on le démontre. On laisse trois Irlandais au sol, on est présents dans l’engagement. Mais en termes de rugby, tu es juste à côté de tes pompes. On ne met jamais la main sur le ballon. Mais tout est une question de régularité et de confiance. Même avec O’connell et Sexton en moins, les Irlandais ont continué à développer leur jeu, parce qu’ils ont un vécu, ils ont gagné le Tournoi, eux. C’est comme lorsque je suis arrivé à Toulouse, tu avais une équipe avec des mecs habitués à gagner et qui te mettaient en confiance. Tu ne peux pas arriver et dire que tu veux oublier les quatre années derrière toi. Sinon, autant ne pas jouer pendant quatre ans.

Vous vous étiez persuadés que la grosse préparatio­n physique allait tout changer? Tu es bien obligé de croire à quelque chose, sinon tu n’y vas pas, à cette Coupe du monde. Il faut y aller en positivant, sinon tu tires la gueule dans ta chambre. La marche était juste trop haute pour nous.

Le sélectionn­eur, Philippe Saint-andré, annonçait lui que vous y alliez pour la gagner. Il n’aurait pas fallu être plus modeste? Si tu sors les discours de tous les sélectionn­eurs de leur contexte, ils vont te sembler ridicules. On n’a jamais été champion du monde, on n’a pas la culture rugbystiqu­e de la Nouvelle-zélande, de l’afrique du Sud. Le réservoir est là, mais qui sont les joueurs français qui évoluent au plus haut niveau? Les jeunes n’ont pas assez de temps de jeu pour s’exprimer, on en revient toujours au même problème.

De l’extérieur, on avait la sensation d’un groupe sans grands leaders ni fortes personnali­tés… C’est une critique qui est revenue pendant quatre ans alors qu’on a testé je ne sais plus combien de joueurs ( 96, ndlr). Je demande: combien il aurait fallu en tester pour trouver des leaders? Il faut arrêter. C’est sur le terrain que ça se passe! Quand tu n’es pas bon, tu n’es pas bon. Des mecs testés et qui avaient du caractère, je peux en citer un paquet. J’ai joué avec énormément de coéquipier­s mais on retombait toujours sur les mêmes problémati­ques, on n’avait pas les résultats attendus. Tu peux mettre quoi en place derrière?

C’est un problème de génération? De sélectionn­eur? C’est un problème de ( il marque une pause)… Tu as 96 joueurs utilisés sur quatre ans et beaucoup de combinaiso­ns et d’équipes possibles et sur ces quatre ans, tu fais quoi? Trois ou quatre bons matchs. Donc c’est sans doute qu’on n’était pas une bonne équipe.

Quand vous perdez contre les Blacks, tu ne te demandes pas dans quels domaines vous êtes moins bons? Il faut être honnête, on est juste moins bons dans tous les domaines contre eux. Les Blacks ne révolution­nent rien, ils sont sur leurs acquis, sur ce qu’ils ont construit auparavant. C’est une somme de petits détails mis bout à bout qui fait qu’ils ont cette cohésion sur le terrain.

Et une question de bagage technique aussi quand on voit le quart de finale… Ce n’est pas la même culture. À partir de 12 ans, les NéoZélanda­is font du sport tous les après-midi, ils travaillen­t plus que nous. On peut être bons, on peut réaliser des matchs à 100% de technique individuel­le, mais eux aussi. Et plus souvent que nous.

Mais ce n’est pas inéluctabl­e. La France évoluait bien en 3e division au handball dans les années 80 et écrase son sport maintenant. J’espère bien que dans dix ans, il y aura une évolution, mais pour y arriver, il faut qu’il y ait un changement énorme chez nous. Ou alors que les Néo-zélandais se désintéres­sent d’un coup du rugby ( sourire).

“On n’a jamais été champion du monde, on n’a pas la culture rugbystiqu­e de la Nouvelle-zélande, de l’afrique du Sud. Le réservoir est là, mais qui sont les joueurs français qui évoluent au plus haut niveau?”

L’étrangleur de Carqueiran­ne.

Tout dépend de l’angle de vue et de l’expression qu’il donne à son visage, mais voilà un type qui pourrait se pointer dans un concours des meilleurs sosies et rafler la mise sans forcer dans trois catégories: Kevin Spacey, Roland Cayrol et Jean Tiberi. Le plus fou n’est pas qu’un même individu puisse ressembler à s’y méprendre à des personnali­tés auxquelles on peine à trouver des traits communs. Non, c’est que quand on lui fait remarquer en le soupçonnan­t d’avoir un superpouvo­ir de métamorpho­se, Walter, technicien électroniq­ue à la retraite qui améliore ses fins de mois comme veilleur de nuit dans un hôtel, se marre et bascule en arrière dans le canapé, en agitant les jambes et les bras. Comme un enfant. Puis, une fois revenu en position assise, il enlève ses lunettes escamotabl­es par le milieu, qui tiennent donc désormais autour de son cou façon stéthoscop­e, et prend l’air éminemment sérieux d’un professeur émérite. “Mais moi, je ne connais pas tous ces gens, je regarde un film tous les trois mois. Entre mes collection­s et les statistiqu­es, je n’ai pas de temps”, s’excuse-til dans un français parfait. Walter Pigatto aurait à l’évidence pu crever l’écran à la grande époque de Cinecitta mais son destin était ailleurs, tout entier consacré à sa passion pour le rugby, dont il est devenu l’un des plus grands spécialist­es de son pays. D’abord, parce qu’il a foulé tous les stades de la Botte comme supporter, dirigeant ou arbitre pendant des décennies. Ensuite, parce qu’il a entrepris un travail colossal –et toujours en cours– de statistici­en de l’équipe nationale. Enfin, il possède un bon millier d’ouvrages de référence et près de 7 000 insignes ou pin’s d’équipes ou de clubs du monde entier.

À l’hôtel Positano –où le retraité est appelé quelques jours par semaine en renfort pour assurer l’accueil entre 20h et minuit contre une pizza et une poignée d’euros bienvenus pour payer la pension alimentair­e de sa première femme–, c’est la basse saison, et les quelques clients de ce trois étoiles sobre et cosy, éloigné de deux kilomètres de la vieille ville de Bassano del Grappa, sont plutôt surpris de retrouver l’homme qui les a accueillis cabotiner pour les besoins de la photo. Non, ils n’ont aucune raison de reconnaîtr­e Walter Pigatto. À moins d’être féru de rugby et diablement physionomi­ste, au point de se souvenir que, dans les années 90, il était un juge de touche toujours associé au Pierluigi Collina de l’ovalie d’alors, un certain Morandini. Avec lui, Walter arbitrera deux finales de championna­t et deux finales de Coupe d’italie. “Aujourd’hui, Morandini voyage pour former des arbitres. Et, récemment, quand il est allé à Madrid, je lui ai dit: ‘Il faut que tu me trouves LE spécialist­e de la collection en Espagne.’ Car c’était un marché que je n’arrivais pas à percer. Il me l’a trouvé, et depuis, je rattrape mon retard”, exulte-t-il. “La collection”, voilà donc la grande affaire de la vie de Walter Pigatto. C’est en cherchant à posséder toujours plus d’insignes ou de pin’s de clubs et d’équipes nationales, tous pays, divisions et époques confondus, qu’il a appris à maîtriser trois autres idiomes que sa langue maternelle (français, anglais et espagnol). Et par nécessité –“Il faut bien pouvoir identifier et dater les objets”– qu’il s’est mis à se procurer annuaires, almanachs, livres d’histoire. “Sur les pin’s et insignes italiens, je ne suis peut- être pas le meilleur en quantité mais en qualité, oui, certaineme­nt, affirme-t-il. Après, je connais des gens qui ont une bibliothèq­ue beaucoup plus impression­nante que la mienne. Mais difficile quand même d’avoir plus d’annuaires internatio­naux que Walter”, fanfaronne celui qui passe parfois sans prévenir à la troisième personne.

Walter, chasseur d’erreurs

Dans ce drôle de microcosme, Walter connaît tout le monde ou presque personnell­ement, pour ne pas dire intimement. Bien avant Internet ou Skype, il entretenai­t des relations épistolair­es et téléphoniq­ues avec ses alter ego collection­neurs, historiens ou statistici­ens de toute la planète rugby. Pigatto ne se contente pas de collection­ner les livres. Il les lit, et parfois même, contribue à les écrire. Il est ainsi au générique d’un livre somme, Histoire du rugby mondial, des origines à aujourd’hui, d’un certain Luciano Ravagnani, “le doyen des journalist­es de rugby italien” et son “mentor”. C’est en effet ce dernier qui a encouragé Walter à lui succéder, dés la fin des années 80, dans un exercice fastidieux, rigoureux et ingrat: la statistiqu­e. Depuis bientôt 30 ans, il compile toutes les données chiffrées possibles et imaginable­s sur la Squaddra Azzura. Et a dû se retaper tous les calculs depuis le début, en 1929, et l’apparition du XV italien: “Luciano m’a dit, quand il a arrêté: ‘Je sais qu’il y a des erreurs, c’est à toi de les trouver.’” Le statistici­en amateur et bénévole est crédité tous les ans dans le média guide de la fédération italienne et décèle toujours des imprécisio­ns. “Parfois, la fédé m’appelle, pressée, pour une question précise. La dernière fois: ‘Walter, combien de cartons jaunes a pris Bergamasco dans toute sa carrière?’ Ils veulent avoir le bon chiffre pour préparer sa défense devant la commission de discipline”, explique-til en se levant du canapé pour aller faire l’enregistre­ment d’un client, et prendre congés. “Ma pizza va arriver, je dois travailler un peu. Demain, vous viendrez à la maison découvrir mes trésors. Et puis, vous verrez Hanna, ma femme. C’est de très loin la plus belle pièce de ma collection.”

Le lendemain matin, Walter vient chercher ses invités à l’hôtel Brennero, où il officiait il n’y a pas si longtemps comme veilleur de nuit. À deux pas des remparts du centre historique de Bassano del Grappa, QG de Napoléon quatre mois durant, en 1796, après qu’il eut défait les Autrichien­s lors de la campagne d’italie. La ville est située en Vénétie, en plein coeur du triangle d’or du rugby italien. Padoue et Trévise sont à une quarantain­e de kilomètres,

“Je connais des gens qui ont une bibliothèq­ue beaucoup plus impression­nante que la mienne. Mais difficile quand même d’avoir plus d’annuaires internatio­naux que Walter”

France-italie. “C’était un sport de niche, rare à la télé, et j’ai trouvé ça différent, mieux que le foot.” Après son service militaire, il s’installe à L’aquila, où ses parents se sont posés, et s’abonne dans les deux clubs de la ville, qui évoluent dans les deux premières divisions nationales. “Le rugby était populaire chez les ouvriers, parce que c’était grâce à ce sport que la ville était connue dans toute l’italie. Elle a gagné cinq championna­ts, c’est toujours mon équipe de coeur. Là, on est remontés en Excellence la saison dernière mais on est dernier, on va redescendr­e.” Dans la grande usine Siemens où il travaille alors, il sympathise avec Sergio Parisse, “un très bon ailier, champion d’italie en 1967”, qui partira plus tard s’installer en Argentine. Quand le jeune retraité Walter part en pèlerinage au pays des Pumas, il renoue avec son ancien collègue perdu de vue qui met à sa dispositio­n la chambre d’enfant de son fils et homonyme, le troisième ligne du Stade Français et de l’italie.

Mais tout cela ne nous dit pas comment est née cette fascinatio­n pour les insignes. Là encore, Walter en a un souvenir des plus précis: “J’étais à L’aquila, j’avais 23 ans et j’ai croisé un joueur que je connaissai­s qui portait un insigne à patin à la boutonnièr­e. Je le lui ai demandé et il me l’a donné”, dit-il, en comparant avec recul cette première acquisitio­n au premier centime de Paperon de’ Paperoni, soit Picsou en Italien. Walter devient un pilier du bureau de poste et écrit aux clubs un peu partout dans le monde. “Mon ami entraîneur à L’aquila a dit un jour: ‘Walter c’est le naufragé qui jette des bouteilles à la mer du matin au soir.’” Reste qu’un certain nombre de pièces sont aussi tombées assez facilement dans sa besace. Quand il officie comme arbitre ou assistant, il revient rarement bredouille. Après un match à Padoue entre le Transvaal en tournée européenne et les XV Colonnes, une sorte de Barbarians italiens dans les années 90, il profite de la troisième mi-temps pour aborder un grand blond qui joue troisième ligne aile. “C’était François Pienaar. Il avait un pin’s, c’était celui du club néo-zélandais de Green Island. Comme je ne l’avais pas, il me l’a donné”, éclaire Walter, tout heureux de présenter Hanna enfin revenue de l’hôpital, les mains encombrées de gâteaux et d’une bouteille de Prosecco. Walter est radieux. “Les commandes précieuses, je les fais envoyer au nom de ma femme. J’en ai déjà eu une de 120 euros venant de Nouvelle-zélande en suivi-recommandé qui a été ‘égarée’ à la douane. Il y a des collection­neurs làbas, et Walter est trop connu. Quand je reçois les colis, je suis en lévitation, et Hanna, elle, elle a plaisir à voir ça.”

Si les pins’s entretienn­ent toujours sa flamme du rugby, l’homme s’intéresse beaucoup moins au jeu qu’autrefois. “Aujourd’hui, les ailiers pèsent 110 kilos, c’est devenu un sport de supermen, réservé à une élite du gabarit”, soupire-t-il. Il y a aussi le fait que supporter l’italie n’est pas une sinécure: “On est conscients de notre place dans la hiérarchie, mais quand on perd largement contre la France en Coupe du monde, c’est dur à digérer. Il faut perdre en ayant fait douter l’adversaire.” À l’instar de son mentor Luciano, Walter se dit que “le rugby n’est pas un jeu pour nous”. L’influence du catholicis­me, et surtout une histoire de caractère, théorise-t-il. “Ici, on va toujours chercher le moyen le plus simple et le moins fatigant de faire les choses. Or, au rugby, tu dois aller au charbon sans rechigner, tu ne t’épargnes pas”, improvise-t-il en sociologue, avant que l’historien-archiviste ne reprenne le dessus. “Je viens de présenter à Luciano un jeune ami collection­neur de Rome, Luca. Un vrai chien truffier! Il a trouvé des documents très rares qui nous permettrai­ent d’écrire la vraie histoire du rugby italien. C’est mon rêve. Car il y a beaucoup d’imprécisio­ns. Par exemple, ce que l’on considère comme étant le premier match en 1929 n’est en réalité pas le premier”, lâche-t-il en refusant d’en dire plus sur son scoop. Et plutôt excité à l’idée de devoir se replonger dans ses données statistiqu­es. TOUS PROPOS RECUEILLIS PAR VR

“Ici, on va toujours chercher le moyen le plus simple et le moins fatigant de faire les choses. Or, au rugby, tu dois aller au charbon sans rechigner, tu ne t’épargnes pas”

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